Cher Alpha Condé « L’État de droit exige soumission au droit » [Lettre ouverte – Par Mamadou Ismaïla KONATÉ]


À Monsieur Alpha CONDÉ

Président de la République de Guinée

Chef de l’État

Monsieur le Président,

Cher Alpha,

Depuis l’annonce de votre initiative de réforme
constitutionnelle, une énorme suspicion entoure cette initiative et nombreux
sont ceux, Guinéens ou autres citoyens du continent, qui vous accusent de vouloir
poursuivre le dessein funeste d’un troisième mandat, et ce en violation de tous
les engagements.

Au fur et à mesure que le terme de votre second et
dernier mandat approche, votre velléité de briguer un troisième mandat apparaît.
Il transcende encore plus nettement, contre le gré de nombreux Guinéens plutôt
déterminés à se dresser contre ce qui leur apparaît comme une violation
inattendue et inacceptable des règles qui vous lient à la Guinée. 

Cela est une évidence depuis votre annonce de coupler
élections législatives et révision constitutionnelle via référendum. Plus
personne ne doute de votre volonté de briguer un troisième mandat. 

D’ailleurs, interrogé au sujet d’une éventuelle
candidature, vous avez indiqué clairement à la presse qu’il revient plutôt à
votre Parti, le RPG, de désigner son candidat. J’imagine que vous ne diriez pas
non si ce choix se portait sur vous.

Sans ambages ni détours, votre volonté est constante de
détourner la loi fondamentale – à votre profit et pour votre intérêt
personnel -, pour atteindre votre objectif de vous maintenir au pouvoir sans
droit ni fondement.

Au-delà de la Guinée, c’est tout le continent et le
monde qui s’élèvent désormais contre le principe même de la violation du terme
constitutionnel des mandats politiques. Dans un continent comme l’Afrique, qui
ne conçoit plus que les actions de ses dirigeants franchissent le cadre légal, s’il
y a par nature et par essence une faute lourde et inexcusable c’est bien ce
type de geste et toutes les attitudes qui l’entourent.

Monsieur le Président, l’État et la République sont
régis par des principes, vous ne pouvez ni ne devez l’ignorer.

Monsieur le Président, le respect scrupuleux des
principes qui régissent l’État et la République s’impose à tous les gouvernants. 

  • L’État de droit et la démocratie sont
    essentiels à une époque où la gouvernance est confrontée à des choix ultimes et
    difficiles pour la lutte contre la terreur, le développement, la bataille
    contre les pandémies. Les incidences politiques et institutionnelles sont souvent
    imprévisibles. 

N’est-ce pas le cas pour vous aujourd’hui en Guinée ? 

Je ne préjuge guère quant à la véritable posture qui
sera en définitive la vôtre durant les derniers jours qui vous séparent encore
de la date fatidique que vous avez fixée pour tenir ce double scrutin. 

Je ne préjuge pas non plus du sort de la Guinée et des
Guinéens le lendemain de ce double scrutin.

Je ne suis pas devin non plus pour prédire ce que sera
votre propre sort, Monsieur le Président, mais dans tous les cas, j’imagine qu’il
sera tout pour vous sauf le bonheur.

Un proverbe de la culture mandingue, qui nous est si chère
à tous les deux et que nous partageons, ne dit-il pas que lorsque vos amis ne
sont plus capables de vous dire la vérité en face, il faut aller implorer vos
ennemis et les payer s’il le faut pour qu’ils vous disent cette vérité.

Monsieur le Président, votre décision de réviser la
Constitution guinéenne est un droit qu’il vous revient de mettre en œuvre en
votre qualité de Président de la République. Une telle décision est même légale
puisque la Constitution que vous voulez anéantir l’a prévue.

En
homme averti, pensez-vous que cette décision vers laquelle vous vous dirigez aujourd’hui
est véritablement légitime ?

Toujours en pays mandingue, il est dit que lorsqu’une
situation vous embarrasse, prenez soin de regarder à gauche et à droite et
scrutez les regards et les visages de ceux qui vous entourent.

En ce qui vous concerne, regardez à votre gauche et
vous vous rendrez compte qu’en Guinée, ceux qui s’opposent à votre révision
constitutionnelle sont nettement plus nombreux que ceux qui vous y encouragent.
À votre droite, vos vrais amis, en Guinée et ailleurs, ne cessent de vous
alerter et vous appellent à la retenue. Ils vous invitent à suspendre votre
initiative et à reculer.

Ne rajoutez pas à la témérité l’arrogance et le dédain !

Monsieur le Président, je vous sais homme déterminé, à
la limite de l’acharnement et de la témérité. Pensez-vous qu’une telle
détermination vous aurait conduit à sortir de prison, tout seul et sans aucune aide,
après une mise en cause inique et un procès injuste dont vous avez été l’objet,
et durant lequel j’ai été auprès de vous, aux côtés de plusieurs autres avocats ?

Au-delà, nombreux sont vos amis qui sont inquiets pour
vous et mal à l’aise. Ils ont mal dans leur être et leur conscience de vous
laisser tout seul, face à votre détermination à affronter le feu qui finira sans
aucun doute par vous brûler.

