Guinée: les membres du FNDC interpellés toujours en détention

Les principales figures du Front national pour la défense de la Constitution, en Guinée, sont toujours détenues. Au moins six hommes ont été interpellés, samedi matin et leur avocat ne sait toujours pas où ils se trouvent.

Où les leaders du FNDC interpellés ont-ils été emmenés ? C’est la question que se pose leur avocat. Maître Salifou Béavogui ne les a pas vus depuis qu’ils ont été emmenés, samedi soir 12 octobre au soir après avoir été interrogés par la police judiciaire.

« Depuis hier, nous ne savons pas où ils se trouvent, nous sommes très inquiets. Est-ce qu’ils sont en train de les réinterroger ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Nous quittons clairement le droit pour entrer dans une situation de non-droit », déplore l’avocat.

Selon les autorités guinéennes, ces interpellations se sont produites dans le cadre d’une procédure judiciaire ouverte suite à une dénonciation des ministres de la Sécurité et de l’Administration du territoire après les appels à la mobilisation, lancés par des membres de la société civile.

Aucune lettre d’intention rédigée selon le gouvernement

Les autorités précisent que les rapports d’enquêtes doivent être remis ce lundi 14 octobre au procureur, qui décidera de la suite à donner à la procédure.

Le porte-parole du gouvernement, Aboubacar Sylla, explique que les manifestations sont autorisées en Guinée, mais dans certaines conditions. « Il faut faire une déclaration d’intention au niveau des autorités locales qui sont concernées par le droit de manifestation. On doit définir, s’il s’agit d’une marche, quel est son itinéraire et quel est son objectif, explique-t-il. En ce qui concerne les manifestations projetées au 14 octobre, aucune lettre d’intention n’a été rédigée ».

Le FNDC appelle à la mobilisation à partir de ce lundi contre un éventuel 3e mandat du président Alpha Condé. Aboubacar Sylla précise que la sécurité sera assurée par des éléments de la police et de la gendarmerie, uniquement équipés d’armes conventionnelles de maintien de l’ordre, comme des matraques ou du gaz lacrymogène. Les militaires, eux, ont reçu l’ordre de rester cantonnés dans les casernes.

RFI




L’opposition guinéenne se retire de l’Assemblée nationale

Les députés d’opposition en Guinée ont décidé vendredi 11 octobre de «suspendre leur participation aux travaux de l’Assemblée nationale» pour protester contre l’ambition prêtée au président Alpha Condé de faire réviser la Constitution pour briguer un troisième mandat, à trois jours de manifestations considérées à haut risque.

Les 53 députés d’opposition, sur les 114 que compte l’Assemblée, ont dénoncé dans une déclaration conjointe la «volonté mainte fois exprimée par les autorités de ce pays d’élaborer une nouvelle Constitution pour se maintenir au pouvoir». Alpha Condé, 81 ans, dont le deuxième mandat s’achève en octobre 2020, a souvent contesté la pertinence de la limitation du nombre de mandats en Afrique – deux maximum en Guinée. Son premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, lui a transmis mercredi la synthèse des consultations menées ces dernières semaines sur une possible révision de la Constitution, qualifiées de «mascarades» par l’opposition, qui les a boycottées. L’opposition s’attend à présent à ce que le président officialise la tenue d’un référendum pour valider un changement de Constitution ouvrant la voie à un troisième mandat. Fin septembre, Alpha Condé avait demandé aux Guinéens de s’y «préparer». Les députés d’opposition jugent par ailleurs «illégale» et «techniquement intenable» l’organisation d’élections législatives, fixées au 28 décembre.

Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), dont font partie les principales formations d’opposition, aux côtés de syndicats et de membres de la société civile, a appelé à manifester à travers le pays à partir de lundi. Le Front recommande également aux compagnies minières, banques, usines, stations-service et aux autres entreprises publiques et privées de «suspendre toute activité durant les manifestations, en vue d’éviter tout incident dommageable». Selon l’opposition, une centaine de manifestants ont été tués par les forces de l’ordre depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en décembre 2010. Les autorités font pour leur part état d’une douzaine de policiers ou militaires tués lors de manifestations au cours de cette période. En réaction à l’appel à manifester, le ministre de l’Administration du territoire, le général Bouréima Condé, a «mis en garde tous les fauteurs de troubles» et prévenu que les services de sécurité ne cèderaient «pas le moindre centimètre carré au règne de l’anarchie».

AFP/Figaro




Pas de Référendum ! Pas de 3ème Mandat ! le FNDC appelle les guinéens à des manifestations à partir du lundi 14 Octobre 2019

Dans une déclaration rendue publique au sortir d’une plénière ce lundi 07 octobre 2019, le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) « appelle les guinéens à des manifestations à partir du lundi 14 Octobre 2019, tant sur le territoire national qu’à l’étranger. »

Déclaration (vidéo ©Guineematin)

 

L’intégralité de la déclaration (photos ©Ledjely)

 




Guinée : Répression du droit de manifester (communiqué HRW)

Les droits de l’opposition sont menacés alors que le président réfléchit à un troisième mandat controversé.

Depuis plus d’un an, le gouvernement de la Guinée interdit de fait les manifestations de rue en invoquant les risques pour la sûreté publique, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités locales ont interdit au moins 20 manifestations. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes contre les personnes qui défiaient l’interdiction, et ont arrêté des dizaines de manifestants.

La Guinée traverse actuellement une période d’incertitude politique, dans l’attente d’une déclaration du président Alpha Condé au sujet de son intention ou non de réviser la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle de 2020. Une coalition de partis d’opposition et d’organisations de la société civile a annoncé qu’elle emploierait   « tous les moyens conformes à la loi » pour s’opposer à tout amendement de la constitution.

« Dans un contexte de débat politique acharné en Guinée, il est plus important que jamais de protéger le droit de manifester pacifiquement », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Interdire les manifestations prive les partis politiques et les autres groupes dun moyen légitime dexprimer leur opposition ou leur soutien aux plans et politiques du gouvernement. »

En juin et août 2019, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 40 personnes sur la façon dont les autorités réagissent aux manifestations, notamment avec des représentants du parti au pouvoir et de l’opposition, des membres du Front national de la défense de la Constitution (FNDC) – la coalition de partis d’opposition et de groupes non gouvernementaux opposés à tout révision constitutionnelle – ainsi que des avocats, des journalistes, des organisations de défense des droits humains et des diplomates. Human Rights Watch a mené des entretiens en personne à Conakry, ainsi que par téléphone, ou via des canaux de communication sécurisés, avec les personnes se trouvant à l’intérieur du pays.

Le parti au pouvoir, le Rassemblement du Peuple Guinéen (RPG), a publiquement appelé à une nouvelle constitution qui, d’après les partisans d’Alpha Condé, l’autoriserait à briguer un troisième mandat présidentiel. Condé lui-même n’a pas dit s’il a l’intention de se représenter, mais le 4 septembre, il a demandé à ses ministres d’entreprendre des « consultations » à propos d’une nouvelle constitution. La coalition d’opposition a promis de descendre dans la rue si Condé poussait en faveur d’un nouveau texte. « Cest le calme avant la tempête », a résumé à Human Rights Watch un diplomate basé à Conakry.

La loi guinéenne protège le droit de manifester, mais exige que les manifestants avisent les autorités locales avant la marche ou le rassemblement public qu’ils prévoient. Les autorités locales ne peuvent interdire une manifestation prévue que s’il existe « un danger avéré pour lordre public ».

Pourtant, depuis juillet 2018, les partis d’opposition ainsi que le FNDC accusent le gouvernement de demander aux autorités locales d’interdire toutes les manifestations. D’après eux, aucune de leurs manifestations n’a été autorisée durant cette période. Ils ont montré à Human Rights Watch des exemples d’une vingtaine de lettres qu’ils disent avoir reçues des autorités locales interdisant les manifestations.

Des membres du parti au pouvoir ont également cité en exemple certaines de leurs propres manifestations qui ont été interdites par les autorités locales ; toutefois, des dirigeants du FNDC notent que les ministres du gouvernent peuvent organiser sans ingérence des événements pour promouvoir une nouvelle constitution.

Human Rights Watch a aussi documenté au moins quatre occasions en 2019 où les forces de sécurité avaient arrêté des manifestants opposés à une nouvelle constitution, et dispersé de force des manifestations qui s’étaient tenues malgré l’interdiction. « Nous voulions nous réunir, pas faire quoi que ce soit de violent », a expliqué un membre du FNDC qui a été arrêté le 13 juin à N’Zérékoré. « Jai été menotté, poussé dans un pick-up, amené au poste de police, déshabillé et enfermé dans une cellule. »

Le Ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, qui selon les organisations guinéennes de défense des droits humains a imposé l’interdiction de manifestation en juillet 2018, n’a pas répondu à une lettre du 13 septembre de Human Rights Watch.

