Exploitation du fer du mont Nimba: le sine qua non écologique [Par Akoumba Diallo]


L’Organisation
des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture invite l’État
guinéen à annuler immédiatement le certificat de conformité environnementale et
le permis d’exploitation minière accordés à Zali mining (ex West Africa
Exploration) et la soumission de la nouvelle convention minière entre la
Société des mines de fer de Guinée et le gouvernement, pour examen par l’UICN
avant sa signature (…).

La 43e
session du Comité du patrimoine mondial de l’organisation des Nations Unies
pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) tenue à Bakou en
Azerbaïdjan du 30 juin au 10 juillet 2019, demande à la Guinée de soumettre,
d’ici le 1er  février 2020, un
rapport actualisé sur l’état de conservation de la réserve naturelle intégrale
du mont Nimba et la mise en œuvre de ses recommandations, pour examen lors de
sa 44e  session prévue à
Fuzhou en Chine du 29 juin au 9 juillet en 2020.

Le 24 juillet
2019, Mechtild Rössler, directrice du Centre du patrimoine mondial à l’UNESCO a
écrit à Amara Camara, ambassadeur de la Guinée en France (délégué permanent de
la Guinée auprès de l’UNESCO). Pour l’informer que, lors de la 43e  session (Bakou, 2019), le Comité du patrimoine
mondial a examiné l’état de conservation de la réserve naturelle intégrale du
mont Nimba. Mechtild Rössler insiste: «Je voudrais également appeler à vos
autorités à faire leur possible pour respecter le délai statutaire mentionné
ci-dessus pour la soumission du rapport, et ainsi assurer suffisamment de temps
d’échange et dialogue entre vos autorités, le Centre du patrimoine mondial et
les organisations consultatives sur les problématiques en jeu, avant que le
prochain rapport pour le Comité ne soit produit

Entre temps, le
11 décembre 2019, l’ancien Premier ministre guinéen, Mamady Youla a été nommé
au poste de Président directeur général de la Société des mines de fer de
Guinée (SMFG). Cette filiale de HPX est chargée d’exploiter les gisements de
fer des monts Nimba, suivant les dispositions de la convention de concession
minière amendée et consolidée, signée par le gouvernement le 5 septembre avant
d’être ratifiée par le Parlement le 3 décembre.

Cette convention
prévoit, dans les 12 prochains mois, une production anticipée de 5 millions de
tonnes par an, afin de saisir les opportunités et accélérer la mise sur le
marché international du minerai de fer guinéen, en attendant la réalisation de
l’objectif de production initiale de 20 millions de tonnes par an.

L’investissement
total requis (étude réalisée et approuvée par les parties en 2008), pour la
mise en œuvre du projet de fer des monts Nimba est estimé à 3,6 milliards
dollars US. En plus de fonds propre, ce financement sera conclu avec un
syndicat bancaire de 1er plan.

L’adoption de
cette convention par le Parlement guinéen a d’office validé le rachat des
actions de Euronimba (BHP, Newmont et Orano) par HPX, société américaine
d’exploration géophysique appartenant à un groupe de promotion et de
développement minier contrôlé par l’Américano-canadien Robert Martin Friedland.

Le 11 novembre,
le ministre guinéen des Mines et de la Géologie, Abdoulaye Magassouba, son
homologue libérien des Mines et de l’Énergie, Gesler E. Murray, ont signé, au
Libéria, un accord de mise en œuvre du protocole de facilitation du transport
des ressources naturelles d’origine guinéenne.

Selon le rapport
du 3 décembre de la commission Mines et Industrie à l’Assemblée nationale,
rapport présenté par Mme Diakhaby Eva Cros, les coordonnées des sociétés
bénéficiaires des dispositions de cet accord de mise en œuvre sont: celles
situées totalement sur les périmètres actuels de la SMFG pour l’exploitation du
minerai de fer des monts Nimba, de Zali mining SA (ex West Africa Exploration)
pour l’exploitation du minerai de fer en lisière des monts Nimba, de Sama
ressources Guinée et CC Energy minerals pour l’exploitation du graphite de
Lola, ainsi que le périmètre de minerai de fer de Zogota sous licence de Niron
Metals Guinea.

En cas de
transit par le Libéria, la Guinée percevra une redevance additionnelle. Cette
redevance sera applicable à toute tonne. Elle variera de 0,825 dollar US à 2
dollars, selon le cours mondial de fer.

