CENI : la guerre entre le président et le vice-président par lettres circulaires

En réponse à la lettre circulaire du président de la CENI Salif Kébé demandant
aux présidents des démembrements et aux personnels administratif et technique
de l’institution, à ne recevoir ou mettre en exécution aucune instruction
venant des sept Commissaires qui ont annoncé leur retrait du processus
électoral, le vice-président de l’institution Elhadj Mamadou Bano Sow a invité ces
mêmes démembrements, personnels administratif et technique de ne pas se
soumette aux injonctions du président de la CENI. Une cacophonie au sein de l’institution
en charge des élections qui témoigne de la déliquescence des institutions
guinéennes de façon générale.

Dans une déclaration rendue publique le 17 décembre
dernier, sept commissaires de la Commission électorale nationale indépendante
de la Guinée ont annoncé leur retrait du processus électoral des
législatives. Ils dénoncent entre autres le processus électoral en cours
et disent être « dans l’incapacité d’établir les statistiques à savoir
combien d’électeurs enrôlés, combien de nouveaux et combien de mise à
jour », condamnent « le blocage de l’accès aux résultats de
dédoublonnage », « la confiscation des données et cette mise à
l’écart des commissaires dans le traitement des données au site central »,
« la non mise à disposition par l’Etat, des fonds nécessaires à la
conduite des opérations d’une telle envergure.





Législatives de février 2020 : l’ombre des élections passées plane [Par Lamarana Petty Diallo]


La Guinée
parle encore d’élections comme en 2010, 13 et 15. Autant dire qu’on en a
l’habitude. Et de quelle manière ?


Les Guinéens
ont toujours payé le prix fort avant, pendant et après toute élection en y
laissant leur vie. Ils meurent, plutôt sont tués, pour des résultats, le plus
souvent, futiles, inutiles et puérils. Les revendications post-électorales, les
unes plus sanglantes que les autres n’ont jamais rien donné. A moins que ce ne
soient des négociations stériles et contre-nature.

Les élections qui s’annoncent ne semblent pas vouloir déroger à la règle. Les prémices sont là : visibles, connues mais paradoxalement ignorées de tous. Pourtant, le professeur a déjà dit haut et fort ce qu’il en est. A ses ouailles d’appliquer la sentence et les Guinéens sont avertis :

« Dans les autres pays où il y a de nouvelles constitutions, il y a eu beaucoup de manifestations, il y a eu des morts, mais ils l’ont fait ».

Alpha Condé, dans une interview au Monde – 24 octobre 2019

Le message
est on ne peut plus clair. Les législatives qui se dessinent sont le prélude
des présidentielles. Comme tel, il faut utiliser, comme à l’accoutumée,
l’ultime recours. Résultats, une vingtaine de morts qui s’additionnent à la
centaine enregistrée entre 2010 et maintenant. Toujours pour les mêmes raisons :
les élections. Les mêmes résultats : l’échec.

Telle est la
logique guinéenne : les uns se font tuer pour que les autres règnent de
père en fils. Si ce n’est mourir pour des hommes et des femmes sans conviction
et sans idéal.

Les uns se battent, meurent et d’autres sont élus. Les familles pleurent, des personnes, souvent non méritantes sont élevées au rang de titres ronflants : « Honorable », « Excellence ».

Certains
pleurent du moment que d’autres chantent, gambadent sur tous les coins du
territoire pour crier victoire.

Parmi les
élus figurent, le plus souvent, des transfuges du pouvoir ou de l’opposition.
Certains sont de simples chefs de partis familiaux ou de meneurs de bandes de
quartiers, des opportunistes tout poil qui se font élire sur la liste de partis
politiques auxquels ils n’ont jamais appartenu.

Élus, ils plastronnent quelques temps sur les tribunes des assemblées générales de leurs partis adoptifs avant de se barrer pour rejoindre le grand manitou.

A force de
lécher bottes et bottines, de se frotter au sol jusqu’à l’usure du dernier
pantalon, ils se voient bombarder ministre, souvent avec le statut tant
convoité de « ministre d’Etat ». Aujourd’hui, c’est eux qui sont
envoyés discuter avec leur mentor d’hier.

Mais
attendons car si l’épine négocie avec la plante- du pied, on verra bien qui
choisira la partie qu’il faut piquer ou épargner.  Dans tous les cas,
aucun résultat ne serait être pire que les précédents.