D’autres responsables du gouvernement, cependant, ont affirmé qu’une interdiction des manifestations était nécessaire pour protéger la sûreté publique. De nombreuses manifestations tenues lors des dernières années en Guinée ont débouché sur des violences, les manifestants jetant des pierres et d’autres projectiles, et les forces de sécurité se servant de gaz lacrymogène, de canons à eau et parfois d’armes à feu.

« Les manifestations sont interdites pour le moment dans tout le pays. », a affirmé Souleymane Keita, conseiller du président Condé et chargé de communication du RPG. « Chaque fois qu’il y a une manifestation, il y a des morts. Le rôle le plus important de lÉtat est la préservation de vies. » Depuis que Condé est arrivé au pouvoir en 2010, des dizaines de manifestants ont été abattus par les forces de sécurité, et plusieurs agents de police et de gendarmerie ont été tués par des manifestants violents.

Mais l’interdiction généralisée de toute manifestation ne constitue pas une réponse adaptée au risque de violence lors des manifestations, a déclaré Human Rights Watch. De plus, il y a peu de chances que cela dissuade les manifestants de descendre dans la rue si Condé évoque un troisième mandat.

Le gouvernement guinéen devrait plutôt collaborer avec les partis politiques et les autres groupes afin de mettre en place des critères publics guidant les autorités locales pour déterminer si les manifestations devraient avoir lieu. Ces critères devraient notamment inclure une procédure d’évaluation des risques de sécurité que présente une manifestation planifiée.

Par ailleurs, toutes les décisions d’interdiction des manifestations devraient pouvoir faire l’objet d’un examen judiciaire indépendant. Les actions visant à prévenir et arrêter les violences lors des manifestations devraient être proportionnées, respectant le droit fondamental qu’est la liberté de réunion.

« Le droit de manifester pacifiquement est un pilier de la gouvernance démocratique et un outil essentiel pour donner forme aux politiques et débats publics », a déclaré Corinne Dufka. « Le gouvernement guinéen devrait agir rapidement pour trouver une façon de respecter le droit de manifestation tout en protégeant la sûreté publique. »

Violence des manifestations et de la réaction policière

Les protestations dans la rue servent depuis longtemps, en Guinée, à exprimer l’opposition aux politiques gouvernementales. En 2006 et 2007, les syndicats et d’autres groupes avaient organisé des grèves d’ampleur nationale pour protester contre la mauvaise gouvernance et la détérioration de l’économie sous la présidence de Lansana Conté. Les forces de sécurité, en de multiples occasions, avaient fait feu sur des manifestants non armés, tuant de nombreuses personnes. En 2009, les partis d’opposition et d’autres groupes avaient organisé une manifestation pacifique contre la tentative du président de l’époque et chef de la junte, Dadis Camara, de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité avaient de nouveau ouvert le feu sur des manifestants, tuant plus de 150 personnes.

Après être arrivé au pouvoir suite aux élections de 2010, le gouvernement du président Condé a nettement amélioré le respect de la liberté de réunion et la professionnalisation des forces de sécurité, notamment en veillant à ce que la gendarmerie et la police, et non pas l’armée, soient chargées des opérations de sécurité. Une loi de 2015 sur le maintien de l’ordre public a également amélioré le contrôle citoyen de la façon dont les forces de sécurité réagissent aux manifestations.

Avant l’interdiction de manifestations imposée en 2018, les autorités locales autorisaient typiquement certaines manifestations de l’opposition, tout en les interdisant lors des périodes de forte tension politique ou en cas de désaccord sur l’itinéraire proposé.

Cependant, nombre des manifestations qui se sont tenues depuis l’arrivée de Condé au pouvoir ont abouti à des violences entre les membres des forces de sécurité et les manifestants, ou entre des partisans du gouvernement et des opposants. Des dizaines de manifestants et deux agents des forces de l’ordre ont été tués en 2012-2013, avant les élections législatives. Au moins douze personnes ont été tuées, et un grand nombre blessé, avant et après l’élection présidentielle de 2015. Human Rights Watch a étudié de façon détaillée l’usage excessif de la force, les arrestations arbitraires et la criminalité lors de la réaction de la police et de la gendarmerie aux manifestations.

Mais malgré le risque de violence pendant les manifestations, leur interdiction absolue viole le droit relatif aux droits humains. Les interdictions générales ne permettent pas d’évaluer si, en fonction des circonstances, une manifestation spécifique pourrait avoir lieu. Une manifestation particulière ne devrait être interdite que s’il s’avère qu’aucune autre mesure moins sévère ne permettrait d’atteindre le but légitime visé, tel que le maintien de la sûreté publique.

Interdiction des manifestations

L’interdiction actuelle des manifestations en Guinée a démarré en juillet 2018, alors que le gouvernement faisait face à une série de protestations de la part de partis politiques, de syndicats et d’autres groupes de la société civile, portant sur des élections locales qualifiées de frauduleuses, l’augmentation du prix du carburant ou encore l’incapacité du gouvernement à résoudre un mouvement de grève enseignant. Beaucoup de ces protestations avaient débouché sur des incidents violents entre les manifestants et les forces de sécurité.

Deux organisations guinéennes de défense des droits humains, qui ont déposé plainte devant la Cour suprême le 18 juillet pour contester l’interdiction de manifestations, affirment que le 23 juillet 2018, le général Bourema Condé, ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, a adressé une note aux autorités locales pour leur demander d’interdire les protestations de rue jusqu’à nouvel ordre. Les autorités locales se référaient à cette circulaire dans trois des lettres envoyées aux partis de l’opposition ou à la coalition du FNDC pour interdire leurs manifestations, dont une lettre envoyée le 12 juin. Le général Condé n’a pas répondu à une lettre de Human Rights Watch lui demandant de confirmer s’il a délivré cette interdiction de manifestation et si elle reste toujours en vigueur.

Dans des cas où les opposants au gouvernement défiaient les interdictions des manifestations pour s’opposer à une nouvelle constitution, ou n’avaient pas avisé les autorités de la manifestation qu’ils planifiaient, les forces de sécurité guinéennes ont réagi, à quatre occasions au moins en 2019, en tirant des grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants ou en arrêtant certains participants.

Le 31 mars à Coyah, les forces de sécurité ont arrêté plusieurs activistes qui brandissaient des pancartes proclamant : « Non au troisième mandat ».   Après plusieurs jours, ils ont été libérés sans inculpation.

Le 5 avril, plus d’une dizaine de membres du Bloc libéral, y compris le leader de ce parti politique, Faya Millimono, ont été arrêtés à Conakry pour avoir organisé un sit-in protestant contre l’extension du mandat de l’Assemblée nationale au-delà de la limite de cinq ans fixés par la constitution. Les manifestants, une vingtaine de personnes selon un participant, tenaient une bannière proclamant « Si vous glissez, il va glisser et la Guinée va tomber » – une allusion à un éventuel troisième mandat du président Condé.

« Nous navions pas avisé les autorités locales car nous ne pensions pas que cétait obligatoire, pour un simple sit-in », a déclaré une activiste qui faisait partie des deux personnes arrêtées. « Les policiers ont tiré des grenades lacrymogènes vers nous. Certains se sont enfuis, mais dautres, comme moi, étaient en train de suffoquer, alors nous nous sommes juste assis. Nous avons été arrêtés, mais libérés dans la soirée. » Cette activiste a témoigné qu’avant de la libérer, un juge guinéen l’avait avertie que si elle prenait part à de nouvelles manifestations, elle serait placée en détention. « Depuis, je nose plus participer à des activités politiques », a-t-elle confié.

Les Lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, émises par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, exigent que les manifestants ne soient pas dispersés et ne fassent pas l’objet de sanctions pénales simplement parce qu’ils n’ont pas avisé les autorités. Les manifestations ne devraient être dispersées que si cela est strictement nécessaire pour protéger la sûreté publique.

Le 4 mai, les forces de sécurité ont arrêté sept partisans du FNDC lors d’une visite du président Condé à Kindia. Le 2 mai, le maire de la ville avait interdit une manifestation prévue par ce groupe pour le 4 mai parce que les organisateurs se proposaient de l’organiser dans le stade où Condé allait s’exprimer. Pour un tel cas, les lignes directrices relatives aux droits humains suggèrent que les autorités locales et le FNDC auraient dû immédiatement œuvrer à identifier un autre lieu acceptable pour la manifestation. Au lieu de cela, le 4 mai, les manifestants ont tenté de marcher en direction du stade. Les gendarmes ayant bloqué leur itinéraire, la marche s’est poursuivie vers le centre-ville de Kindia, où les forces de sécurité ont arrêté quelques manifestants.