L’accord de mise
en œuvre du protocole de facilitation du transport des ressources naturelles
d’origine guinéenne voté par les députés a exclu de son périmètre d’application
le projet de minerai de Simandou. Les termes de cet accord ne sont profitables
qu’aux projets de petite et moyenne taille, proche de la frontière libérienne
et qui n’ont pratiquement aucune chance d’être développés à court et moyen terme
s’ils ne sont pas autorisés à évacuer leur production par le territoire
libérien.

M. Youla s’y
connait en matière de mines, il a été successivement un haut cadre de la Banque
centrale, du ministère des Mines et de la Géologie, de la Primature. Il a développé
le projet de construction et d’exploitation de la raffinerie de Sangarédi sous
le label de Guinea alumina corporation (GAC). Il a été président de la chambre
des mines de Guinée avant d’occuper le poste de Premier ministre.

Pour appuyer,
assister et accompagner les entreprises, États et organisations de toutes
sortes, dès son départ de la Primature, Youla a créé le 22 août 2019, le
cabinet M.Y. Consultants et Associés SARLU (n°formalité/RCCM/ GN.TCC.2019.0
3541 et n° entreprise/RCCM/GN.TCC.2019. B.0 3064) au capital de 50 millions de
francs (il est associé unique).

Le Comité du
patrimoine mondial regrette que l’État guinéen n’ait fourni aucune information
sur les projets miniers des sociétés Zali mining SA (ex WAE) et SMFG. Tous ces
deux projets sont situés à proximité du patrimoine. Le Comité a demandé au
gouvernement de soumettre, avant sa signature, au centre du patrimoine mondial
la nouvelle convention minière entre la SMFG et le gouvernement pour examen par
l’UICN pour s’assurer que sa mise en œuvre n’impacte pas la valeur universelle exceptionnelle
du bien.

Le Comité du
patrimoine mondial exprime sa vive préoccupation quant à la délivrance d’un
certificat de conformité environnementale ainsi qu’un permis d’exploitation à
la société Zali mining SA (ex WAE) pour le bloc minier immédiatement adjacent
au bien et prie instamment l’État partie d’annuler immédiatement ce certificat
de conformité environnementale et le permis d’exploitation octroyés. «Qu’une
version révisée de l’EIES réalisée en 2015 soit soumise au centre du patrimoine
pour examen par l’UICN avant de prendre une nouvelle décision sur l’octroi d’un
certificat de conformité environnementale
».

Rössler prend
note de l’information fournie par la Guinée sur le nouveau permis d’exploration
accordé à la société Sama Resources. Ce permis se situe en dehors des limites
de la réserve naturelle et de la zone tampon de la réserve de biosphère. Une
EIES est en cours de réalisation afin d’évaluer les impacts du projet, y
compris sur la valeur universelle exceptionnelle.

Rössler demande aussi la soumission des résultats de l’EIES au Centre du patrimoine mondial pour examen par l’UICN avant la délivrance d’un certificat de conformité environnementale à Sama Resources.


Par Akoumba Diallo Journaliste/Analyste au cabinet Mineral Merit SARL/Ancien membre de l’ITIE-Guinée akoumba2000@yahoo.fr




Crise guinéenne ou la guerre des suppositions : Du mensonge à la violence [Par A. Akoumba Diallo]


A. Akoumba Diallo

Le harcèlement suivi de l’assassinat d’une dizaine de guinéens, de multiples «kidnappings» et d’une série de condamnations à des peines privatives, contre des «héros» du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), opposés à un éventuel 3ème  mandat présidentiel pour M. Alpha Condé, ont redonné toute la vitalité aux arguments de Oskar Slingerland et Maarten Van Mourik co-auteurs de «La crise incomprise » dans laquelle il a été admis que «quand le diagnostic est faux, les politiques sont néfastes».

D’abord et ici,
la lumineuse formule du 32ème président américain Franklin D. Roosevelt
consignée dans «Roosevelt» de la collection les constructeurs : «Le seul
rempart solide de la liberté est un gouvernement assez fort pour protéger les
intérêts du peuple, et un peuple assez fort et assez bien informé pour
maintenir son souverain contrôle sur son gouvernement».