Dorénavant,
les points non négociables sont connus par l’une et l’autre partie. La question
du troisième mandat et ses avenants. Inutile d’en débattre car la chose est
déjà dans l’escarcelle de l’adversaire à moins que le FNDC passe à la vitesse
supérieure en fixant une finalité plus audacieuse à ses revendications.

Troisième
mandat ou pas, une chose est claire. Si en Guinée, il y a enrôlement des
électeurs pour les législatives, à l’étranger, il y a « enroulement.
 Terme dont l’usage scientifique signifie : unité déviable convenant à la
manipulation ».

Dans
plusieurs pays où vivent les Guinéens tant en Afrique, en Europe qu’ailleurs,
on n’enrôle pas. On roule dans la farine. Il est fort à craindre que tel ne
soit le cas dans le territoire guinéen aussi. Les faits sont parlants par
eux-mêmes.

  • Les ordinateurs et autres outils informatiques utilisés sont obsolètes et d’usage aussi hésitant qu’un pas de caméléon. Ils ne permettent pas d’enrôler plus de vingt (20) personnes par jour. Ils s’arrêtent au beau milieu des opérations comme un baudet qui refuse de porter le fardeau de son maître. A croire que nos machines informatiques sont télépathiquement liées à la CENI.  A moins qu’il ne s’agisse d’une lenteur humainement orchestrée.
  • Quant aux consommables, on pourrait se demander si certains agents recenseurs ne les prennent pas au mot : en consommant tout simplement ce qui est consommable par nature.
  • Les passeports non biométriques ne sont pas autorisés alors que leur délivrance a été stoppée depuis longtemps. Dans tous les cas, combien de Guinéens en disposent à l’étranger ?
  • A défaut de passeports, c’est la carte consulaire qu’il faudrait présenter. Mais la signature et la délivrance journalière ne doivent pas dépasser le nombre magique de vingt par jour : histoire de ménager les phalanges de son excellence qui souffriraient peut-être d’arthrose. Dans tout ça, la priorité revient à certains. Deviez lesquels ?
  • Les demandes ont rarement de suite favorable. L’absence de réponse touche tout particulièrement les provinces (départements et régions) hors Paris et sa région.
  • Le tâtonnement dans la rédaction sur papier des noms et prénoms vient alourdir les handicaps soulevés. La lenteur des recenseurs parachève celle des machines et renforce la longue chaine des blocages.
  • La dichotomie entre manifestations du FNDC, l’appel des leaders politiques à participer au processus d’enrôlement, la négociation avec le pouvoir et la demande d’arrêt de l’enrôlement des électeurs a sans aucun doute impacté la motivation.

Par
conséquent, l’annonce fondée ou non de la demande d’arrêt de l’enrôlement, qui
a été publiée sur le net et jamais démentie par l’opposition, a quelque peu
semé le trouble dans les esprits des Guinéens vivant loin du pays.

Tout semble
indiquer que rien n’a été ménagé pour que le processus d’enrôlement reproduise
les méthodes du passé. Les cas de la France, du Sénégal, de l’Angola et
d’ailleurs illustre parfaitement cette hypothèse.

A bien
observer, on se rend compte qu’on est plus dans une opération- marketing dont
le but est de clamer au monde entier : ” il y a eu un enrôlement au
niveau national et à l’extérieur. Par conséquent, tous les ingrédients d’une
bonne élection sont réunis. Prendre pour preuve les missions qui sillonnent
actuellement les pays étrangers sera d’autant plus approprié. Les scènes de
contestation à l’ambassade de Guinée au Sénégal ne suffiront pas à ternir
l’image du processus. Pourtant, des cas de blocages se sont produits loin des
écrans dans d’autres pays.

Si la
situation générale du processus de recensement est un peu partout similaire à
celle de l’étranger, l’opposition guinéenne prendrait de grands risques de
participer aux législatives de février 2020. Elle devrait bien réfléchir pour
savoir quelle option adopter : aller aux législatives dans la
quasi-assurance de perdre ? Revendiquer, comme d’habitude une victoire
qu’elle ne peut avoir dans les circonstances actuelles ?

