“Le mystère des 700 millions de dollars de Rio Tinto” en Guinée, les révélations de Libération


Gouvernance


Dans un article publié ce jeudi 30 juillet 2020 dans Libération, Agnès Faivre et Akoumba Diallo apportent un nouvel éclairage sur la destination des 700 millions de dollars empochés par la Guinée à l’issue de l’accord d’avril 2011 signé avec la compagnie minière Rio Tinto.


Republication de contenu Libération


L’accord signé en 2011 entre Conakry et le groupe minier aurait dû renflouer les caisses de l’Etat. Mais du côté du fonds censé gérer cette somme, le compte n’y est pas.

Un magot de 700 millions de dollars. C’est à peu près l’équivalent du budget de l’Etat en 2010 qu’empoche la Guinée à l’issue de l’accord d’avril 2011 signé avec la compagnie minière Rio Tinto. Mais «où sont passés les 700 millions ?» Depuis des années, la question est lancinante à Conakry. Libération est en mesure d’apporter un nouvel éclairage sur la destination (ou la disparition) d’une partie de l’enveloppe. Et sur son véritable montant. Ousmane Kaba, ex-conseiller à la présidence qui a planché sur les négociations entre le gouvernement et le géant minier, témoigne pour la première fois : «Rio Tinto a payé 750 millions de dollars sur un compte spécial géré par le gouverneur de la Banque centrale et le président de la République», affirme-t-il à Libération. Une information corroborée par deux autres sources proches du dossier. Rio Tinto maintient de son côté que 700 millions de dollars (et non 750) ont été versés directement au Trésor public guinéen. Soit. Mais à quoi a donc servi cette richesse tirée – enfin – du gisement de fer inexploité de Simandou ? Aux médias guinéens qui lui posent la question, le président Alpha Condé détaille lors d’une conférence de presse en juillet 2016 : «J’ai pris 125 millions pour entamer le barrage hydroélectrique de Kaleta. Nous avons commandé des groupes électrogènes avec 120 autres millions. C’est pourquoi nous avons eu l’électricité si rapidement.» Puis ajoute, le 29 janvier dernier à l’occasion de l’inauguration d’une agence d’Etat : «Le reste, on était obligé de le mettre sur un compte et c’est le Fonds monétaire international (FMI) qui décidait combien on devait dépenser par an.»

Bilan lapidaire

Quand l’institution financière revient officiellement en Guinée en janvier 2011, l’économie nationale est exsangue. «Compte tenu du défi de dépenser de manière efficiente ces recettes exceptionnelles, les autorités ont requis l’aide du FMI et de la Banque mondiale pour créer un fonds spécial», explique le FMI à Libération. Cette intervention aboutit à la création d’un fonds spécial d’investissement (FSI), mentionné le 23 décembre 2013 au Journal officiel. Mais étonnamment, aucune instance, internationale ou guinéenne, n’est en mesure de produire un document sur ce fonds et sur la gestion des 700 millions de dollars. Le FMI, lui, fournit un bilan lapidaire, reprenant pour l’essentiel un paragraphe de son «Programme de référence Guinée» de juillet 2011 : «185,5 millions de dollars ont été affectés au budget 2011» et 214 millions en 2012, pour des «investissements publics urgents surtout dans le secteur de l’électricité», tandis que 50 millions de dollars ont été versés à la Banque centrale. «Les 250 millions de dollars restants ont servi à financer le programme d’investissement public 2013-2015», écrit le FMI à Libération. Or la consultation des lois de finances 2011-2015 ne permet pas d’identifier de tels mouvements. Seul apparaît en 2012 un financement non bancaire de 348 millions de dollars pour combler le déficit budgétaire. Quant au FSI, l’affectation de ses fonds au budget de l’Etat est bien mentionnée dans les lois de finances 2013 et 2014, pour un montant total, ces deux années, de 254 millions de dollars. 232 millions issus de cette enveloppe ont été réellement dépensés, selon un document récapitulatif. Les plus gros postes d’investissement sont les infrastructures et l’énergie (construction et réhabilitation de routes, de ponts, construction de quatre microbarrages, travaux d’électrification) – des projets livrés ou en chantier, et parfois introuvables sur le terrain.

Flou sur le pactole

Le total des dépenses attribuées au «fonds Rio Tinto» dans les lois de finances atteint en réalité, au maximum, 580 millions de dollars. Restent environ 120 millions dont la trace s’est volatilisée. Ni le ministère guinéen de l’Economie et des Finances, ni la Banque mondiale, sollicités par Libération, n’ont répondu à nos questions sur la destination de ces recettes minières exceptionnelles. Recontacté, le FMI renvoie la balle à la Guinée. Il précise qu’il a, avec la Banque mondiale, aidé «à établir les procédures comptables régissant le FSI», mais pas «à gérer le fonds». Un peu court pour une institution supposée incarner la rigueur et qui, dans son «Programme de référence Guinée» de 2011, note qu’elle sera amenée «à donner des avis sur l’utilisation du FSI».

Ce flou sur le pactole de Simandou a aussi régné à l’Assemblée nationale. «Nous avons réclamé avec beaucoup de véhémence une commission d’enquête parlementaire, notamment sur l’utilisation des fonds de Rio Tinto, mais notre demande, prévue par la loi organique, n’a pas abouti, déplore l’ex-membre de la commission des lois Ousmane Gaoual Diallo. Par ailleurs, la loi de finances exige la production d’une loi de règlement qui détaille l’utilisation du budget annuel. Or elle n’a jamais été produite sous la gouvernance d’Alpha Condé.»


