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Parlement Européen_Séance plénière du 13 février 2020 _ La Guinée, et notamment les violences commises à l’encontre des manifestants




La République de Guinée, et notamment la violence à l’encontre des manifestants.

Résolution du Parlement européen du 13 février 2020 sur la République de Guinée, et notamment la violence à l’encontre des manifestants (2020/2551(RSP))

Le Parlement européen,

–        vu ses
résolutions antérieures sur la République de Guinée,

–        vu la
déclaration conjointe des Nations unies, de l’Union européenne et des
ambassades des États-Unis et de la France à la République de Guinée du
5 novembre 2019,

–        vu le
Communiqué de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO) suite aux incidents du 4 novembre 2019 à Conakry,

–        vu le
communiqué de presse de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples sur la répression des manifestations en Guinée, du 9 novembre 2019,

–        vu la
trente-cinquième session de l’examen périodique universel du Conseil des droits
de l’homme de l’Organisation des Nations unies, du 30 au
31 janvier 2020,

–        vu le
pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,

–        vu l’accord
de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et
du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres,
d’autre part (l’accord de Cotonou),

–        vu la
charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée le
27 juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986,

–        vu la
Constitution de la République de Guinée, approuvée par le Conseil national de
transition le 19 avril 2010 et adoptée le 7 mai 2010,

–        vu la
Déclaration universelle des droits de l’homme,

–        vu le
programme indicatif national pour la période 2015-2020 du 11e Fonds
européen de développement, qui alloue des fonds à la République de Guinée,

–        vu
l’article 144, paragraphe 5, et l’article 132,
paragraphe 4, de son règlement intérieur,

A.      considérant
que le président Alpha Condé est au pouvoir dans la République de Guinée
depuis son élection en 2010 et sa réélection en 2016; que le pays a
vu des manifestations massives depuis la mi-octobre 2019, menées
principalement par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC),
sur fond de craintes que le président Condé cherche à étendre ses pouvoirs
constitutionnels; que la Constitution de la République de Guinée limite à deux
le nombre de mandats présidentiels; que le deuxième mandat du
président Condé arrivera à son terme à la fin de l’année 2020;

B.      considérant
que son élection à la présidence en 2010 était la première étape pour des
réformes démocratiques et de transparence après des années de régime militaire;
que le président Condé est accusé de corruption et d’imposer des
restrictions à la liberté politique; qu’une réforme constitutionnelle ayant
pour seule fin d’étendre les limites du mandat présidentiel pour permettre à
Alpha Condé de rester au pouvoir a déclenché des violences;

C.      considérant
que le président Condé a aussi récemment tenté de supprimer les obstacles
institutionnels à sa réforme en influençant la Cour constitutionnelle de la
République de Guinée et la Commission électorale; qu’en mars 2018, le
président de la Cour constitutionnelle, Kéléfa Sall, a été démis de ses
fonctions; que le ministre de la Justice, Cheick Sako, a démissionné en
raison de son opposition aux modifications de la constitution permettant un
troisième mandat présidentiel;

D.      considérant
que le parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée, ne dispose pas
de la majorité parlementaire des deux tiers nécessaire pour modifier la
constitution; qu’un référendum sur la réforme constitutionnelle contournerait
l’Assemblée nationale guinéenne;

E.      considérant
que le 19 décembre 2019, le président Condé a annoncé un projet
d’organiser un référendum sur la réforme constitutionnelle le 1er mars 2020;
que les élections législatives initialement prévues le 16 février ont été
repoussées et se tiendront le même jour que le référendum; que la nouvelle
constitution proposée inclut une extension du mandat présidentiel de cinq à
six ans, avec une limite de deux mandats; qu’il est attendu que le
président Condé usera de ce changement constitutionnel pour briguer un
troisième mandat présidentiel;

F.      considérant
que le FNDC, une alliance de partis d’opposition, d’organisations de la société
civile et de syndicats, a organisé des manifestations et prévoit des grèves en
opposition à la réforme constitutionnelle; qu’au moins sept personnes du
FNDC ont été arrêtées du 12 octobre au 28 novembre 2019 et ont
été poursuivies pour actes ou manœuvres de nature à troubler l’ordre public et
à compromettre la sécurité publique pour avoir appelé à manifester contre le
projet de nouvelle constitution, et finalement acquittées à la suite de
pressions internationales;