Cette fois-ci, plus que par le passé, au rythme où vont les choses et à quelques jours de la clôture des opérations d’enrôlement, aucun parti ne peut se faire prévaloir d’un taux élevé de militants ou sympathisant enrôlés. En outre, le scénario mis en place permettrait difficilement à l’opposition de contester les résultats. Une méthode beaucoup plus affinée, réfléchie et extérieurement bien colorée en « recensement transparent » semble avoir été pensée en amont par l’adversaire.

Pour 2020,
il semble avoir s’être penché n’aura sur la manière de gagner par le
recensement des électeurs. Un recensement entamé bien avant celui en cours.

Par
conséquent, s’il gagnait par la manipulation des résultats, fraudait dans les
unes et, vraisemblablement, durant les décomptes, il n’aura plus besoin de la
faire. Si tout se passe comme à l’étranger, le nombre potentiels de votants
recensés le met loin devant. Cela lui donne plus de crédibilité face à la
communauté internationale : notre médecin post-mortem.

Dans la
logique actuelle et au vu des faits déjà dénoncés, le panier de la victoire ne
semble pas pencher du côté des adversaires du régime en place. L’enrôlement des
mineurs constaté dans certaines régions de la Guinée et qui ne serait que la
part visible de l’iceberg, pourrait bien avoir son pendant à l’étranger. D’une
autre manière, avec des pratiques plus abruptes, voit-on.

Dans tous les cas, les échéances électorales qui s’annoncent risquent d’être source d’un double avènement : enfantement des uns et enterrement, politiquement parlant, des autres.

Aux
différents partis de l’opposition de savoir comment s’inscrire dans l’une des
perspectives.


M. Lamarana Petty Diallo, Guinéen- Professeur Hors-Classe, lettres-histoire, Orléans- France/ lamaranapetty@yahoo.fr




L’opposition guinéenne demande l’arrêt des opérations d’enrôlement en cours [Déclaration]


Déclaration

Les images d’enrôlement de mineurs de moins de 10 ans dans les CAERLE, relevées dans les fiefs proches du RPG, sont de notoriété publique. Elles ont largement été diffusées sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Ces images sont choquantes et traduisent l’intention manifeste du pouvoir de remplir le fichier de mineurs dans le seul dessein d’assurer le troisième mandat soit par le referendum soit par les législatives. Le communiqué du Président de la CENI en date du 1er décembre 2019 a d’autant moins rassuré que nous avons assisté à l’intensification de ces pratiques frauduleuses depuis lors. Ce sont ces mêmes pratiques frauduleuses qui avaient permis au Président Alpha Condé de se faire réélire en 2015. L’enrôlement des mineurs que nous constatons dans la révision en cours est sans précédent de par son ampleur et son caractère discriminatoire. Ces pratiques sont de nature à affaiblir considérablement les fondements de l’Etat et constituent, avec la violence d’Etat, les principales armes du régime actuel pour se pérenniser.

Ainsi, comme pour les précédentes élections, le
pouvoir d’Alpha Condé prépare une mascarade électorale à l’aide d’un processus
émaillé de nombreuses irrégularités dont entre autres :

  • L’enrôlement réduit à 25 jours alors que le code électoral prévoit 3 mois. 25 jours pour enrôler ceux qui ont atteint l’âge légal de voter depuis 2015 (dernière date de la révision de la liste électorale) ; radier tous les électeurs décédés et ceux qui sont indûment enregistrés ; et procéder, à titre exceptionnel pour cette révision, au ré-enrôlement des 6 042 643 électeurs qui sont déjà dans la base de données, conformément à la recommandation principale du rapport d’audit du fichier électoral.
  • L’envoi dans les fiefs réputés proches du pouvoir des commissaires représentant le RPG à la CENI avec l’appui de l’Administration inféodée a permis le recensement sans retenue des mineurs dont les images scandaleuses inondent les réseaux sociaux.
  • La visite opportuniste d’Alpha Condé en Haute Guinée dès l’ouverture de la période d’enrôlement. Ses discours aux accents de campagne ont été entendus par les cadres de son parti et leurs affidés de l’Administration comme un appel pour exécuter les basses pratiques habituelles sur le processus électoral en leur donnant encore plus d’ampleur.
  • Les nombreuses difficultés enregistrées dans les opérations de révision sur le terrain. Plus particulièrement dans les fiefs considérés proches de l’opposition : arrivée tardive et pannes fréquentes des kits, retards importants dans le démarrage des opérations dans plusieurs CAERLE, insuffisance et parfois manque de matériel et de consommables (rupture organisée des récépissés) avec les risques sur l’enrôlement liés à la non délivrance des récépissés qui sont la preuve d’une inscription sur la liste électorale. De tels actes discréditent la CENI et augurent de façon certaine des conflits électoraux ou post électoraux aux conséquences imprévisibles.

