Législatives de février 2020 : l’ombre des élections passées plane [Par Lamarana Petty Diallo]


La Guinée parle encore d’élections comme en 2010, 13 et 15. Autant dire qu’on en a l’habitude. Et de quelle manière ?


Les Guinéens ont toujours payé le prix fort avant, pendant et après toute élection en y laissant leur vie. Ils meurent, plutôt sont tués, pour des résultats, le plus souvent, futiles, inutiles et puérils. Les revendications post-électorales, les unes plus sanglantes que les autres n’ont jamais rien donné. A moins que ce ne soient des négociations stériles et contre-nature.

Les élections qui s’annoncent ne semblent pas vouloir déroger à la règle. Les prémices sont là : visibles, connues mais paradoxalement ignorées de tous. Pourtant, le professeur a déjà dit haut et fort ce qu’il en est. A ses ouailles d’appliquer la sentence et les Guinéens sont avertis :

« Dans les autres pays où il y a de nouvelles constitutions, il y a eu beaucoup de manifestations, il y a eu des morts, mais ils l’ont fait ».

Alpha Condé, dans une interview au Monde – 24 octobre 2019

Le message est on ne peut plus clair. Les législatives qui se dessinent sont le prélude des présidentielles. Comme tel, il faut utiliser, comme à l’accoutumée, l’ultime recours. Résultats, une vingtaine de morts qui s’additionnent à la centaine enregistrée entre 2010 et maintenant. Toujours pour les mêmes raisons : les élections. Les mêmes résultats : l’échec.

Telle est la logique guinéenne : les uns se font tuer pour que les autres règnent de père en fils. Si ce n’est mourir pour des hommes et des femmes sans conviction et sans idéal.

Les uns se battent, meurent et d’autres sont élus. Les familles pleurent, des personnes, souvent non méritantes sont élevées au rang de titres ronflants : « Honorable », « Excellence ».

Certains pleurent du moment que d’autres chantent, gambadent sur tous les coins du territoire pour crier victoire.

Parmi les élus figurent, le plus souvent, des transfuges du pouvoir ou de l’opposition. Certains sont de simples chefs de partis familiaux ou de meneurs de bandes de quartiers, des opportunistes tout poil qui se font élire sur la liste de partis politiques auxquels ils n’ont jamais appartenu.

Élus, ils plastronnent quelques temps sur les tribunes des assemblées générales de leurs partis adoptifs avant de se barrer pour rejoindre le grand manitou.

A force de lécher bottes et bottines, de se frotter au sol jusqu’à l’usure du dernier pantalon, ils se voient bombarder ministre, souvent avec le statut tant convoité de « ministre d’Etat ». Aujourd’hui, c’est eux qui sont envoyés discuter avec leur mentor d’hier.

Mais attendons car si l’épine négocie avec la plante- du pied, on verra bien qui choisira la partie qu’il faut piquer ou épargner.  Dans tous les cas, aucun résultat ne serait être pire que les précédents.

Dorénavant, les points non négociables sont connus par l’une et l’autre partie. La question du troisième mandat et ses avenants. Inutile d’en débattre car la chose est déjà dans l’escarcelle de l’adversaire à moins que le FNDC passe à la vitesse supérieure en fixant une finalité plus audacieuse à ses revendications.

Troisième mandat ou pas, une chose est claire. Si en Guinée, il y a enrôlement des électeurs pour les législatives, à l’étranger, il y a « enroulement.  Terme dont l’usage scientifique signifie : unité déviable convenant à la manipulation ».

Dans plusieurs pays où vivent les Guinéens tant en Afrique, en Europe qu’ailleurs, on n’enrôle pas. On roule dans la farine. Il est fort à craindre que tel ne soit le cas dans le territoire guinéen aussi. Les faits sont parlants par eux-mêmes.