Idéalement, tel
devait être «le contrat social» tant développé par la philosophe moderne si
chère au maître de conférences Thierry Ménissier, en le désignant comme étant
l’alliance politique de tous les citoyens par le moyen d’un accord explicite.
Qui rassemble les individus sous «une puissance publique souveraine». Et là, de
cœur avec J.J. Rousseau, le contrat est social parce «qu’il consacre le geste
politique de réunir les hommes». Par-là, il donne son sens à l’instrument de
leur rassemblement, l’État, qui, «sous peine de dérive despotique, doit
obligatoirement entretenir des liens avec la volonté des citoyens».

Cette série de manifestations de rue à l’appel du FNDC depuis le 14 octobre 2019 a tendance à prendre la forme «d’une désobéissance civile». Qui n’est autre que l’attitude de ceux qui désobéissent à la loi ou aux prescriptions gouvernementales, parce qu’ils suivent une cause qu’ils estiment supérieure à ces dernières: «La dignité de l’homme, la justice bafouée ou la libération de leur peuple». Véritables traits de leadership des hommes qui ont «rendez-vous avec la destinée» comme George Washington en 1776, Abraham Lincoln en 1861 et Franklin D. Roosevelt en 1933.

M. Abdourahamane
Sano et compagnie, ces héros de «la nouvelle donne» se sont crus détenteurs de
la citoyenneté guinéenne. Qui est participative de sorte que «le citoyen soit
quelqu’un qui gouverne», au sens du traité international de droit
constitutionnel (Suprématie de la constitution, Tomme 3 : 2012) « pour être
citoyen, il faut pouvoir gouverner ».

Étant donc
participative, la citoyenneté, de ces 10 morts, de Sano et Cie n’est-elle pas,
ainsi, essentiellement démocratique ? Aristote précise que cette définition,
selon laquelle le citoyen est titulaire de fonctions de gouvernement, concerne
surtout le citoyen en démocratie, mais ajoute-t-il que, en général, «il ne
faudrait pas appeler citoyens ceux qui ne prennent pas part au gouvernement ou
qui ne contribuent aux avantages communs».

Sans ambages, Platon fait dire à l’Hippias que pour le citoyen: «exercer la puissance politique dans son pays est ce qu’il y a de plus beau, tandis qu’il est souverainement  honteux de ne rien pouvoir dans un État».

La citoyenneté
dévolue aux héros du FNDC devrait être fondamentalement égalitaire: La justice
politique réside dans l’égalité. En effet, les citoyens sont comme des associés
et désirent être d’une nature similaire, mais s’ils ont un tempérament
différent. Dans ce contexte, Rousseau aurait-il raison de dire qu’«à l’égard
des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en
particulier citoyens, comme participant à l’autorité souveraine»?

Donc, la
citoyenneté n’est fondamentalement possible «qu’entre égaux en dignité juridique et en conditions sociales».
Toutefois, l’égalitarisme, selon Aristote, est intrinsèque à la nature de
l’institution politique qui gouverne le pays. «Dans la plupart des régimes où
gouvernent des citoyens, ceux-ci sont alternativement gouvernants et gouvernés,
car tous tendent par leur nature à une égalité sans aucune différence».

Sur ce point, la
philosophie kantienne ne s’écarte pas tellement de la perspective
Aristotélicienne. Kant distingue trois statuts fondamentaux du membre d’une
communauté politique («République») à savoir celui d’«être humain», celui de
«sujet», et celui de  «citoyen». Ces
trois statuts sont régis par trois principes différents : (a) la liberté pour
ce qui relève de la situation d’être humain ; (b) la soumission à une loi
commune, dans le cas du sujet; (c) l’égalité pour ce qui concerne la situation
de citoyen.

La situation devient grave, dans un pays où l’institution politique a opté pour l’ordre au détriment de la loi, alors que la liberté nous échoit donc en tant qu’hommes, l’obéissance en tant que sujets et l’égalité en tant que citoyens.

Dénis Diderot
dans «le citoyen» dit que le sujet est dirigé par un commandement, le citoyen
par la loi. Le premier est soumis au pouvoir et le second au droit. Et dans la
pensée de Platon celui qui légifère pour lui-même et son propre profit est
qualifié de «partisan», ce qui est pire qu’étranger : «ce ne sont pas des lois
bien faites, celles qui ne l’ont pas été dans l’intérêt de toute la cité, ne
l’ont-elles pas été qu’en faveur de quelques-uns, nous appelons ceux-ci
partisans et non pas citoyens, et le droit qu’on prétend leur attribuer, une
vaine prétention».