Pouvais-je rester insensible dans une atmosphère
politique guinéenne si délétère et invivable, qui donne un signal de danger de mort ?

Je n’en suis pas si sûr dans la mesure où, jusque-là,
je me suis abstenu de m’exprimer publiquement sur ce sujet pour ce qui vous
concerne. Je me suis abstenu de vous mettre personnellement en cause pour des
raisons que vous devinerez aisément.

Devant l’insupportable, je prends l’option de m’adresser à vous aujourd’hui. J’en appelle au militant que vous êtes. Je m’adresse à votre conscience première, la plus ardente, celle de l’époque des combats d’antan, épiques et légitimes, menés contre la dictature, la tyrannie de la violation du droit et la négation des libertés fondamentales qui ont anéanti l’homme africain.J’ose imaginer, Monsieur le Président, qu’il vous reste encore quelque jugeote pour prendre la mesure, toute la mesure, du danger qui vous guète, pour arrêter la marche fatale qui vous conduit plus vers la décadence que vers la gloire. 

Monsieur le Président, je vous imagine capable d’un sursaut
et vous sais incapable de résister longtemps à l’appel des bisaïeuls, qui
vous demandent de changer de côté et de chemin.

Vos pairs d’Afrique sont mécontents du niet insoutenable
que vous leur avez signifié aujourd’hui lorsqu’ils ont souhaité venir en
Guinée, pour palabrer avec vous et les autres protagonistes de ce qui apparait
aujourd’hui comme la crise guinéenne. 

L’Organisation Internationale de la Francophonie, la
Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, la Communauté économique des
États de l’Afrique de l’Ouest, et peut-être bientôt l’Union Africaine, vous ont
tourné le dos ou le feront. Le spectre de la Guinée de Sékou TOURÉ renaît avec
vous et par vous. Êtes-vous devenu subitement un adepte de Sékou TOURÉ et de ses méthodes sanguinaires ? Êtes-vous
devenu celui qui mènera la Guinée vers l’abîme ?

Monsieur le Président, vous avez encore le temps et
l’occasion de faire mentir tous vos détracteurs en leur disant qu’il s’agit là
d’une vilaine rumeur. Dressez-vous contre cela et rejoignez Jacques ATTALI, qui
affirme que la « rumeur agit comme un virus » et qu’elle est « le
pire » de tous les virus puisqu’elle « détruit les défenses
immunitaires de sa victime ».

Monsieur le Président, ne soyez victime d’aucune
rumeur ni d’aucun entêtement, ne soyez pas téméraire ni obtus. 

Monsieur le Président, agissez vite contre cette
rumeur et tuez-la au plus vite, avant qu’elle ne devienne virus… pour vous
emporter.

Parce que, Monsieur le Président, en laissant plus
longtemps ce virus vivre et se propager, il viendra très vite assombrir de
nuages le ciel pourtant dégagé de la Guinée. C’est vous qui le dites, en partie
du fait de votre leadership. Vous aspirez encore à éclairer la Guinée, mieux et
plus que la lampe à pétrole.

Monsieur le Président, la Guinée et les Guinéens ont-ils
plus besoin de lumière ou de modification de la Constitution ? Y incorporer
des dispositions nouvelles, alors même que sa mise en œuvre n’a signalé aucune
anomalie ? L’anéantir d’un coup, au profit d’une autre que l’on imagine
meilleure puisque relookée ?

Monsieur le Président, n’est-ce pas cette même Constitution qui vous a installé au pouvoir et vous a permis d’exercer paisiblement un pouvoir absolu depuis une décennie ?

Monsieur le Président, le confort constitutionnel
actuel dont vous jouissez est le premier signe évident de l’expression par les Guinéens
de leur liberté. C’est leur volonté affirmée et jamais démentie de ne pas cautionner
un pouvoir indéfini, qui perdure dans le temps et n’a pas d’autre limite que l’infini.

Avant votre ère, Monsieur le Président, les Présidents
Ahmed Sékou TOURE et Lansana CONTÉ se
sont renouvelés au pouvoir autant qu’ils l’ont voulu. Pour y parvenir, ils ont
fait passer leur souhait personnel de demeurer au pouvoir comme émanant du
peuple entier, « dévoué » pour la Guinée. Vous avez personnellement
pâti de cette suprématie et de cette manière prégnante d’exercer le pouvoir en
Guinée. 

Monsieur le Président, cette époque est révolue en
Guinée, mais également en Afrique, et vous avez contribué à l’enterrer.

L’heure est à l’affirmation du droit et à la suprématie de la loi, qui doit être scrupuleusement respectée !

Monsieur le Président, j’affirme ces exigences
nouvelles. En les évoquant, j’ai le souvenir de deux douzaines d’avocats,
alignés au tribunal de Conakry, pour vous, à l’entrée du bureau du procureur de
la République. C’était la veille de l’ouverture du procès qui vous a fait comparaître,
pour exiger des autorités du ministère public guinéen de vous rencontrer
préalablement et impérativement, sous peine de boycotter l’audience du
lendemain. 