Plusieurs autres partisans du FNDC à Kindia, qui eux ne participaient pas à la manifestation, ont été arrêtés alors qu’ils tentaient d’entrer dans le stade où Condé faisait son discours. Ils affirment qu’ils ont été arrêtés de façon arbitraire parce qu’ils portaient des T-shirts aux couleurs de l’opposition. « Je portais un T-shirt pro-FNDC », a ainsi témoigné Boubacar Barry, une des personnes arrêtées. « Et jai vu quelqu’un dautre qu’on empêchait dentrer et qu’on a détenu parce qu’il avait un T-shirt avec Cellou Dalein [un leader de lopposition]. » Un autre homme a confié qu’on l’avait arrêté parce qu’il portait un T-shirt à l’effigie de Sidya Touré, un autre leader de l’opposition.

Tous ceux qui ont été arrêtés à Kindia le 4 mai ont été jugés, reconnus coupables d’atteinte à l’ordre public le 7 mai, et condamnés à trois mois de prison et une amende de 500 000 FG (54 USD). Ce verdict a été annulé en appel le 13 mai et les manifestants ont été libérés. Le président du tribunal, a-t-on rapporté, a également ordonné la restitution des T-shirts confisqués lors des arrestations.

Le 11 juin, le maire de N’Zérékoré a interdit une manifestation de la coalition prévue le 13 juin, citant la nécessité de préserver l’ordre public et « la décision de [sa] tutelle [le ministère de lAdministration du territoire et de la Décentralisation] interdisant toute marche ». Les leaders du FNDC ont déclaré à Human Rights Watch que, puisqu’il leur était interdit d’organiser une marche publique, ils avaient opté pour une réunion au quartier général d’un parti politique d’opposition. Des images des médias sociaux montrent des partisans de la coalition tenant des pancartes où on pouvait lire : « Non au troisième mandat à NZérékoré ».

Accusant le FNDC d’avoir ignoré leur interdiction de manifester publiquement, les autorités locales ont envoyé les forces de sécurité disperser le rassemblement. Plusieurs personnes ont témoigné que les forces de sécurité avaient tiré des grenades lacrymogènes dans la foule tandis que les manifestants avaient réagi en leur jetant des pierres.

Tout au long de la journée du 13 juin, des affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants ont débouché sur des violences entre partisans de l’opposition et du gouvernement dans plusieurs quartiers de N’Zérékoré. Une personne a été tuée et une trentaine ont été blessées. Des boutiques et des maisons ont été pillées ou détruites parce qu’elles appartenaient à des membres de groupes ethniques considérés comme appartenant au camp opposé.

Les forces de sécurité ont arrêté au moins quarante personnes à N’Zérékoré suite à la dispersion du rassemblement du FNDC et aux violences qui se sont ensuivies dans la ville. Ils ont été détenus jusqu’au 20 juin, avant d’être jugés par un tribunal de première instance à N’Zérékoré. Parmi ces personnes détenues, 22 ont été reconnues coupables de diverses atteintes à l’ordre public et condamnées à des peines de prison de trois ou quatre mois avec sursis et à une amende de 500 000 GF (54 USD). Les autres ont été libérées sans inculpation.

Des affrontements entre les partisans de l’opposition et du gouvernement à Kankan le 30 avril ont également fait plusieurs blessés. Trois témoins du FNDC ont déclaré à Human Rights Watch que les partisans du gouvernement avaient attaqué un rassemblement de la coalition qui se tenait au quartier général d’un parti local suite à l’interdiction d’une marche publique par les autorités locales. Quant aux militants du parti au pouvoir, ils ont déclaré que c’étaient les partisans du FNDC qui avaient pris l’initiative de la violence. Le FNDC a indiqué qu’une personne blessée dans ces affrontements, Mory Kourouma, est décédée le 19 juin à la suite de ses blessures.

Recommandations au gouvernement guinéen

Afin de garantir le respect de la liberté de réunion, le gouvernement guinéen devrait :

  • Réaffirmer le droit fondamental de tous à se réunir librement en déclarant publiquement qu’il n’existe pas d’interdiction généralisée de toutes les manifestations et que les éventuelles interdictions, conformément à la loi guinéenne, feront l’objet d’une évaluation au cas par cas par les autorités locales.
  • Réunir un groupe de travail composé de représentants des partis politiques, de groupes non gouvernementaux et d’experts internationaux afin d’élaborer des critères d’évaluation, conformes au droit relatif aux droits humains, guidant les autorités locales pour déterminer si des restrictions sont nécessaires dans le cas de telle ou telle manifestation. Le gouvernement devrait publier ces critères et former les autorités locales à leur application. Le groupe de travail devrait se réunir tous les six mois pour contrôler si les critères sont effectivement appliqués.
  • Si les risques que présente une manifestation pour la sécurité sont plus élevés que d’ordinaire, organiser des rencontres entre les autorités locales, les organisateurs de la manifestation et les forces de sécurité pour mettre au point un plan de sécurité réalisable, y compris l’itinéraire parcouru. C’est uniquement dans le cas où aucun arrangement de sécurité ne peut être trouvé, et où le danger que des tiers subissent un grave préjudice est élevé, qu’une manifestation pourra être interdite.
  • En collaboration avec la justice, créer un processus accéléré pour entendre les requêtes faisant appel des interdictions de manifester, de façon à ce que la décision judiciaire survienne aussi près que possible de la date prévue pour la manifestation.
  • Veiller à ce que toute personne arrêtée lors d’une manifestation bénéficie d’une procédure régulière et soit rapidement entendue par un tribunal.
  • Rédiger des directives destinées aux procureurs, policiers et gendarmes, conformes au droit relatif aux droits humains, indiquant les cas où les personnes arrêtées lors des manifestations peuvent être inculpées de délits pénaux, et détaillant les types d’inculpations appropriées pour chaque circonstance.
  • Ne pas traiter automatiquement les organisateurs de manifestations comme pénalement responsables des violences et autres crimes qui peuvent être commis lors de ces manifestations, à moins qu’il n’existe des preuves indiquant clairement qu’ils en sont directement responsables.
  • Se garder de tout discours, sur Internet ou dans les médias, qui pourrait provoquer la violence lors des manifestations. Les partis politiques d’opposition et les autres groupes, dont le FNDC, devraient eux aussi s’abstenir de ce genre de discours.

Source : hrw




28 septembre 2009 : autopsie d’un massacre à Conakry


Droits de l’homme


Le 28 septembre 2009, les manifestants de l’opposition se rassemblent et marchent depuis la banlieue de Conakry pour dire « non » à une candidature à la présidentielle de Moussa Dadis Camara, militaire arrivé au pouvoir par un coup d’État dix mois plus tôt. La date est symbolique, le lieu de rassemblement aussi : les militants des Forces vives se regroupent au stade portant le nom du jour où la Guinée a voté pour son indépendance, le stade du 28 septembre. Ils sont des milliers, réunis dans une ambiance de fête. Puis tout bascule : des hommes en uniforme, mais aussi en civil, entrent dans le stade, ouvrent le feu sur la foule, violent de nombreuses femmes.

Les assaillants s’affranchissent de toute morale, souillent les âmes, blessent les corps, enlèvent les vies. Et s’il est difficile de comprendre le moteur d’un tel déchaînement de violence, ce qui s’est passé dans le stade semble ne pas être complètement étranger aux tendances décrites dans ce livre : une violence d’État se sentant autorisée à broyer les vies humaines qui lui posaient problème, une violence utilisée par des corps habillés pour faire taire toute velléité de contestation. Il y a eu des précédents, notamment la répression violente des manifestations de 2007 sous la présidence de Lansana Conté. L’impunité règne.

Pour tenter de mieux saisir ce qui s’est passé le 28 septembre 2009, cette sixième partie propose une enquête inédite sur le massacre et la façon dont les violences se sont prolongées les jours suivants. On y trouvera aussi le témoignage d’une jeune recrue du camp militaire de Kaleah qui a été chargée d’évacuer des blessés et de transporter des corps. Cette ultime partie du livre donne également à entendre le besoin de justice des victimes de violences politiques, à l’image d’Asmaou Diallo, la présidente  de  l’AVIPA, l’Association  des victimes, parents et ami-e-s du 28 septembre.

28 septembre 2009, la toute-puissance des militaires et un déchaînement de violence

« … Les manifestants étaient des biens personnels pour eux. Les militaires nous faisaient ce qu’ils voulaient, sans arrière-pensée. »

Lundi 28 septembre 2009, dès le petit matin, des milliers de personnes se dirigent vers le stade de Conakry à l’appel de l’opposition. Elles réclament des élections et surtout exigent que Moussa Dadis Camara ne soit pas candidat.

Ce capitaine de l’armée est président depuis neuf mois. Moussa Dadis Camara a pris le pouvoir au lendemain de la mort de Lansana Conté, le 23 décembre 2008. Il est jeune, très populaire et beaucoup s’enthousiasment pour ses promesses de changement. Le régime militaire du CNDD (Conseil national pour la démocratie et le développement) a beau avoir dissout le gouvernement et suspendu la Constitution, il incarne un espoir pour de très nombreux Guinéens. Les premiers mois seulement. En septembre 2009, l’enthousiasme commence à retomber.