G.      considérant
que la situation dans le pays est électrique, avec de fortes tensions
politiques et des épisodes de manifestations violentes; que la réponse du
gouvernement à ces épisodes a été musclée et que la police a réagi avec une
force excessive, indue et illégale à l’encontre des manifestants, les
organisations de défense des droits de l’homme ayant fait état de barricades,
de fusillades et d’utilisation de gaz lacrymogène, principalement à Conakry, la
capitale, et dans la région de Mamou, bastion de l’opposition dans le nord;
qu’à Wanindara, la police aurait utilisé une femme comme bouclier humain pour
se protéger de pierres lancées par les manifestants;

H.      considérant
que Fodé Oussou Fofana, vice-président du principal parti
d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée, a accusé le président
de «coup d’État constitutionnel» et de «fraude»; que les partis d’opposition se
sont engagés à boycotter les élections législatives en signe de protestation;

I.       considérant
que la CEDEAO et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
ont toutes deux demandé le respect des droits fondamentaux des manifestants et
l’amélioration de la gestion des manifestations par les forces de sécurité;

J.       considérant
que la Commission des droits de l’homme des Nations unies a relevé que les
forces de sécurité, en réagissant aux manifestations qui ont débuté à Conakry
les 14 et 15 octobre 2019, «n’ont pas respecté les normes et
standards internationaux en matière d’usage de la force»; que les obsèques des
manifestants tués au cours des manifestations ont été ternies par de nouvelles
violences et morts;

K.      considérant
que la République de Guinée figure à la 101e place du classement
mondial de la liberté de la presse de 2019, sur 180 pays; que
depuis 2015, au moins 20 journalistes ont été convoqués, détenus ou
poursuivis; que depuis le début des manifestations en octobre 2019, des
journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des militants issus de la
société civile ont été arrêtés, parmi lesquels Abdourahmane Sanoh
(coordinateur du FNDC), qui a par la suite été relâché, tandis que d’autres
sont toujours détenus et soumis à des violences; qu’au moins 28 civils et
un gendarme ont été tués au cours des manifestations; que les
organisations de défense des droits de l’homme estiment qu’au moins
70 manifestants ont été tués depuis 2015, parmi lesquels
Amadou Boukariou Baldé, un étudiant battu à mort par des officiers de
police lors de manifestations à l’université de Labé en mai 2019;

L.      considérant
que plusieurs ONG locales dénoncent les conditions de détention en République
de Guinée et notamment «de graves inadéquations sur le plan de la
surpopulation, de la nourriture, de la nutrition, ainsi qu’une carence au
niveau de la formation dispensée à la plupart des gardiens de prison» (selon le
rapport de Human Rights Watch); que si ces conditions sont inquiétantes dans
l’ensemble du pays, elles sont particulièrement graves dans la Maison Centrale
de Conakry;

M.     considérant
que la République de Guinée est l’un des pays les plus pauvres d’Afrique et
souffre toujours des séquelles laissées par des années de mauvaise gestion
économique et de corruption, malgré qu’elle détienne les premières réserves
mondiales de bauxite dans les mines entourant Boke; que les deux tiers des
12,5 millions de Guinéens vivent dans la pauvreté et que la crise Ébola
entre 2013 et 2016 a affaibli considérablement l’économie du pays; considérant
que les jeunes de moins de 25 ans, qui représentent plus de 60 % de
la population, sont particulièrement touchés par le chômage;

N.      considérant
que dans le contexte actuel de manifestations contre la réforme
constitutionnelle, qui a exacerbé les affrontements entre le gouvernement et
les partis politiques, l’Organisation guinéenne de défense des droits de
l’homme et du citoyen (OGDH) a dénoncé des violations répétées des droits de
l’homme en République de Guinée; que ces violations ont mené à la destruction de
bâtiments et d’infrastructures publics, à des tentatives d’attiser les
divisions ethniques et à des expropriations forcées de propriétés privées;
qu’entre février et mai 2019, le gouvernement de la République de Guinée a
exproprié par la force plus de 20 000 personnes de quartiers de
Conakry afin de fournir des terrains pour des ministères gouvernementaux, des
ambassades étrangères, des entreprises et d’autres projets de travaux publics;

O.      considérant
qu’entre 2014 et 2020, l’Union européenne apporté un soutien à la
République de Guinée au moyen du programme indicatif national du 11e Fonds
de développement européen (FED) pour un montant de
244 000 000 EUR, centré sur la réforme institutionnelle et la
modernisation de l’administration, l’assainissement urbain, la santé, le
transport routier et le soutien à l’ordonnateur national;