C’est pourquoi, dans le souci de préserver la
paix sociale, nous demandons l’arrêt du processus en cours afin de prendre de
manière concertée les mesures correctives nécessaires pour rendre plus crédibles
les prochaines élections.

L’opposition réitère sa ferme volonté à œuvrer
pour la consolidation de la démocratie et réaffirme sa détermination à exiger
que les conditions de transparence soient réunies pour la tenue des prochaines
élections. Elle rappelle également la nécessité de mettre en œuvre les
recommandations contenues dans le rapport d’audit du fichier électoral. Les
partis politiques de l’opposition invitent l’ensemble des guinéens à rester
mobilisés pour faire échec à la volonté de confiscation des suffrages des
citoyens.

Conakry, le 05/12/2012





SCAN : « si l’opposition va aux législatives en février, ça sera seulement pour accompagner Alpha Condé » Aliou Barry


Aliou Barry, chercheur en
géopolitique et consultant sur les questions de paix, de sécurité et de défense
(Décembre 2019, Lynx fm)

« On n’a pas achevé le processus des élections
communales. Curieusement, tout le monde parle de législatives, alors qu’on n’a
pas installé les chefs de quartier qui sont les croix essentielles pour un
hold-up électoral. [   ] Partout où il y
a un fort électoral de l’opposition, il n’y a pas de récépissé, les machines
sont en panne. Donc, si l’opposition va aux législatives en février, ça sera
seulement pour accompagner Alpha Condé »

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Bah Oury, président de l’UDD (Décembre 2019)

« Nous
souhaitons que le Président Alpha Condé soit également à l’écoute de son
peuple. Et son peuple lui demande de renoncer à ce changement constitutionnel
qui ne pourra rien apporter de bon au pays, ni à lui même, ni au RPG (…) »

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Sidya Touré, président de l’UFR (Novembre 2019)

« Les anciens du RPG qui se sont battus pendant 20 ans
sont dans la misère. Même une vielle maison ils n’en ont pas. Ce sont ces
opportunistes qui font la campagne d’une présidence à vie ou de changement de
constitution qui sont en train de s’enrichir »

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Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG (Novembre 2019)

« Cette révision se fait dans des conditions chaotiques
parce qu’il n’y a aucune organisation. Il y a un sabotage par l’institution
chargée d’organiser les élections, la CENI et le gouvernement de la République
qui devait veiller à ce que tous les guinéens puissent s’enrôler et voter.
Mais, malheureusement, nous constatons qu’il y a une sainte pagaille partout
dans le pays. On empêche les gens de s’enrôler dans les fiefs de l’opposition
en disant qu’il n’y a pas de consommables, il n’y a pas de récépissés, la
machine est en panne, l’agent est malade »

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Aliou Bah, président du Model (Novembre 2019)

Sur la révision du fichier électoral : « un échec, une
catastrophe parce que la loi a été d’abord violée. Au lieu de trois mois prévus
par la loi en termes de révision ordinaire, la CENI a imposé un calendrier de
révision extraordinaire de 25 jours »

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Alpha Condé, président guinéen (Novembre 2019)

« L’avenir de la Guinée se décide en Guinée et ça sera
fait par le peuple de Guinée ; comme nous l’avons fait en 1958. N’ayons
peur de rien sauf Dieu, car unis, nous sommes capables d’aller loin »

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Un scan réalisé par Sékou Chérif Diallo





Guinée : ma CENI et mon fichier, le « trousseau de l’autocrate »


Les signes sont inquiétants, les incertitudes se multiplient, les positions se radicalisent, les enjeux sont importants, les élections à venir en Guinée présentent tous les éléments d’alerte d’une crise majeure.