De l’aveu d’un ancien membre du CNDD, Moussa Dadis Camara a pris goût au pouvoir et a commis des erreurs politiques, en parlant de son avenir à la tête de l’État. Contrairement à ce qu’il avait promis au moment du coup d’État, il n’exclut plus d’être candidat à l’élection présidentielle, prévue quelques mois plus tard.

L’opposition et la société civile réunies au sein du forum des Forces vives annoncent alors une grande manifestation dans la capitale. « Le rassemblement du 28 septembre avait pour objectif d’organiser un référendum d’une autre manière, explique Bah Oury, premier vice-président de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée ) et responsable de l’organisation de la manifestation. Pas par le vote, mais par le nombre de citoyens guinéens qui allaient sortir ce jour-là, pour montrer leur défiance vis-à-vis de la continuation d’un régime militaire. »

Empêcher la manifestation

La junte décide d’interdire le rassemblement, avançant différents motifs dans les jours qui précèdent les événements. Les autorités ont d’abord expliqué que le stade était fermé en prévision d’un match de football prévu en octobre, pour ne pas abîmer le terrain. Elles ont ensuite interdit toutes les manifestations jusqu’à la fête nationale du 2 octobre. Enfin elles ont expliqué que le 28 septembre étant une commémoration nationale, la journée serait fériée. Le président a même essayé de convaincre l’opposition de renoncer, par téléphone, en pleine nuit, la veille du rassemblement.

Sidya Touré, président du parti d’opposition Union des forces républicaines et membre du forum des Forces vives, se souvient : « Le téléphone a sonné à une heure du matin. J’ai vu que c’était Tibou Kamara qui m’appelait, il m’a dit que le président voulait me parler. Dadis a commencé à m’expliquer qu’on ne devait pas organiser cette manifestation, qu’il ne souhaitait pas que le meeting ait lieu.

Je lui ai répondu calmement qu’il était une heure du matin et que la mobilisation commençait à sept heures, que je n’avais aucune possibilité de parler à qui que ce soit. Et que ce n’était pas la solution.

Le conseiller qu’il avait à côté de lui a commencé à dire : «Il faut insister sur l’autorité de l’État.» Je l’ai entendu répéter ça : «L’autorité de l’État, l’autorité de l’État !» J’ai répondu : «C’est très bien l’autorité de l’État mais tu m’as appelé parce que tu me dis que nous avons de bonnes relations toi et moi. Est-ce que je peux te donner un conseil ?» Je ne sais pas s’il a dit oui, toujours est-il que j’ai donné mon conseil. Je lui ai dit : « Tu viens de passer plusieurs jours en campagne dans la région du Fouta. L’opposition, qui n’a pas disparu parce que tu es arrivé, a décidé d’aller au stade pour faire une déclaration. À ta place, j’attendrais que cette déclaration soit faite, et peut-être que mercredi, tu pourrais convoquer un Conseil national pour que tout le monde se retrouve et qu’on commence à discuter de transition et tout ça. «Ah…», c’est reparti : «Je n’accepterai pas ! L’autorité de l’État !»

Le téléphone s’est coupé. Il a sonné de nouveau quelques minutes plus tard. Dadis s’est lancé dans une logorrhée de discours, je me souviens seulement qu’à la fin, il a dit qu’il ne permettrait jamais cela.

Je n’imaginais pas ce qui allait arriver. Je me suis dit : « mais, comment il ne peut pas permettre la manifestation ? De toute façon, on sera dans la rue, qu’est-ce qu’il va faire ? »

Je n’imaginais pas ce qui allait arriver. Je me suis dit : mais, comment il ne peut pas permettre la manifestation ? De toute façon, on sera dans la rue, qu’est-ce qu’il va faire ? »

Dès le début de la matinée, la ville était quadrillée par les forces de l’ordre.

Une source au sein de la gendarmerie explique qu’il avait été décidé de ne mobiliser que des forces de maintien de l’ordre. La décision avait été prise la veille au cours d’une réunion entre le chef des armées, les chefs d’état-major, ainsi que les responsables de la police et de la gendarmerie. Rassemblés au camp Samory, ils ont décidé que les militaires ne seraient pas déployés. Selon notre source à la gendarmerie, les hommes devaient être mobilisés sans armes létales pour essayer d’empêcher le rassemblement.

Le rassemblement malgré tout

Lundi matin, gendarmes et policiers sont effectivement présents aux principaux carrefours de Conakry et dans les quartiers réputés favorables à l’opposition. Premières échauffourées. Les forces de l’ordre lancent des grenades lacrymogènes, tirent en l’air puis ouvrent le feu sur la foule au rond-point Bellevue. Deux manifestants sont tués.

Un ancien policier raconte qu’au même endroit, des jeunes ont attaqué le commissariat et emporté des armes. L’un des organisateurs de la manifestation assure qu’il s’agissait de vieux fusils non-chargés et laissés sur place, qu’aucune arme n’est entrée dans le stade.

Le rapport de la Commission d’enquête des Nations unies confirme que des armes ont bien été emportées par des personnes en civil mais précise, en s’appuyant sur des images et un témoignage, que ces personnes « n’ont pas pris la direction du stade et que certains des voleurs ont été vus marchant à contre-courant des manifestants. Il pourrait dès lors s’agir de délinquants », conclut le rapport.

Les sympathisants de l’opposition reprennent leur marche vers le stade du 28 septembre et commencent à se rassembler sur l’esplanade, devant l’entrée principale.

Une source provenant de la gendarmerie affirme qu’aucun gendarme n’a été envoyé sur les lieux « puisqu’il était interdit d’y aller » et qu’il avait été décidé de déployer les équipes dans le reste de la ville. Plusieurs témoins assurent cependant avoir vu des gendarmes en arrivant au stade.

Ils expliquent également avoir vu une autre unité des forces de l’ordre. En Guinée, certains gendarmes et policiers sont détachés au sein d’une unité spéciale mise en place par le CNDD, la brigade de lutte contre la drogue et le grand banditisme. Le groupe porte une tenue similaire à celle des membres de la gendarmerie nationale, pantalons treillis et T-shirts noirs. À la tête de ces services spéciaux, le colonel Moussa Tiegboro Camara.

Les hommes de la brigade sont placés sous son autorité directe, explique une source à la gendarmerie. Ce groupe aurait donc pu être envoyé au stade sans que le haut-commandement de gendarmerie en soit informé.

C’est à ce moment-là qu’il a reçu un appel l’informant qu’on tirait à l’intérieur du stade.

Le colonel Tiegboro s’est d’ailleurs rendu sur les lieux le matin du 28 septembre. Selon l’un de ses proches, « sur la route entre le camp et son domicile, vers huit heures, le colonel a parlé à des manifestants en leur disant que le rassemblement était interdit et qu’ils devaient rentrer chez eux. Après avoir mangé chez lui, le colonel Tiegboro a pris la direction de son bureau mais s’est arrêté pour parler aux responsables de l’opposition devant l’université, à quelques centaines de mètres de l’entrée principale du stade. Il a répété le message et l’opposition a accepté de sursoir au rassemblement. En échange, les leaders avaient demandé la libération de tous ceux qui avaient été arrêtés plus tôt le matin. Le colonel Tiegboro s’est rendu à la CMIS (Compagnie mobile d’intervention spéciale) où il s’est aperçu que personne n’avait été interpellé. C’est à ce moment-là qu’il a reçu un appel l’informant qu’on tirait à l’intérieur du stade. »

La version des manifestants est tout autre : ils expliquent que le colonel Tiegboro était menaçant lorsqu’ils l’ont croisé. Les responsables politiques, quant à eux, affirment qu’il n’a jamais été question de renoncer au rassemblement.

Ce matin-là, ils s’étaient donné rendez-vous au domicile de Jean-Marie Doré, porte-parole des Forces vives et leader de l’UPG (Union pour le progrès de la Guinée) : « La raison de ce choix, c’est simple : c’est parce que son domicile était le plus proche du stade, se souvient Mouctar Diallo, leader des Nouvelles forces démocratiques et membre des Forces vives, mais dès le matin, on a senti qu’il y avait anguille sous roche. » Jean-Marie Doré refuse de se rendre au stade. « Je ne sais pas pourquoi, explique Bah Oury, premier vice-président du parti d’opposition UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) et responsable de l’organisation de la manifestation, il a juste fait savoir qu’il ne voulait pas. »

En fait, selon des proches de Jean-Marie Doré, décédé en 2016, la décision était prise depuis plusieurs semaines déjà. Mamounan Kpokomou, membre du bureau politique de l’UPG (Union pour le progrès de la Guinée) depuis 1993, explique : « Nous sommes de la même région que le chef de la junte. Notre parti est national, mais la base c’est bien la Guinée forestière, où est né Moussa Dadis Camara.