1.       déplore
les violences actuelles dans la République de Guinée; condamne fermement les
atteintes à la liberté de réunion et d’expression, ainsi que les actes de
violence, les meurtres et les autres violations des droits de l’homme; invite
les forces gouvernementales à faire immédiatement preuve de retenue et à
autoriser les manifestations légitimes et pacifiques à avoir lieu sans
intimidation;

2.       invite
le gouvernement de la République de Guinée à lancer rapidement une enquête
transparente, impartiale et indépendante sur les morts et les blessures de
manifestants ainsi que les accusations d’usage excessif de la force et d’autres
violations des droits de l’homme par des agents des services répressifs;
demande que les responsables, y compris au sein des forces de police et de
sécurité, soient tenus de rendre des comptes et ne bénéficient pas d’une forme
d’impunité; rappelle au gouvernement de la République de Guinée que la lutte
contre la corruption et pour mettre fin à l’impunité devrait constituer une
priorité;

3.       regrette profondément tout projet de modifier la constitution du pays en ce qui concerne la limitation du nombre de mandats présidentiels; réaffirme avec force qu’une démocratie saine doit respecter l’état de droit et toutes les dispositions constitutionnelles, y compris une éventuelle limitation du nombre de mandats présidentiels; invite donc le président de la République de Guinée à respecter la constitution du pays, et en particulier son article 27;

4.       exige
le respect du droit à la liberté de manifestation, de réunion, d’association et
d’expression que garantissent les normes internationales et les traités et
conventions des Nations unies ratifiés par la République de Guinée; prie le
gouvernement de la République de Guinée de prendre des mesures urgentes visant
à garantir le respect du droit de manifester librement et pacifiquement, à
instaurer un climat sûr sans forme de harcèlement, de violence ou
d’intimidation et à faciliter le dialogue avec l’opposition;

5.       presse
toutes les parties en présence à éviter une nouvelle escalade de la tension et
de la violence; invite le gouvernement de la République de Guinée, les groupes
d’opposition et la société civile à faire preuve de retenue, à agir de façon
responsable et à engager un dialogue constructif pour trouver une solution
durable, consensuelle et pacifique; invite l’Union européenne à poursuivre ses
efforts pour renforcer la place de la société civile et encourager les acteurs
non étatiques à jouer un rôle actif;

6.       prie
instamment le gouvernement de la République de Guinée de veiller à la tenue
d’élections législatives et présidentielles transparentes, crédibles et libres
en temps utile, avec la pleine participation des partis d’opposition, qui
devront être libres de s’enregistrer, de faire campagne, d’accéder aux médias
et de se réunir librement;

7.       rappelle
l’importance d’une commission électorale nationale indépendante du gouvernement
et de tout parti politique; exhorte le gouvernement de la République de Guinée
et le président Condé à garantir que la Commission électorale nationale
indépendante de la République de Guinée agisse de manière totalement
transparente et libre de toute ingérence, intimidation ou contrainte de la part
de responsables politiques ou de partis au pouvoir;

8.       presse
les autorités de la République de Guinée de respecter pleinement toutes ses
obligations nationales et internationales vis-à-vis des droits civils et
politiques, notamment la liberté d’expression, de réunion et d’association, le droit
de ne pas être soumis à la torture, à de mauvais traitements, ni à une
détention arbitraire ainsi que le droit à un procès équitable; souligne que le
respect des droits de l’homme doit être placé au cœur de toute solution
politique à la crise actuelle;

9.       demande
aux autorités de la République de Guinée d’enquêter et de poursuivre,
conformément aux normes internationales, les membres des forces de sécurité
contre lesquels il existe des preuves de responsabilité pénale pour des
exactions passées et actuelles;

10.     rappelle
que la consolidation de la démocratie requiert que la société civile soit
dynamique et puisse fonctionner sans crainte, intimidation, ni violence; prie
vivement le gouvernement et les forces de sécurité de s’assurer que le climat
permette la sécurité des représentants des organisations non gouvernementales
et de la société civile, notamment en révisant la législation sur l’utilisation
de la force lors de rassemblements publics;

11.     souligne
l’importance de garantir et d’encourager un paysage médiatique pluraliste,
indépendant et libre au service de la démocratie; demande instamment aux
autorités de la République de Guinée de cesser immédiatement toute forme de
harcèlement et d’intimidation des journalistes, et en particulier de mettre un
terme à la suspension arbitraire des cartes de presse, de respecter les droits
individuels des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui
travaillent dans le pays et de veiller à leur sécurité, afin qu’ils soient en
mesure de couvrir ou de surveiller la situation du pays dans le domaine
politique et en matière de droits de l’homme;