En affirmant lors d’un meeting de soutien à N’Zérékoré le 16 novembre 2019 qu’il y a désormais « deux Guinée », Alpha Condé ôte le manteau de président censé rassembler tous les guinéens (qu’il n’a d’ailleurs jamais véritablement porté) pour celui d’un autocrate prêt à tout pour se maintenir au pouvoir aux termes de ses deux mandats consécutifs. La réalisation de ce projet plongera le pays dans une profonde instabilité politique, sociale et économique. Tous les scénarios sont ouverts. Revivre les périodes sombres de coup d’état serait tout simplement catastrophique pour ce pays. En affaiblissant les institutions et les instruments légaux de transfert du pouvoir, Alpha Condé fait le travail préalable que tout potentiel putschiste aspire : avoir des raisons valables de passer à l’acte et compter sur la légitimation de la subversion par le peuple.

En Mauritanie, lorsque le général Aziz prend le pouvoir en août 2008,
il affirme vouloir « sauvegarder les acquis démocratiques » en accusant
le président déchu d’avoir violé « les dispositions de la
Constitution », de n’avoir rien fait contre la hausse vertigineuse des
prix des denrées alimentaires, d’avoir « créé un climat propice à la
généralisation de la mauvaise gestion, du détournement des deniers
publics et de la corruption ». La légitimité des coups d’Etat se construit également sur l’idée d’un risque de troubles ethno-tribaux,
en renvoyant l’instabilité potentielle du pays non seulement à une
mauvaise gestion politique et économique, mais aussi à une nature
intrinsèquement anarchiste de la société. L’appropriation de tels
arguments dans le contexte guinéen est aujourd’hui facilitée par les
agissements du pouvoir de Conakry.

Certes, un chef d’Etat peut toujours compter sur des loyalistes au
sein de la grande muette pour protéger son pouvoir mais parfois les
évènements s’accélèrent de façon inattendue. Au Soudan, tout à commencer
par une décision du gouvernement de confier les importations
céréalières au secteur privé, qui a occasionné l’augmentation du prix du pain. Pour des raisons bien calculées, les officiers militaires soudanais ont préféré sacrifier le puissant Omar El Béchir.

La Guinée doit réussir sa première transition pacifique du pouvoir.
Il revient à la majorité rassemblée autour de l’esprit du FNDC de
combattre tous les projets (le plus souvent pilotés par de groupes
d’individus aux intérêts convergents) qui mettraient en péril la paix et
la stabilité du pays. Après avoir été une terre d’accueil pour des milliers de sierra léonais,
libériens et ivoiriens, la Guinée ne peut se permettre de sombrer dans
le chaos parce que tout simplement un petit groupe a décidé de modifier
les règles du jeu démocratique qui garantissent la paix, la stabilité et
le vivre ensemble.

Manipulation du fichier électoral

Depuis le 21 novembre 2019, les opérations d’enrôlement et de révision du fichier électoral se déroulent sur toute l’étendue du territoire national en prélude aux élections législatives du 16 février 2020.

La problématique du fichier électoral a toujours été au centre des
crises de confiance entre les acteurs politiques guinéens. L’opposition
politique n’a cessé de dénoncer les « anomalies » sur le fichier
électoral. Selon Sidya Touré,
président de l’Union des forces républicaines (UFR), le fichier
électoral « comporte plus d’un million et demi d’électeurs fictifs
répartis dans les régions de Kankan, Faranah, Nzérékoré et même Labé ».
C’est aussi l’avis de Aliou Condé,
le secrétaire général de l’Union des forces démocratiques de Guinée
(UFDG) « Le fichier électoral comporte 77 % d’anomalies, trois millions
de personnes, soit la moitié de l’électorat, n’ont pas de données
biométriques ». Si le président de la CENI dément l’existence de fictifs,
en reprenant une des conclusions du rapport d’audit à savoir des
électeurs inscrits mais dont les données biométriques sont manquantes,
les signalements des cas d’enrôlement de mineurs dans les zones acquises
au parti au pouvoir sont nombreux et des preuves vidéos circulent sur les réseaux sociaux depuis le début des opérations.