Cet article est republié à partir de liberation.fr. Lire l’original ici





Dette africaine: cinq questions pour comprendre


Comment l’aborder ? En quoi peut-elle être un marqueur de la relation entre l’Afrique et les pays occidentaux ? La dette africaine interroge à plus d’un titre.


Une quarantaine de pays africains parmi les plus pauvres du monde vont bénéficier d’une suspension de leur dette pendant 12 mois, une mesure d’urgence décidée par le G20 pour aider des économies déjà vulnérables pétrifiées par le ralentissement mondial lié au coronavirus.

D’où vient la dette africaine ?

À leur indépendance, dans les années 1960, plusieurs pays africains ont hérité de dettes issues de la colonisation et se sont également endettés auprès de la communauté internationale pour bâtir leurs nouveaux États. « C’était très abordable, car les taux d’intérêt étaient proches de zéro. Mais le drame, c’est que les États africains se sont endettés à des taux d’intérêt variables », explique l’économiste togolais Kako Nubukpo. Or, à la fin des années 1970, après les chocs pétroliers, les taux montent en flèche. « Les pays africains se sont retrouvés à rembourser à des taux très élevés une dette qu’ils avaient contractée à des taux très faibles. Le côté insoutenable de la dette africaine est né à ce moment-là », décrypte M. Nubukpo. C’est à cette période que les politiques d’ajustement structurel voient le jour avec des prêts de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international en échange de réformes pour libéraliser l’économie. Un troisième vague d’endettement intervient dans les années 2000 avec l’arrivée de la Chine, qui devient rapidement le premier créancier du continent. « C’est un cycle où nous sommes sortis du colonialisme pour tout de suite entrer sous le joug de l’endettement », déplore pour l’AFP le philosophe camerounais Achille Mbembe.

Suspension, annulation : vraiment possible ?

Mercredi, plusieurs créanciers publics ont accepté la suspension pour douze mois de la dette des pays les plus pauvres, dont font partie 40 États africains. Un report, à défaut d’une annulation, qui ne devrait représenter qu’une petite partie de l’endettement total du continent estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers est dû à la seule Chine. « Contrairement à ce que l’on a connu dans les années 1980 où ce n’était que de l’endettement auprès d’États souverains, la dette africaine est aussi détenue désormais par des investisseurs privés, comme des fonds d’investissement », pointe M. Nubukpo. En effet, outre les prêts accordés, souvent à des taux très bas, par certains États ou organisations internationales, les pays africains ont émis de la dette sur les marchés financiers internationaux. « Le fait d’annoncer un moratoire sur la dette et a fortiori une annulation de la dette ne semble pas aussi simple qu’il y a 20 ou 30 ans », craint, à ce titre, Kako Nubukpo.

La dette africaine, mythe de Sisyphe ?

Plusieurs pays africains ont connu des allègements de dette ces dernières années, au titre de l’initiative de la Banque mondiale et du FMI en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais le cercle vertueux escompté ne s’est pas enclenché : le Congo-Brazzaville, par exemple, dont la dette a été divisée par trois en 2005, est à nouveau endetté à plus de 100 % de son PIB. « Il ne faut pas perdre de vue la question de la mal gouvernance et de la corruption qui gangrènent certains régimes sur le continent. On parle d’un cycle infernal de l’endettement pour le financement d’un développement qui n’est toujours pas là », explique Bakary Sambé, directeur du Timbuktu Institute basé à Dakar.

Un avis partagé par Kako Nubukpo, qui rappelle également que « beaucoup d’économies africaines exportent des matières premières sans les transformer et se privent donc des possibilités de création de valeurs, d’emplois, de revenus et d’impôts », poursuit-il. Achille Mbembe pointe, lui, « le système de la dette ». « On vous enlève une petite partie de la dette et en échange on vous rajoute un autre prêt. Cela crée un cercle infernal », critique-t-il. « La Chine a mis en place une économie de captation avec des dettes pratiquement irremboursables pour, en échange, mettre la main sur un ensemble de ressources naturelles rares », explique M. Mbembe.

Bâtir une nouvelle relation avec l’Occident ?

« Nous devons instaurer un moratoire immédiat sur le paiement de toutes les dettes bilatérales et multilatérales. […] Nous demandons aussi à tous les partenaires du développement de l’Afrique d’allouer leurs budgets », ont demandé des chefs d’État et de gouvernement africains mais aussi européens comme Emmanuel Macron ou Angela Merkel dans une tribune au Financial Times.

Dettes et aide au développement : la relation Occident-Afrique peut-elle durer ?

« Il faut annuler une bonne fois pour toutes le paiement des intérêts sur la dette dont les montants dépassent souvent de loin l’emprunt originel », plaide Achille Mbembe. Le philosophe préconise aussi des conditions draconiennes aux nouveaux emprunts, en les soumettant aux « délibérations démocratiques » directement des populations concernées. « Il est criminel que les générations d’aujourd’hui, au lieu de laisser un patrimoine aux générations futures, leur laissent des dettes irremboursables », conclut-il.


Cet article est republié à partir de lepoint.fr. Lire l’original ici