Nous défendions un idéal, nous étions diamétralement opposés à la candidature d’un militaire, mais nous avions choisi de ne pas prendre part à la marche du 28 septembre. Nos parents analphabètes, qui constituent le gros de notre électorat, ne nous auraient pas compris. Nous avions donc pris la résolution de ne pas y aller de peur de perdre cet électorat, qui n’aurait pas accepté de nous voir nous joindre aux autres partis politiques pour lutter contre un fils du terroir. »

C’est pourtant Jean-Marie Doré qui a été choisi pour une dernière médiation, le matin du 28 septembre. Il a été sollicité par les responsables religieux de Conakry. « La veille déjà, raconte l’un de ces religieux, nous avions négocié avec Dadis jusqu’à deux heures du matin pour que la manifestation soit autorisée mais encadrée. Le président a refusé. Il souhaitait que la marche ait lieu le lendemain, le 29, à Nongo, en banlieue. » L’archevêque monseigneur Coulibaly, l’archevêque monseigneur Gomez et l’imam de la Grande Mosquée, Ibrahima Bah, ont alors essayé de convaincre l’opposition de changer de programme. Sans succès.

« Il n’était pas question qu’on demande aux gens de sortir et que nous nous retrouvions dans une cour, en toute sécurité, en abandonnant la population dans la rue », résume Bah Oury, responsable du Comité d’organisation du rassemblement.

Les principaux leaders de l’opposition quittent le domicile de Jean-Marie Doré avant même l’arrivée des responsables religieux. « Nous connaissions leur message, raconte l’opposant Mouctar Diallo, c’était pour nous demander de reporter la manifestation. Nous nous sommes levés, Jean-Marie Doré est resté. »

À quelques centaines de mètres du stade, devant l’Université Gamal Abdel Nasser, les opposants sont bloqués par un barrage de policiers et de gendarmes. Peu de temps après, arrive le colonel Tiegboro. Il répète que le rassemblement ne peut pas avoir lieu. Discussion animée, tendue même par moments, mais contrairement à ce qu’affirme le proche de Moussa Tiegboro Camara, les opposants n’ont jamais accepté de reporter la manifestation.

Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), raconte que le colonel s’est absenté quelques minutes et qu’à son retour, il a demandé aux forces de l’ordre de céder le passage aux opposants. Les portes du stade ont été ouvertes et la foule a commencé à prendre place dans les tribunes, sur le terrain, dans les allées.

« Il y avait beaucoup d’ambiance, raconte une manifestante, ça chantait, ça dansait. Certains ont même prié sur la pelouse. C’était la joie ! »

Le rassemblement de l’opposition est un succès. Des milliers de personnes ont répondu à l’appel et se massent dans le stade dans une ambiance de fête.

Jean-Marie Doré rejoint les autres responsables de l’opposition un peu avant midi. Selon l’un de ses proches, l’opposant pensait alors convaincre les autres responsables politiques de renoncer au rassemblement, « mais c’était impossible, le stade était archi-comble ». Jean-Marie Doré rejoint la tribune officielle.

Faute de matériel de sonorisation, les leaders politiques ne prononcent pas de discours mais devant les journalistes présents dans les gradins, ils se félicitent de l’ampleur de la mobilisation.

Quelques minutes seulement après l’arrivée de Jean-Marie Doré, on entend les premiers coups de feu.

Le piège

« Le stade était plein, raconte Fanta, une manifestante. Il n’y avait plus de place pour s’asseoir. Dès que les leaders sont arrivés, tout le monde a tapé dans ses mains en criant «Changement, changement !» Quand on a entendu les premiers coups de feu, on pensait que c’étaient des pétards. »

Les rares images tournées avec des téléphones portables montrent l’incompréhension totale des manifestants. Dans les allées qui entourent le stade, les gaz lacrymogènes surprennent la foule. Ce n’est qu’au moment où les coups de feu retentissent que les manifestants commencent à courir.

Les forces de sécurité entrent par le grand portail, le seul accès à la rue, puis ils encerclent les lieux et entrent à l’intérieur du stade. Une fois sur la pelouse, ils tirent indistinctement sur la foule. Les manifestants ont vu des bérets rouges, commandos de parachutistes et membres de la Garde présidentielle, mais aussi des gendarmes et des hommes en civil, qui eux portaient des armes blanches et poignardaient tous ceux qui se trouvaient sur leur passage.

« Il y a eu une débandade indescriptible, se souvient Mouctar Bah, journaliste pour Radio France internationale et l’agence France-Presse. Les gens sont descendus des gradins pour essayer de sortir. Ils montaient sur des murs de quatre mètres, cinq mètres ! D’autres sont restés où ils se trouvaient parce qu’il n’y avait nulle part où aller. »

Les militaires bloquent toutes les sorties du stade, les deux portes principales et les issues secondaires. De très nombreux manifestants ont été blessés en essayant de franchir les grilles qui séparent les gradins de la pelouse et des escaliers. Certains sont morts dans le mouvement de foule, écrasés contre les grilles ou piétinés dans la cohue.

Pour ceux qui réussissent à sortir du bâtiment, le soulagement ne dure pas longtemps. Les militaires sont partout et poursuivent les manifestants en fuite.

« Je suis allée vers le stade annexe, raconte Saran, militante du parti d’opposition UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée). Un jeune m’a aidée à monter sur le mur. Ils lui ont tiré dessus, au milieu du front. Lorsque le petit est tombé, j’ai basculé dans la cour de l’autre côté du mur. Nous étions plusieurs. Des militaires et des policiers sont arrivés. L’un d’entre eux m’a frappée avec un morceau de caoutchouc et j’ai perdu connaissance. »

Comme Saran, beaucoup de manifestants ont essayé de franchir les murs qui entourent le stade mais des militaires, postés de l’autre côté, mettaient en joue ceux qui essayaient de sauter.

« Il y a une porte au fond, vers l’université. On voulait sortir par-là, mais quand on est arrivé, les policiers habillés en noir et cagoulés ont tiré les fils de courant. Ils ont vu que les personnes qui arrivaient en face étaient plus nombreuses qu’eux alors ils ont fait tomber les fils. Les premiers manifestants qui ont essayé de passer ne se sont pas relevés. Ils ont été tués par le courant électrique. »

Plusieurs témoins rapportent que les forces de l’ordre avaient sectionné des fils électriques pour empêcher les manifestants de s’enfuir : « Des jeunes sautaient. Ils ont attrapé les fils électriques au-dessus du portail et certains ont été électrocutés. Quand tu mets ta main, le courant te prend. Il y a des gens qui sont morts comme ça ! »

Les responsables de l’opposition stupéfaits… Et matraqués

On a vu les hommes en tenue, et d’autres qui n’étaient même pas en uniforme, qui commençaient à tuer comme ça. On a compris petit à petit que c’était un massacre.

Du haut de la tribune officielle, les responsables de l’opposition ne comprennent pas tout de suite ce qui se passe, comme le raconte Mouctar Diallo, leader des Nouvelles forces démocratiques : « Nous avons commencé à entendre des coups de fusil, à voir la fumée des gaz lacrymogènes, mais jamais bien sûr nous n’aurions pu imaginer que cette barbarie était possible.

On a vu les hommes en tenue, et d’autres qui n’étaient même pas en uniforme, qui commençaient à tuer comme ça. On a compris petit à petit que c’était un massacre. Nous, nous étions là stupéfaits à la tribune. »

« C’était de la pure folie, résume Sydia Touré. Nous avons décidé de ne pas bouger, mais à un moment, des militaires sont venus nous demander de descendre. J’étais le premier, j’ai pris d’abord une gifle. Quand je me suis redressé, un des militaire qui avait un bâton a visé ma tête.

J’avais la tête complètement ensanglantée, je titubais un peu. Quand je suis arrivé sur le gazon, je suis tombé. Je voyais Cellou Dalein Diallo à côté qui s’était recroquevillé et qui recevait des coups de pieds. »

Oury Bah se souvient qu’un groupe de militaires s’est dirigé directement vers les responsables de l’opposition. « C’est Toumba, commandant de la Garde présidentielle, qui conduisait ce peloton de bérets rouges. Il y a eu des matraques, des échanges de coups. Il n’est pas resté longtemps, c’est comme s’il était venu pour prendre un certain nombre de personnes. »

Mouctar Diallo raconte que le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité, l’aide de camp du président Dadis, a protégé les leaders politiques. « Toumba nous a demandé de le suivre. Quand nous sommes arrivés sur la pelouse, on continuait à recevoir des coups. Un de ceux que j’ai reçus a failli me faire évanouir. Je suis tombé mais je me suis relevé tout de suite parce que je me suis dit : «Si je reste là une seconde, ils vont me tuer.» Il y avait Sidya Touré devant, François Fall et moi. On s’était accrochés l’un à l’autre, très fermement. Je pense que Cellou était derrière nous et qu’il était tombé au sol sous les coups. Il y avait Bah Oury à côté de lui. Nous avons continué, Toumba nous a guidés pour sortir du stade. Je pense qu’il s’inquiétait de notre sort. Nous sommes sortis par l’entrée principale, sa voiture était garée de l’autre côté de la route. Il nous a mis dans son véhicule puis s’est absenté quelques minutes.