Déjà en 2015, les révélations de la députée de l’opposition Fatoumata Binta Diallo assurant avoir observé dans la région de Faranah l’enrôlement de mineurs
avaient suscitées de vives réactions des responsables du parti au
pouvoir qualifiant ces accusations d’infondées. Face à l’ampleur des
accusations de l’opposition sur cette question d’enrôlement de mineurs,
le comité technique de suivi du fichier électoral était sorti de sa
léthargie en publiant un rapport
le 12 septembre 2015 avec une recommandation spécifique sur la
question de l’âge : « Renforcer le contrôle de l’âge lors de la
distribution des cartes et prendre les dispositions pour que les
directives de la CENI en la matière s’imposent à tous ».

Le dialogue politique inter-guinéen (Accords du 12 octobre 2016)
avait mis un accent particulier sur le recrutement d’un « cabinet pour
réaliser un audit complet du fichier électoral ». Deux ans après,
débutaient les travaux d’audit du fichier électoral pilotés par des experts de l’Union européenne, de l’OIF et du PNUD. Le 10 octobre 2018,
les membres du comité technique d’audit du fichier électoral ont remis
le rapport d’audit du fichier électoral au ministre de l’Administration
du Territoire et de la Décentralisation. Interrogé sur le contenu du
rapport, le président dudit comité Mamady III Kaba affirmait ceci : « Il
y a effectivement un nombre très élevé, un million cinq cent trente
mille et quelques (1 530 000) électeurs, qui n’ont pas leurs données
biométriques au complet
 ». Sans parler de l’existence d’électeurs
fictifs comme le dénonce l’opposition, Kaba avance une toute autre
explication : « L’équipe d’experts, composée de sept (7) personnes, a
trouvé des raisons pouvant justifier cet état de fait. Et l’une de ces
raisons majeures, il y a eu plusieurs opérateurs qui ont travaillé sur
le fichier électoral guinéen au fil du temps. Les opérateurs
n’utilisaient pas le même système et du coup, le transfert d’un
opérateur à un autre, a altéré certaines données biométriques notamment,
les empreintes. » Pour l’opposition politique, les anomalies sont nombreuses :
« plus de 1 564 388 électeurs inscrits dans le fichier sont sans
empreintes digitales, plus de 3 051 773 d’électeurs non dédoublonnés,
plus de 3.000.000 d’électeurs sont nés entre un 1er janvier et un 1er
juillet, et donc un peu plus de la moitié des électeurs ne peuvent pas
produire un acte d’état civil avec une date de naissance exacte ». Pour
corriger ces anomalies, elle recommande :
« Au vu des doublons persistants du nombre de citoyens sans données
biométriques et de décédés qui pourraient encore figurer dans la base
des données, un contrôle physique de l’ensemble des électeurs s’impose.
Chaque citoyen revient confirmer ou compléter ses données
alphanumériques et biométriques pour qu’il soit maintenu dans la base. »

Malgré toutes les recommandations formulées dans le rapport d’audit
et les dénonciations sur le manque de transparence dans l’établissement
du fichier électoral, l’enrôlement de mineurs reste une pratique
frauduleuse redoutable que le pouvoir en place compte rééditer pour
remporter les élections futures. Pour vanter les efforts de la CENI, un
expert de l’OIF n’avait pas hésité à affirmer lors d’une conférence de
presse tenue à Conakry le 21 octobre 2019 que : « la CENI a fourni
l’effort d’acquérir un autre programme d’appui, c’est le programme ABIS
qui est un programme hautement performant pour la détection des
enrôlements multiples ». Selon cet expert «  l’ABIS permettra aussi à faire d’autres recherches telles que la reconnaissance de l’âge potentiel de l’électeur ». Aujourd’hui, les images montrant l’enrôlement de mineurs
dans la région de la haute Guinée font penser à des actions coordonnées
et encouragées par les autorités locales avec la bénédiction des
commanditaires basés à Conakry.

Face à l’ampleur des dénonciations de ces pratiques sur les réseaux sociaux, le président de la CENI s’est fendu d’un communiqué
ce dimanche 2 décembre 2019 pour annoncer les dispositions prises par
son institution : « le Président de la CENI constate sur les réseaux
sociaux des images faisant allusion à des cas d’enrôlement de mineurs.
La CENI mène des enquêtes et prend déjà des dispositions informatiques
pour déceler et radier tout enregistrement de mineurs. Sur la question
il demande : – Aux présidents de CEPI de faire le tour des CAERLE et de
prendre des dispositions disciplinaires contre tout membre de CAERLE
impliqué dans un cas d’enregistrement illégal. – A ETI-Bull de mener des
enquêtes et de relever de sa fonction tout opérateur de saisie qui
aurait enrôlé un mineur. – Et, le logiciel dont dispose la CENI permet
de faire un audit et de savoir exactement quel operateur et à quel
moment il ou elle a enrôlé un électeur. » En attendant, la fabrique d’un
électorat composé de mineurs se poursuit dans les fiefs du parti au
pouvoir.