Ce fut fait comme demandé !

Cette demande, exprimée avec insistance, presque par
la force, par vos avocats-défenseurs dont j’étais, vous a permis de les
rencontrer. Plus de la moitié de ces défenseurs, venus de l’étranger, étaient
révoltés à la vue de cette ignoble prison de Conakry dans laquelle vous avez
été gardé, en violation sans cesse répétée de vos droits fondamentaux de
citoyen et des libertés de l’homme politique que vous étiez, injustement
emprisonné et bafoué.

Vous êtes devenu, après toutes ces péripéties,
Président de la République, Chef de l’État, et vous avez prêté serment pour respecter
la Constitution guinéenne et l’observer scrupuleusement.

Monsieur le Président, l’État de droit exige
soumission au droit, y compris lorsqu’il s’agit du premier personnage de Guinée,
que vous êtes devenu aujourd’hui. 

Dans ce pays, il est aujourd’hui question de
modification et/ou de révision constitutionnelle. Dans un tel cadre, faut-il aller
jusqu’à penser ou croire que les exigences de l’État
de droit, notamment la soumission au droit, ne concerneraient plus que les autres ?
Elles ne concerneraient donc jamais ceux qui, comme vous, ont à cœur de servir
le pays et la nation en suivant leur seule conception du pouvoir et du devoir,
même si elle est aux antipodes de ce que ressent la plus grande partie du
peuple ? 

Faut-il dans ce cas poursuivre le bon service à la
nation sans fin ni aucune limite, contre la volonté du peuple dont on dit être le
représentant ?

Monsieur le Président, la modification de la
Constitution devient dans ce cas la nouvelle trouvaille politico institutionnelle
du génie politique africain. Le but visé devient celui de clouer le bec à la
limitation de mandat, acquis depuis les années 1990, pour passer par le
changement de régime et faire le bond de la limitation du mandat.

L’homme politique est au pouvoir sans fin, sa volonté
est supra humaine et infra divine.

Monsieur le Président, même si dans leur rêve le plus
démoniaque des fils de Guinée en venaient à vous demander de mettre en œuvre un
tel dessein, il vous reviendrait d’y renoncer d’entrée de jeu. Il faudrait
mettre en avant les exemples douloureux des première et seconde républiques
guinéennes, qui n’ont pas apporté que du bonheur sur ce plan.

Monsieur le Président, il vous reviendra également de
reculer face à une telle offre, en rappelant aussi le sort de vos pairs
africains qui se sont frottés à cette modification-changement de régime et qui en
ont eu pour leur grade.

Enfin, Monsieur le Président, le sort préoccupant des
jeunes de Guinée devrait vous inquiéter plus encore. Ne pas rajouter à leurs
douleurs de l’ignorance, du désœuvrement et de la déperdition, celle de l’exode
ou du sang. Ce serait la seule issue qui s’offrirait à eux dans un pays
disloqué de votre fait par les effets d’une crise aux relents politiques et sociaux.

Face à un tel scénario, j’ai été incapable de rester silencieux et de ne pas réagir vis-à-vis de vous. Il fallait que je vous parle. De vous à moi… n’y allez pas, c’est dangereux !

Je me suis persuadé de vous adresser la présente pour
en appeler à votre esprit d’antan, mais également à votre responsabilité ultime.
Elle m’apparaît être celle qui vous engagera demain et fera évoquer votre nom
et votre personne en bien ou en pire. Comme ceux qui vous ont précédé à la
place qui est la vôtre aujourd’hui, vous ne serez alors, comme eux, plus de ce
monde.

Monsieur le Président, il est encore temps de cesser ce qui peut encore être considéré comme une méprise de votre part, avant que cela ne soit la source de discordes. Cette Guinée a besoin d’aller de l’avant, plus loin que vous ne l’avez menée.

Monsieur le Président, la fonction suprême que vous
avez incarnée et assumée dans ce pays ne vous autorise pas à aller à
contre-courant de l’histoire de la Guinée et de l’Afrique. La vocation ultime des
institutions est désormais la construction de l’État de droit et de la
démocratie, l’affermissement de la paix et de la concorde.

Monsieur le Président, entendez ma voix quand elle
sonnera dans vos oreilles avec des milliers d’autres, qui viendront vous dire
la même chose… Si vous les entendiez de manière plus véhémente, ce ne serait
pas de votre goût et vous laisserait moins de répit pour agir et vous ressaisir.

Monsieur le Président, que les voix et les esprits
d’Afrique vous parlent et que vos actions soient ultimement dirigées vers le
bonheur du peuple de Guinée. Pour cela, vos efforts doivent inspirer l’Afrique
et ses fils.

Mamadou Ismaïla KONATÉ

Avocat aux barreaux du Mali et de Paris

Ancien garde des Sceaux et ministre de la Justice du Mali

Ancien défenseur d’Alpha CONDÉ, opposant politique de Guinée