Réformé, le franc CFA va glisser vers l’Éco


Un accord franco-africain pour un changement de nom du franc CFA vers l’Éco a été décidé. L’annonce a été faite à Abidjan par les présidents Ouattara et Macron.

Le pas presse dans les relations financières entre les pays africains de la zone franc et la France. À l’occasion de la visite du président Macron en Côte d’Ivoire, le président Ouattara a annoncé que huit pays d’Afrique de l’Ouest et la France ont décidé une réforme d’envergure du franc CFA. « Le franc CFA a été un outil essentiel, mais nous devons entreprendre des réformes encore plus ambitieuses afin de consolider notre dynamique de croissance, préserver le pouvoir d’achat de nos populations », a dit le président ivoirien, qui a tenu à préciser qu’il s’agit là d’une « décision prise en toute souveraineté ». Le premier changement va concerner la dénomination de la nouvelle monnaie. Ce sera l’Éco. « Nous avons décidé une réforme du franc CFA avec trois changements majeurs […], dont celui du nom », « l’arrêt de la centralisation de 50 % des réserves au Trésor français ». Point important : il n’y aura désormais plus de représentants français siégeant au sein des instances de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Réaction du président Emmanuel Macron : il s’est félicité de la « réforme historique majeure » que représente cet accord. « L’Éco verra le jour en 2020, je m’en félicite », a déclaré le président français ce samedi au cours d’une conférence de presse avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara. « Le franc CFA était perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique », a-t-il estimé, expliquant que c’est en entendant la jeunesse africaine qu’il a voulu engager cette réforme. « Le franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge post-coloniale. Donc rompons les amarres », a-t-il poursuivi.

Une décision « historique » qui accompagne la mise en place de l’Éco

L’annonce
de cet accord intervient au moment où la Communauté économique des
États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) exhorte plus que jamais ses États
membres à poursuivre les efforts visant le respect des critères de
convergence requis pour la mise en œuvre de la monnaie commune si l’on
en croit, cité par l’AFP, Jean-Claude Kassi Brou, président de la
Commission de la Cédéao à la clôture d’un sommet extraordinaire des
chefs d’État à Abuja.

Quel est le cadre prévu à cet effet ? D’abord, ce sera celui des critères clés de convergence. Il est prévu qu’ils restent en dessous de 3 % du Produit intérieur brut quant au déficit, de 10 % pour l’inflation, avec une dette inférieure à 70 % du PIB. En tout cas, tout en se félicitant des « progrès enregistrés », la conférence a demandé au comité ministériel en charge du dossier d’« accélérer » ses efforts en vue de « la création de l’union monétaire de la Cédéao en 2020 ». Les chefs d’État des 15 pays de la région ont par ailleurs adopté le symbole de l’Éco – « EC » – ainsi que le nom de la future banque centrale de la Cédéao, la « Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest ».

Pas de calendrier annoncé officiellement…

Interrogée par l’AFP en marge du sommet, Zainab Shamsuna Ahmed, ministre des Finances du Nigeria, poids lourd économique régional, s’est montrée cependant prudente, affirmant que la mise en œuvre de l’Éco en 2020 « n’est pas certaine ». « Il reste encore du travail à faire individuellement pour répondre aux critères de convergence », a-t-elle souligné. Selon la ministre, le principe acté est que les pays doivent avoir rempli ces critères « trois années de suite », ce qui est uniquement le cas du Togo pour l’instant. « Beaucoup de nos pays n’ont pas été en mesure de le faire, il y aura donc une session de surveillance pour évaluer les progrès des pays, puis une autre réunion en juin [2020] pour faire le point », a-t-elle affirmé.

… mais la fin d’une époque

Quoi qu’il en soit, il faut retenir que les changements qui vont être opérés autour du franc CFA confirmés par les présidents Ouattara et Macron mettent fin à une situation particulière au sein de la Cédéao. Jusqu’à présent, les monnaies au sein de l’organisation économique régionale se divisaient en deux camps : d’un côté, celui des huit pays utilisant le franc CFA, dont la parité fixe est arrimée à l’euro, et celui de sept autres pays avec autant de devises qui ne sont pas convertibles entre elles.