L’enrôlement des mineurs, une tradition politique africaine

Si certains observateurs n’hésitent pas à réduire les consultations
électorales à de « simples formalités administratives » qui seraient
dominées par des acteurs politiques se livrant à un « banditisme
électoral plutôt qu’à une compétition loyale », pour reprendre la
formule de Kassoum Tapo l’ancien président de la Commission électorale
nationale indépendante du Mali, il faut toutefois noter que les graves
dysfonctionnements observés dans le déroulement des opérations
d’enrôlement des électeurs en Afrique de façon générale résultent d’une
volonté manifeste des pouvoirs en place de violer les règles du jeu
démocratique. Quantin dans son article intitulé « les élections en Afrique: entre rejet et institutionnalisation » explique
ces dysfonctionnements comme : « des stratégies jouées par les groupes
au pouvoir menacés dans leur hégémonie par une installation durable de
la règle de la majorité».

Pour Mokamanede cité par le chercheur Koné, auteur d’un article intitulé : TIC et processus de démocratisation en Afrique
: pour un système de gestion transparente des élections par
l’expérience du « Parallel Vote Tabulation » (PVT), le processus
électoral en Afrique souffre de deux contraintes : les contraintes
institutionnelles et socio-culturelles. Il note que les structures des
régimes à parti unique n’ont pas changé et les pays africains ne
disposent pas de données démographiques fiables.

L’enrôlement des mineurs est une recette politique très prisée dans
les palais africains où les présidents autocrates cherchent par tous les
moyens à contourner les exigences de transparence et de sincérité des
opérations électorales. Lors des élections générales au Burundi de 2015,
l’opposition ne cessait de dénoncer des distributions massives de
cartes nationales d’identité à des mineurs et aux seuls militants du
parti au pouvoir le CNDD-FDD. Les mêmes pratiques ont été observées en
RDC lors des élections présidentielle et législatives de novembre 2011, dans la province du Katanga (sud-est du pays), où des cartes d’électeur étaient distribués à des enfants d’une dizaine d’années. Dans la déclaration préliminaire de la Mission d’observation de l’Union africaine
aux élections législatives du 20 Décembre 2018 au Togo, les
observateurs n’ont pas manqué de rappeler que l’audit des listes
électorales avait pour but « d’éliminer certaines irrégularités
constatées notamment l’enrôlement des mineurs et les inscriptions
multiples ». Toujours au Togo, la mission d’observation électorale de l’Union européenne
pour l’élection présidentielle de 2010 soulignait déjà des cas
d’enrôlements de mineurs : « La MOE UE a relevé dans tous les CRV
(Centre de révision et de vote ) des régions de la Kara et des Savanes
(nord du pays) observés le jour de la révision supplétive des cas
d’enregistrement d’individus dont l’apparence portait à croire qu’ils
étaient mineurs.» Au Tchad lors de l’élection présidentielle de 2016,
les opposants accusaient l’administration chargée du fichier électoral
d’enrôler des mineurs, des électeurs fictifs et des réfugiés.

Il faut noter que les expériences ont démontré que les processus
électoraux peuvent stimuler ou catalyser des conflits sociaux majeurs.
Dans une publication du bureau des nations unis en Afrique de l’Ouest et
le Sahel intitulée « Comprendre la violence électorale pour mieux la prévenir ».
Nous pouvons lire ceci : « La violence électorale est déclenchée
pendant la période électorale quand des parties en position de force ou
de faiblesse constatent que l’autre partie établit de manière
unilatérale les règles du jeu électoral qui la favorisent. Les sujets
sur lesquels ce déclenchement est plus rapide restent : la mise en place
du fichier électoral, la mise en place de l’administration électorale
et les résultats électoraux. »


Sékou Chérif Diallo
Fondateur/Administrateur
www.guineepolitique.com