  • Les ordinateurs et autres outils informatiques utilisés sont obsolètes et d’usage aussi hésitant qu’un pas de caméléon. Ils ne permettent pas d’enrôler plus de vingt (20) personnes par jour. Ils s’arrêtent au beau milieu des opérations comme un baudet qui refuse de porter le fardeau de son maître. A croire que nos machines informatiques sont télépathiquement liées à la CENI.  A moins qu’il ne s’agisse d’une lenteur humainement orchestrée.
  • Quant aux consommables, on pourrait se demander si certains agents recenseurs ne les prennent pas au mot : en consommant tout simplement ce qui est consommable par nature.
  • Les passeports non biométriques ne sont pas autorisés alors que leur délivrance a été stoppée depuis longtemps. Dans tous les cas, combien de Guinéens en disposent à l’étranger ?
  • A défaut de passeports, c’est la carte consulaire qu’il faudrait présenter. Mais la signature et la délivrance journalière ne doivent pas dépasser le nombre magique de vingt par jour : histoire de ménager les phalanges de son excellence qui souffriraient peut-être d’arthrose. Dans tout ça, la priorité revient à certains. Deviez lesquels ?
  • Les demandes ont rarement de suite favorable. L’absence de réponse touche tout particulièrement les provinces (départements et régions) hors Paris et sa région.
  • Le tâtonnement dans la rédaction sur papier des noms et prénoms vient alourdir les handicaps soulevés. La lenteur des recenseurs parachève celle des machines et renforce la longue chaine des blocages.
  • La dichotomie entre manifestations du FNDC, l’appel des leaders politiques à participer au processus d’enrôlement, la négociation avec le pouvoir et la demande d’arrêt de l’enrôlement des électeurs a sans aucun doute impacté la motivation.

Par conséquent, l’annonce fondée ou non de la demande d’arrêt de l’enrôlement, qui a été publiée sur le net et jamais démentie par l’opposition, a quelque peu semé le trouble dans les esprits des Guinéens vivant loin du pays.

Tout semble indiquer que rien n’a été ménagé pour que le processus d’enrôlement reproduise les méthodes du passé. Les cas de la France, du Sénégal, de l’Angola et d’ailleurs illustre parfaitement cette hypothèse.

A bien observer, on se rend compte qu’on est plus dans une opération- marketing dont le but est de clamer au monde entier : ” il y a eu un enrôlement au niveau national et à l’extérieur. Par conséquent, tous les ingrédients d’une bonne élection sont réunis. Prendre pour preuve les missions qui sillonnent actuellement les pays étrangers sera d’autant plus approprié. Les scènes de contestation à l’ambassade de Guinée au Sénégal ne suffiront pas à ternir l’image du processus. Pourtant, des cas de blocages se sont produits loin des écrans dans d’autres pays.

Si la situation générale du processus de recensement est un peu partout similaire à celle de l’étranger, l’opposition guinéenne prendrait de grands risques de participer aux législatives de février 2020. Elle devrait bien réfléchir pour savoir quelle option adopter : aller aux législatives dans la quasi-assurance de perdre ? Revendiquer, comme d’habitude une victoire qu’elle ne peut avoir dans les circonstances actuelles ?

Cette fois-ci, plus que par le passé, au rythme où vont les choses et à quelques jours de la clôture des opérations d’enrôlement, aucun parti ne peut se faire prévaloir d’un taux élevé de militants ou sympathisant enrôlés. En outre, le scénario mis en place permettrait difficilement à l’opposition de contester les résultats. Une méthode beaucoup plus affinée, réfléchie et extérieurement bien colorée en « recensement transparent » semble avoir été pensée en amont par l’adversaire.

Pour 2020, il semble avoir s’être penché n’aura sur la manière de gagner par le recensement des électeurs. Un recensement entamé bien avant celui en cours.

Par conséquent, s’il gagnait par la manipulation des résultats, fraudait dans les unes et, vraisemblablement, durant les décomptes, il n’aura plus besoin de la faire. Si tout se passe comme à l’étranger, le nombre potentiels de votants recensés le met loin devant. Cela lui donne plus de crédibilité face à la communauté internationale : notre médecin post-mortem.

Dans la logique actuelle et au vu des faits déjà dénoncés, le panier de la victoire ne semble pas pencher du côté des adversaires du régime en place. L’enrôlement des mineurs constaté dans certaines régions de la Guinée et qui ne serait que la part visible de l’iceberg, pourrait bien avoir son pendant à l’étranger. D’une autre manière, avec des pratiques plus abruptes, voit-on.

Dans tous les cas, les échéances électorales qui s’annoncent risquent d’être source d’un double avènement : enfantement des uns et enterrement, politiquement parlant, des autres.

Aux différents partis de l’opposition de savoir comment s’inscrire dans l’une des perspectives.


M. Lamarana Petty Diallo, Guinéen- Professeur Hors-Classe, lettres-histoire, Orléans- France/ lamaranapetty@yahoo.fr

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