On sait que le tyran est celui qui légifère dans son propre intérêt, en vue de son profit personnel : «La tyrannie n’a jamais en vue le bien commun, si ce n’est pour son profit personnel». La différence entre le tyran et le roi réside dans leur conception respective de la supériorité. «Le tyran ambitionne la richesse, tandis que le roi préfère ce qui contribue à son honneur».

Ceci dit, Platon
sait plus que quiconque que le gouvernement ne doit pas concentrer trop de
pouvoirs. En effet, «moins les rois ont d’attributions souveraines, plus leur
pouvoir doit nécessairement durer longtemps dans l’intégrité». Ajoutant que la
tyrannie, c’est encore « avoir un pouvoir souverain dans trop de domaines et
avoir le pas sur la loi».

Même le républicain Machiavel voudrait que, celui qui gouverne ne puisse pas se considérer au-dessus des lois, échapper à tout contrôle, se soustraire au juge et au procès. Cette formule convaincante de Machiavel garde encore cette quintessence, « il n’est pas bon non plus que les citoyens qui ont l’État entre les mains n’aient personne qui les observe et qui les contraigne de s’abstenir d’œuvres mauvaises, en leur retirant cette autorité qu’ils utiliseraient à mauvais escient».

Selon Thomas
Paine «chaque homme est propriétaire du gouvernement» ajoutant que «le
gouvernement n’est pas une entreprise qu’un homme ou un groupe d’hommes aurait
le droit de créer et de gérer à son profit».

Machiavel fait
observer qu’une position de privilégié ne peut résulter que de la rupture de la
réciprocité et de la relation civique. «Si vous notiez la façon de procéder des
hommes, vous découvririez que tous ceux qui parviennent à des grandes richesses
et à un pouvoir, y sont parvenus soit par la fraude, soit par la force afin de
dissimuler la brutalité de leur acquisition, ils les justifient grâce à un
titre de propriété falsifié.»

Des guinéens,
dans les rangs du FNDC, ont appelé à des mouvements collectifs «non-violents»,
pour disent-ils résister contre la volonté gouvernementale «de changer la
constitution du 7 mai 2010, pour contourner la rigueur des éternités qu’elle
impose à la classe dirigeante». Une telle mission n’était pas aisée.

Parce que les
adeptes de l’Abbé Siyiès retiennent de lui que « (…), une nation est
indépendante de toute forme, et de quelque manière quelle veuille, il suffit
que sa volonté paraisse, pour que tout droit positif cesse devant elle, comme
devant la source et le maître suprême de tout droit positif».

Ainsi les héros du FNDC, dans l’expression de leur droit, à l’image de Gandhi et Martin Luther King (Ils en incarnent le modèle d’action : le premier en Inde par sa résistance civile au colonisateur britannique qui déboucha à l’indépendance nationale, le second aux États-Unis dans son combat pour la revendication des droits civiques des noirs) avaient cru à l’efficacité de cette pratique, fréquemment utilisée par les citoyens dans les sociétés démocratiques.

En décidant
d’une telle action, le FNDC a certainement intégré que le concept de
citoyenneté a une longue histoire, parfois tortueuse et obscure, mais très
intrigante. Les héros du FNDC n’ignoraient non plus, l’analyse de Hannah Arendt
portant sur la désobéissance civile américaine dans « du mensonge à la violence
». En tout cas, le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation,
M.Bouréma Condé, a fait sien ce beau titre de cet essai, «qui est contemporain
du combat des intellectuels américains pour la reconnaissance des droits
civiques et la révolte des étudiants des années 60».

Certainement que
M.Bouréma Condé ignore encore que Aristote et Platon, malgré leurs divergences,
sont néanmoins d’accord qu’ «aucun homme ne peut, de par sa nature, régler en
maître absolu toutes les affaires humaines sans se gonfler de démesure et
d’injustice».

La condition
humaine, ne deviendrait-elle pas plus précaire quand des responsables de
l’institution politique fonctionnent suivant des suppositions sources de
conflits ? Alors que Don Miguel Ruiz conseille fortement dans la voie de la
liberté personnelle, «ne faites pas de suppositions ». Précisant que chaque
fois qu’on fait des suppositions, qu’on prête des intentions à autrui, on crée
des problèmes.


Akoumba Diallo

Journaliste

Analyste au cabinet Mineral Merit SARL

Ancien membre de l’ITIE-Guinée

akoumba2000@yahoo.fr