Pendant ce temps, Marcel, le neveu de Dadis qui était en même temps l’adjoint de Toumba, est venu avec un gros bâton du côté de la portière où se trouvait Sidya Touré. Il a dit «Bâtards, on va vous tuer aujourd’hui.»

C’est à ce moment qu’on a vu Jean-Marie Doré trimballé et tout couvert de sang, les habits déchirés. Lui, on l’a mis dans le véhicule qui était derrière nous, je crois que c’était celui de Tiegboro. »

Le colonel Moussa Tiegboro Camara a pris en charge les autres leaders de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, Jean-Marie Doré et Oury Bah.

Une source proche du colonel Tiegboro résume son intervention : « Le seul objectif, c’était les leaders politiques. En arrivant au stade, il a vu Cellou Dalein Diallo, qui avait déjà été frappé, et il s’est dit : «S’il est tué, on est foutus. Ça aurait pu être la guerre civile.» Le colonel Tiegoboro n’a pas passé plus de quinze minutes là-bas, il a mis Cellou Dalein Diallo, Bah Oury et Jean-Marie Doré dans sa voiture et il est parti. »

Selon cette source, c’est le colonel Tiegboro, et lui seul, qui a pris l’initiative de faire sortir les leaders de l’opposition, sans concertation avec aucun responsable de la junte.

« Lorsque Toumba a appris qu’il était là, il a fait semblant mais au départ, il ne souhaitait pas aider l’opposition. C’est lui qui commandait les bérets rouges. »

Le seul objectif, c’était les leaders politiques

Pour quelle raison Toumba et Tiegboro ont-ils décidé de sauver les chefs de l’opposition ?

Au cours de l’enquête, dans ses déclarations aux juges, l’aide de camp Aboubakar Toumba Diakité explique s’être rendu au stade pour chercher le président. Il affirme être parti seul au stade, une version contredite par plusieurs manifestants qui l’ont vu arriver à la tête d’un groupe de bérets rouges.

Selon plusieurs témoignages et les déclarations de Moussa Dadis Camara lui-même, le chef de l’État se trouvait pourtant au camp Alpha Yaya ce matin-là, où les principaux responsables de la junte avaient établi leurs quartiers. Toumba, lui, assure qu’il le pensait au stade, qu’il s’est rendu sur place pour l’alerter mais qu’en voyant la gravité de la situation, il a décidé d’intervenir pour exfiltrer les leaders politiques.

Le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité s’appuie d’ailleurs sur cette intervention pour se défendre de toute implication dans la répression du 28 septembre. Actuellement en détention préventive et désigné comme responsable par son ancien président, il assure n’avoir jamais donné l’ordre de tirer sur la foule.

Selon Mamadi Kaba, directeur de l’Institution nationale indépendante des droits humains, Toumba et le colonel Tiegboro ont bien agi de leur propre chef pour sauver les chefs de l’opposition, mais cela ne les disculpe pas pour autant. « Ils savaient qu’il y aurait une répression, d’ailleurs ils ont envoyé leurs hommes. Ils ne savaient peut-être pas forcément que cela irait jusque-là, mais ils étaient au courant.

Il faut voir leur choix de sortir les leaders comme des initiatives personnelles qui permettaient d’éviter le pire, dans l’intérêt du grand chef. Pour peut-être lui dire ensuite que leur geste avait permis de sauver son régime. »

L’exfiltration des responsables de l’opposition

Les deux véhicules, conduits par le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité et le colonel Tiegboro, quittent le stade en direction de la clinique Ambroise Paré, à moins de dix minutes de route. Avant que les leaders de l’opposition ne commencent à recevoir des soins, avant même que certains n’aient le temps de sortir de voiture, un groupe de bérets rouges débarque à la clinique. À leur tête, Marcel Guilavogui, adjoint de Toumba et présenté comme le neveu du président Dadis. Plusieurs témoins racontent la scène : grenade à la main, Marcel menace de tout faire sauter, crie que les opposants doivent être tués.

Le même Marcel Guilavogui a déclaré aux juges d’instruction guinéens en 2010 qu’il ne s’était pas rendu au stade le jour du massacre et assuré qu’il était resté alité toute la journée à cause d’un accident de circulation survenu quelques jours plus tôt.

À cause des menaces, les voitures transportant les opposants repartent et se dirigent cette fois vers la gendarmerie, en centre-ville. « Le chef d’état-major de la gendarmerie est venu pour donner les instructions, explique Mouctar Diallo des Nouvelles forces démocratiques. Il a ordonné qu’on nous donne les premiers soins. Puis Tiegboro est venu nous trouver pour nous dire que Dadis lui a donné instruction de nous prendre nous et Cellou, qui était au camp Samory, et de nous conduire à la clinique Pasteur. Nous étions tous dans la même salle pour les soins. C’était encerclé. On n’avait même plus de moyens de communication. »

Viols et tortures

Au stade, les militaires ne cessent de tirer qu’après avoir épuisé leur stock de munitions, mais continuent de traquer les manifestants. Les forces de sécurité et les hommes en civil équipés d’armes blanches poursuivent leur massacre.

Pendant plusieurs heures, ils se sont livrés à des violences jamais vues en Guinée. En plus des meurtres qui ont causé la mort de 157 personnes, au moins une centaine de viols ont été commis publiquement. Peut-être davantage, de nombreuses femmes refusant toujours de témoigner, craignant d’être stigmatisées.

L’une d’entre elles connaissait son agresseur, qu’elle a dénoncé depuis. « J’ai croisé un gendarme qui travaillait ici à Hamdallaye. Il nous connaissait. Il m’a frappée sur les deux joues avec son fusil, puis sur la tête. Je suis tombée. Il a frappé jusqu’à ce que je ne puisse plus me relever puis iI a pris un couteau et a déchiré mes habits. Il m’a aussi fait une croix dans le dos avec le couteau. Il m’a violée. Il a appelé deux hommes, bérets rouges. Je ne me souviens pas de la suite, j’ai perdu connaissance. »

Aissatou, une autre femme âgée de 25 ans au moment des faits, était venue au stade avec l’une de ses amies qu’elle a perdue dans sa fuite. « Je me suis cachée au niveau des toilettes, dans les gradins. Quelques instants après, quatre militaires sont venus. L’un d’entre eux m’a tirée sur une sorte de banc. Ils ont d’abord déchiré mon pantalon. Le premier m’a violée, le second m’a violée. Le troisième a essayé mais là, j’ai résisté un peu alors ils m’ont cognée sur la tête et j’ai perdu connaissance. »

De nombreuses femmes ont été violées à plusieurs reprises, plusieurs avec des objets, puis laissées pour mortes par leurs agresseurs.

Aissatou n’a repris conscience qu’en fin d’après-midi. Elle a été sauvée par un militaire qui, après lui avoir donné un pantalon, l’a placée au milieu d’un groupe d’hommes et de femmes qu’il conduisait vers la sortie. « Pendant qu’on marchait, d’autres militaires se sont approchés. Ils ont demandé à deux jeunes garçons du groupe de leur donner leurs téléphones. Le premier a donné son téléphone et à bout portant, ils ont tiré sur lui. Ils ont demandé aussi au deuxième. Ce dernier a dit : ‘‘Si vous me tuez, vous allez me tuer avec mon téléphone.» Les militaires ont tiré et il est tombé sur moi.

Pendant tout ce temps, les militaires nous disaient de rire à nous, les femmes, ils nous disaient d’être contentes. Ils nous ont forcées à rire. Comme je refusais, l’un d’entre eux a pointé son arme sur moi, puis il a appuyé son arme sur mon oreille et il a tiré dans le vide. »

L’opposant Sidya Touré se souvient avoir assisté à des scènes de viol en quittant le stade. « Je voyais des femmes dans des situations que je n’ose pas décrire. J’ai le regard d’une femme qui ne me quittera jamais. Elle voulait protéger sa dignité. Je vous assure que ça vous marque toute votre vie. »

Contrairement à ce qu’affirment de nombreux témoignages, Aboubakar Toumba Diakité et Moussa Tiegboro Camara, les responsables militaires ayant aidé les leaders de l’opposition à s’échapper du stade, assurent tous les deux n’avoir vu aucun viol ce jour-là.

Mamadi Kaba, directeur de l’Institution nationale indépendante des droits humains est certain que ces viols faisaient partie du plan de répression du rassemblement. « Il y a eu un ordre donné pour qu’ils violent. Sinon, il y aurait peut-être eu deux ou trois cas mais pas une centaine de femmes. Il y a eu un ordre.