Pour rappel, établi en 1945, une quinzaine d’années avant l’indépendance des colonies françaises, la valeur du franc CFA est aujourd’hui indexée sur l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA). Les États utilisant le CFA devaient par ailleurs déposer 50 % de leurs réserves en France. En contrepartie, leur convertibilité illimitée avec l’euro leur donnait une crédibilité internationale. C’est désormais terminé pour les réserves et aussi pour la présence de Français dans les organes de gouvernement de la BCEAO, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest. Malgré tout, la France va continuer à accorder sa garantie. Voilà donc un chantier monétaire nouveau qui s’ouvre et qui promet bien des débats. Il se greffe à une question sur la table depuis des années, celle d’une devise unique dans la région qui a longtemps suscité les réticences du Nigeria, lequel exigeait que l’éventuelle monnaie commune soit déconnectée du Trésor français. Il semble qu’un verrou soit sur le point de sauter. Reste à savoir les modalités précises des changements opérés au niveau du franc CFA et leur adaptabilité à la nouvelle donne d’une greffe avec d’autres monnaies qui, elles, ne bénéficient pas de la garantie du Trésor français.


Le Point





Quel avenir pour le franc CFA? [Édito François Lenglet]


ÉDITO – La semaine du 16 décembre, Emmanuel Macron se rend en Afrique, où il évoquera notamment l’avenir du franc CFA, une monnaie très critiquée par bon nombre d’États africains comme n’étant plus adaptée aux réalités économiques modernes.


Emmanuel Macron se rend en Afrique la semaine du 16 décembre pour parler de l’avenir du franc CFA. Il doit notamment rencontrer le président de Côte d’Ivoire pour évoquer ce legs de l’histoire coloniale : il s’agit d’une monnaie liée à l’euro par un taux de change fixe, gérée par la France, et utilisée par 14 pays africains (8 en Afrique de l’Ouest dont la Côte d’Ivoire et le Bénin et 4 en Afrique centrale dont le Gabon).

Lancé en 1944, ce franc CFA a été pensé pour
créer un espace économique intégré, principalement au bénéfice des
entreprises françaises. Mais aujourd’hui, la contestation monte dans beaucoup de pays africains, qui veulent retrouver leur souveraineté monétaire.
Le mois dernier, c’est le président du Bénin qui indiquait vouloir
rapatrier les réserves monétaires des pays africains concernés. En Afrique de l’Ouest, il y a même un projet de monnaie commune alternative entre plusieurs pays : l’Eco.

Le CFA déséquilibre les pays

Aujourd’hui,
la moitié des réserves monétaires des pays qui utilisent le franc CFA
son déposées à la Banque de France, qui les rémunère à 0,75%
.
Mais l’influence de la France est aujourd’hui déclinante en Afrique, au
profit de la Chine et de la Russie notamment. La survivance du CFA
apparaît donc un peu baroque aujourd’hui. L’Élysée semble prête à accompagner cette évolution.

Pour les 14 pays concernés, le franc CFA représente à la fois des inconvénients et des avantages. D’abord, l’euro est une monnaie beaucoup trop forte pour les économies africaines,
qui les empêche d’être compétitives sur les marchés extérieurs. À
l’inverse, une monnaie forte facilite leurs importations, ce qui
déséquilibre commercialement les pays de la zone CFA.

L’indépendance monétaire est illusoire

Par ailleurs, le CFA englobe des pays aux réalités très différentes : rien à voir entre l’économie pétrolière du Gabon et une zone sahélienne dominée par l’agriculture. Pour cette raison, le FMI a longtemps été très critique sur la zone franc. 

Mais le CFA est une monnaie stable
: cela empêche les 14 pays qui l’utilisent de connaître l’inflation et
les crises monétaires qui touchent bon nombre de leurs voisins. En
contrepartie du handicap de compétitivité, ils bénéficient de la
crédibilité de l’euro.

Dans l’idéal il faudrait faire évoluer le système vers un taux de change ajustable garanti par la France, avec la souplesse nécessaire pour dévaluer en cas de besoin. Bien sûr, cela ne donnerait pas aux pays africains une souveraineté intégrale. Mais pour des petits pays africains ou européens, l’idée d’une indépendance monétaire totale est largement illusoire dans un monde où les capitaux sont libres : il n’y a que les États-Unis qui en profitent.


Cet article est republié à partir de rtl.fr. Lire l’article original