12.     critique
vivement l’incarcération d’Abdourahmane Sanoh et d’autres dirigeants de
l’opposition et de la société civile; demande la libération immédiate des prisonniers
politiques du pays ainsi qu’une enquête sur les accusations courantes de
mauvais traitements infligés aux prisonniers;

13.     invite
les autorités de la République de Guinée à cesser d’exproprier la population de
leurs terres ou de leurs biens, tant qu’elles ne seront pas en mesure de
respecter les droits des résidents, notamment en matière de préavis suffisant,
d’indemnisation et de réinstallation avant expropriation; souligne qu’il
conviendrait d’accorder une indemnisation adéquate à toutes les personnes
expropriées de force et non encore indemnisées;

14.     rappelle
qu’il est crucial que la République de Guinée coopère avec des partenaires
régionaux afin de renforcer ensemble la démocratie, le développement et la
sécurité; exhorte les autorités de la République de Guinée à collaborer
étroitement avec des organisations régionales, notamment la CEDEAO, afin de
rétablir les libertés fondamentales, d’enquêter comme il se doit sur les
violations des droits de l’homme perpétrées au cours des manifestations et de
mener une transition démocratique pacifique; rappelle que la solution à la
crise actuelle doit passer par un dialogue interguinéen ouvert et accessible
associant le gouvernement et les groupes d’opposition; indique en outre que la
CEDEAO et les pays limitrophes de la République de Guinée peuvent jouer un rôle
central dans la promotion et la continuité d’un dialogue interguinéen; rappelle
que la CEDEAO a envoyé 70 observateurs pour participer à la mission
d’observation électorale de la CEDEAO lors de l’élection présidentielle du
22 novembre 2019 dans la République de Guinée; invite le gouvernement
guinéen et la CEDEAO à collaborer étroitement afin que les élections de 2020 se
déroulent de manière pacifique et revêtent un caractère représentatif; prie la
Commission et les États membres de suivre les recommandations formulées dans
l’examen périodique universel de janvier 2020 relatif à la République de
Guinée, notamment en ce qui concerne le droit à la vie, à l’intégrité physique
et à la liberté d’expression et de réunion pacifique ainsi que l’usage de la
force et l’impunité; incite les autorités de la République de Guinée à
participer de manière significative au prochain examen périodique universel du
Conseil des droits de l’homme des Nations unies, notamment en permettant aux
Nations unies d’accéder sans entraves au terrain, puis à appliquer pleinement
les recommandations que formulera le groupe de travail;

15.     exhorte
l’Union européenne à surveiller attentivement la situation dans la République
de Guinée et à demander des comptes au gouvernement sur toute violation
d’engagements et d’accords dans le cadre du droit international en matière de
droits de l’homme, notamment les articles 8, 9 et 96 de l’accord de
Cotonou;

16.     invite
le vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l’Union
pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR) ainsi que le
Service européen pour l’action extérieure (SEAE) à poursuivre le dialogue
politique, notamment au titre de l’article 8 de l’accord de Cotonou, en
vue de réduire rapidement les tensions dans le pays et d’aider, si nécessaire,
dans la préparation d’élections pacifiques, par exemple au moyen d’activités de
médiation et de mesures de lutte contre les violences en amont et en aval des
élections; demande également au VP/HR et au SEAE de collaborer avec les
autorités de la République de Guinée, la CEDEAO, le Bureau des Nations unies
pour les droits de l’homme dans la République de Guinée, la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que le représentant
spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, afin de
déterminer une stratégie commune pour résoudre la crise politique actuelle;

17.     se
félicite que le 11e FED ait mis l’accent sur le soutien à l’état
de droit dans la République de Guinée; prie vivement la Commission et le SEAE
de continuer à soutenir le renforcement de la société civile et des
institutions publiques indépendantes;

18.     invite
la délégation de l’Union européenne dans la République de Guinée à ne pas
cesser de surveiller la situation de la société civile indépendante dans le
pays, d’observer les procès des prisonniers politiques et d’aborder, dans son
dialogue avec les autorités de la République de Guinée, la question des droits
de l’homme dans le pays; demande à la Commission de suivre de près la situation
dans la République de Guinée et de faire régulièrement rapport au Parlement;

19.     charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au président et au Parlement de la République de Guinée, aux institutions de la CEDEAO, à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE ainsi qu’à l’Union africaine et à ses institutions.


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