En Guinée, quand les femmes se mêlent à une manifestation, elle prend une autre dimension. Il y a une fête que l’on célèbre chaque année, pour commémorer un jour où les femmes se sont mobilisées contre le régime de Sékou Touré [chef de l’État guinéen de l’indépendance à 1984]. Tous les présidents ont en tête que les femmes sont capables de les braver, alors si vous voulez tuer l’esprit de révolte, il faut taper dur sur les femmes. Je crois que c’est ce qui s’est passé. Je crois que l’esprit qui a guidé la répression, c’est la terreur afin qu’elles n’aient plus jamais le courage de manifester contre le CNDD. »

En Guinée, quand les femmes se mêlent à une manifestation, elle prend une autre dimension. (…) Tous les présidents ont en tête que les femmes sont capables de les braver, alors si vous voulez tuer l’esprit de révolte, il faut taper dur sur les femmes.

Le calvaire s’est prolongé pour certaines femmes, enlevées au stade et violées pendant plusieurs jours après le 28 septembre. « Alors que j’essayais de fuir le stade, un policier est venu me terrasser. Je suis tombée et j’ai perdu connaissance.

Quand je me suis réveillée, je me trouvais dans une maison, il n’y avait personne. J’entendais l’eau, comme la mer, mais je ne voyais pas les alentours. On m’avait mise dans une chambre sans électricité, sans fenêtre, j’étais dans le noir sur une natte. L’homme est entré, il avait une tenue verte. Il m’a déshabillée. Il me faisait ce qu’il voulait, il filmait …

Il m’a dit que si je pleurais, il me tuerait alors je n’ai pas pleuré. Il s’est allongé sur moi… je faisais ce qu’il voulait. Il m’a forcée. Il est venu plusieurs fois, deux jours de suite.

Je n’ai rien mangé, rien bu. J’avais peur qu’il me tue, je pensais à mon bébé à la maison et à mon mari… ma tête tournait.

Mardi, il a apporté quelque chose pour m’attacher les mains. Ce n’était pas serré mais je ne pouvais pas bouger comme je le voulais. Il m’a donné des habits, m’a mise dans un camion et m’a conduite jusqu’au quartier de Hamdallaye. Il m’a fait descendre et il a disparu. »

Dienabou, elle, a été conduite avec plusieurs autres filles au camp Koundara, probablement droguée. Elle s’est retrouvée vers minuit dans une salle du camp militaire. « Moi, j’étais vierge, je ne connaissais rien. On m’a fait monter jusqu’au troisième étage. Il y avait plusieurs militaires, ils étaient quatre. Ils nous ont violées, ils nous ont frappées, on nous a aussi coupées avec des couteaux, explique-t-elle en montrant d’épaisses cicatrices sur ses bras. On nous a fatiguées là-bas. Vers trois heures ou quatre heures du matin, on nous a déposées à l’hôpital Donka avec mes deux copines. »

Les victimes souffrent encore aujourd’hui des viols et des sévices subis au stade le 28 septembre, leurs corps portent les séquelles des agressions sexuelles, nombre d’entre elles ont été abandonnées par leur mari et vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles, la stigmatisation est très forte. La jeune Aissatou n’a même pas voulu faire établir de certificat médical à l’hôpital : « J’ai dit aux médecins de n’en parler à personne. Je n’ai rien dit à ma famille. Je ne voulais pas que les gens au quartier disent que j’étais parmi les filles violées au stade. Ça peut faire qu’on ne trouve pas de mari, même sans raconter tous les détails. Plusieurs fois, des hommes m’ont demandée en mariage mais dès qu’ils ont su que j’avais été au stade, l’histoire s’est arrêtée. Ils ne sont plus jamais revenus. »

Au milieu de ce déchaînement de violences, quelques individus ont tenté de sauver des manifestants. Fanta, une femme d’une cinquantaine d’années, a été cachée par un jeune inspecteur de police avec plusieurs autres femmes dans une cour un peu excentrée. « Au bout de deux ou trois heures, je voulais sortir. Le jeune inspecteur m’a dit : «Ne va nulle part, ils sont en train de violer les femmes dans les salles de jeu.» J’ai dit : «À mon âge ?» Il m’a répondu : «Pire que ça.» Je suis restée près de lui.

Pendant ce temps, ça tirait, ça tirait. Les gens criaient. Il fallait voir les cadavres…

Nous sommes sorties en groupe mais au bout de quelques minutes, j’ai aperçu un homme avec un couteau. Dès que je l’ai vu, je me suis cachée. Je suis restée là, les cadavres étaient à terre. Des véhicules sont arrivés pour prendre les corps. Des véhicules militaires. »

Fanta ne veut pas en dire davantage. Plusieurs années après les événements, elle craint toujours des représailles.

Dissimulation des corps

Les autorités guinéennes ont toujours nié avoir fait disparaître des corps et n’ont entrepris aucune recherche concernant de probables fosses communes. Aujourd’hui encore, aucune investigation officielle n’a été menée sur les sites évoqués par plusieurs témoins.

Pourtant, un manifestant raconte que des militaires ont bien fait disparaître des corps le 28 septembre. Le jeune homme, qui préfère rester anonyme, a été blessé au stade. Il n’avait pas trente ans.

« Je ne sais même pas par quoi j’ai été blessé, mais j’ai été touché à la tête et j’ai perdu connaissance pendant longtemps. Je n’ai repris conscience que là où ils ont commencé à jeter les gens, il faisait nuit. » Il poursuit : « Ils ramassent les corps, ils les mettent dans le camion. Je reviens à moi, tout est en sang. Je suis dans le camion. Avec les morts. »

Il pleure. « Je ne voyais rien. C’est les morts. Je suis avec les morts ! »

Le jeune homme s’interrompt. Il regarde devant lui et se tait pendant de longues minutes, n’ouvrant la bouche qu’au passage d’un véhicule militaire à quelques mètres : « Tiens, il y a des bérets rouges ici… »

Il reprend son récit, les yeux dans le vague : « Je ne sais pas où nous étions. Les militaires étaient en train de débarquer les corps. Quand l’un d’entre eux a braqué sa torche vers moi, je me suis mis au garde à vous. J’ai dit pardon. Il a crié : «Il y en a un qui n’est pas mort !» Un autre a dit : «Mettez-le dans le trou.» Ils ont discuté chaudement et ont finalement décidé de me laisser là. Je suis resté dans le camion. Ils ont bien bloqué pour que je ne puisse pas sortir et fuir. »

Le jeune homme s’interrompt de nouveau pendant un long moment avant de reprendre. « Ils m’ont ramené chez le président Dadis, au camp Alpha Yaya. Je criais, je devenais fou. Le lendemain, en pleine nuit, ils m’ont jeté par-dessus le mur, derrière la cour. J’avais des vêtements, mais pas de chaussures. Du sang partout. C’est mon sang ou c’est le sang des morts ? »

Trois semaines après le massacre du 28 septembre, un militaire a confirmé l’existence de fosses communes sur Radio France internationale. Sous couvert d’anonymat, ce béret rouge assure avoir reçu l’ordre de faire disparaître des cadavres : « Dans la nuit du lundi, ils nous ont dit d’aller récupérer les corps. On en a récupéré quarante-sept, qui ont été enfouis, mais je ne peux vraiment pas vous dire où exactement. »

Un haut-gradé de l’armée confirme, sans donner de chiffres, que les militaires ont enterré de nombreux corps dans les heures qui ont suivi le massacre.

Plusieurs familles n’ont jamais retrouvé les corps de leurs proches. Selon les chiffres des Nations unies, on a perdu la trace de 49 personnes qui s’étaient rendues au rassemblement de l’opposition et 40 autres ont été vues mortes au stade ou dans les morgues mais leurs corps ont ensuite disparu.

Le jour du massacre, les blessés et les cadavres ont été transportés dans la cohue, dans des ambulances envoyées par les hôpitaux et la Croix-Rouge, et parfois dans des véhicules privés.

L’un des responsables religieux ayant participé aux négociations avec les autorités guinéennes et l’opposition raconte avoir transporté des corps dans sa voiture personnelle.

La plupart ont été déposés à la Grande Mosquée de Conakry pour une prière, puis inhumés au cimetière Cameroun, certaines familles ont préféré emmener les dépouilles de leurs proches dans les quartiers pour organiser des funérailles.

De la Grande Mosquée Fayçal, où il a passé une partie de la journée, ce responsable religieux a vu les militaires bloquer l’entrée de la morgue de l’hôpital Donka. « Je ne me souviens plus quand exactement. Les enterrements ont commencé vers 16 heures donc ça devait être vers 14-15 heures. Je n’ai pas vu de camions mais il y avait des militaires dans l’enceinte de l’hôpital, des bérets rouges et d’autres corps de l’armée. »

Le lendemain, en pleine nuit, ils m’ont jeté par-dessus le mur, derrière la cour.

J’avais des vêtements, mais pas de chaussures. Du sang partout. C’est mon sang ou c’est le sang des morts ? »

D’autres témoins rapportent que les militaires ont pris le contrôle de la morgue de l’hôpital Donka, qui se trouve à quelques minutes seulement du stade et qui a accueilli la plupart des blessés et des corps.

L’accès a été interdit aux familles. Les corps des victimes ont été présentés plusieurs jours plus tard, le 2 octobre à la Grande Mosquée. Comme le souligne le rapport de la Commission d’enquête des Nations unies, « aucune méthodologie correcte d’identification des corps n’a été appliquée. Les personnes décédées ont été complètement déshabillées, alors que certaines portaient des objets personnels, mais aucun registre n’a été établi, aucune photographie n’a été prise. Le nombre insuffisant de chambres froides et l’absence de préparation correcte des corps, par manque de formol, associés à la température élevée de septembre, ont conduit à une dégradation rapide des cadavres. » Lorsqu’ils ont été exposés, quatre jours après le massacre du stade, de nombreux corps n’étaient plus identifiables.

Un homme d’une quarantaine d’années a perdu son frère. Un membre de leur famille l’a vu mort, aligné auprès d’autres victimes sur l’esplanade à l’entrée du stade, mais son corps ne se trouvait pas à la mosquée Fayçal le 2 octobre et les recherches lancées depuis n’ont jamais rien donné.

Les militaires à l’hôpital

De nombreux témoignages assurent que les militaires ont également pénétré dans les unités de soins de l’hôpital Donka dans l’après-midi, pour menacer les blessés.

Thierno se trouvait aux urgences, un bras cassé, lorsqu’il a vu des bérets rouges entrer. « Il était environ 16 heures, un camion s’est garé au portail. Les militaires ont commencé à bastonner les gens, y compris certains blessés qui ne pouvaient pas se déplacer. Ils ont insulté les patients et dit qu’il ne fallait pas nous donner de médicaments. Je n’osais pas les regarder dans les yeux. Ensuite, le ministre de la Santé, Diaby, est arrivé. Il demandait : «Qui vous a dit de sortir manifester ?» Le ministre de la Santé n’a pas insulté, c’étaient les bérets rouges qui insultaient les gens. Il n’a pas frappé non plus. »

Un proche d’Abdoulaye Chérif Diaby confirme que le ministre s’est bien rendu aux urgences, mais pour évaluer la situation, soutenir les médecins. Il dément la présence de militaires sur place.

La libération des responsables de l’opposition

Dans la soirée du 28 septembre, les opposants sont invités à quitter la clinique Pasteur et à rentrer chez eux, à l’exception de Cellou Dalein Diallo et Jean-Marie Doré, dont les blessures étaient plus importantes.

« Quand je suis arrivé, se souvient Sidya Touré de l’Union des forces républicaines, je n’avais plus de chez moi. Ils avaient tout détruit, tout saccagé. Il n’y avait plus aucun poste de télévision, plus aucun téléphone, aucune radio… tous les appareils ménagers avaient été ramassés, mon coffre-fort, dans lequel se trouvaient tous mes documents, tout était parti. La maison était renversée dans tous les sens. Les quatre véhicules avaient été embarqués. »

Situation analogue chez Cellou Dalein Diallo, comme le raconte l’un des responsables du maintien de l’ordre de l’UFDG. « Quand j’ai réussi à fuir le stade, je suis allé au domicile de mon patron. J’ai vu des bérets rouges qui venaient. Quatre pick-up. Je suis tombé, la moto m’a brûlé la jambe et mon pied s’est cassé. Comme j’étais couché, ils ont cru que j’étais mort, ils m’ont laissé. Les militaires sont rentrés, ils ont cassé tout ce qui se trouvait dans la maison, et emporté tout ce qu’ils pouvaient prendre. Les motos, les voitures, les valises… Ils ont chargé les 4 pick-up, remplis. »

Pillages, pressions, arrestations

Les pillages ne se sont pas limités aux domiciles des responsables politiques, ils avaient commencé au stade où les manifestants ont été systématiquement dépouillés de leur argent et de leurs téléphones portables. Ceux qui réussissaient à s’enfuir étaient stoppés au portail par des policiers qui les ont rackettés.

Dans tous les quartiers de la capitale, connus pour être favorables à l’opposition, les forces de l’ordre ont pénétré dans les maisons, ont dévalisé des commerces, pendant plusieurs jours. Cinquante commerçants établis au carrefour Cosa ont porté plainte pour pillage.

Plusieurs témoins disent avoir vu les jours suivants le capitaine Pivi, alors ministre de la Sécurité présidentielle, et ses hommes commettre des exactions.

Les militaires ont également retenu des prisonniers dans différents camps de la capitale, dont le camp Alpha Yaya où résidait l’état-major du CNDD. Mamadou, rescapé du stade, sans nouvelles de son neveu le lendemain du massacre, appelle sur son téléphone portable. Un militaire lui apprend qu’il est détenu. Mamadou se rend alors au camp Koundara pour demander la libération de son neveu : « Ils nous ont fait entrer au camp et dès que nous avons été à l’intérieur, ils nous ont attrapés, déshabillés totalement et ils nous ont blessés. Ils ont versé de l’eau chaude sur nous, roulé sur nos jambes avec des motos. J’étais avec mon grand-frère, il est décédé, il n’a pas pu résister.

Tous les jours, matin et soir, ils nous mettaient à terre pour nous frapper, cinquante coups chacun. Ils nous frappaient avec du bois ou du caoutchouc. Ils nous insultaient, ils versaient de l’eau chaude sur notre corps. Toute la peau du haut de mon dos est partie. Ils avaient récupéré tous nos vêtements.

Le 4ème jour, deux amis sont venus pour voir s’ils pouvaient nous faire sortir. Eux aussi ont été récupérés et l’un des deux est décédé également.

Notre détention, c’était difficile. La nuit, ils menaçaient de nous tuer et de nous jeter à la mer. Tous les jours, ils buvaient de l’alcool et fumaient de la drogue devant nous, ils recevaient des filles, certaines avaient été enlevées au stade, d’autres étaient des prostituées. Puis ils nous disaient : «Mettez-vous en sardine», c’est-à-dire l’un sur l’autre. Tout le monde, comme dans une boîte de sardines. On devait rester comme ça quelques minutes et ils disaient «encore» alors ceux qui étaient en bas changeaient de place avec ceux qui étaient en haut.

On a dû verser de l’argent pour sortir. Chacun d’entre nous a payé un million de francs. »

Le grand absent

À aucun moment, le président de la junte n’a été vu au stade. Lors de son audition par les juges d’instruction guinéens en février 2013, Moussa Dadis Camara a expliqué s’être couché tard la veille et avoir été informé vers 10 heures que la manifestation était en cours. Alors que, selon ses dires, il comptait « user de la sympathie qu’avait la population à [son] égard pour essayer de la calmer », son entourage l’en aurait dissuadé.

Toujours selon ses déclarations de 2013, Moussa Dadis Camara a appris plusieurs heures plus tard que des massacres étaient en cours et que des manifestants avaient été tués. Il assure avoir été « révolté » et prétend n’avoir jamais donné la moindre instruction.

Un proche du colonel Tiegboro, des services spéciaux de lutte contre la drogue et le grand banditisme, raconte qu’en fin d’après-midi, ce dernier s’est rendu au camp Alpha Yaya. « Le colonel a fait un compte-rendu au chef de l’État vers 16-17 heures. Le président a pleuré. Il est trop sentimental, Dadis. Il a dit : «Et bon Dieu, que faire ?»

Dadis était déjà au courant qu’il y avait un problème mais il ne savait pas quoi. Il était étonné lorsque le colonel lui a dit que des opposants étaient blessés. »

Moussa Dadis Camara s’est aussi peut-être inquiété pour son avenir, comme le laissent entendre les propos qu’il a tenus devant les juges d’instruction en 2015 : « J’étais à mon bureau en larmes. Voyant tout le poids qui pesait sur ma tête. Je me voyais même perdu à cause de ce qui venait d’arriver et de ce que je représente comme autorité morale. »

Moussa Dadis Camara assure avoir été victime d’un complot visant à le décrédibiliser et le destituer, il accuse son ancien aide de camp, Aboubacar Toumba Diakité. Selon lui, Toumba avait trop d’assurance, « il prenait souvent des initiatives sans m’en aviser. »

Lors de son audition par les juges d’instruction en 2015, le chef de la junte a expliqué avoir voulu faire arrêter son aide de camp, Aboubakar Toumba Diakité, mais en avoir été dissuadé par ses collaborateurs. « Je vous signale que c’est lui qui détenait les clefs de la poudrière. À vouloir le tenter, il fallait s’attendre à beaucoup de morts collatéraux. En voulant l’arrêter, il m’aurait achevé. Il était le commandant de régiment de la Garde présidentielle. Il avait à sa disposition les hommes et les armes. Je ne pouvais qu’obéir. »

D’anciens responsables du CNDD racontent exactement l’inverse. Selon eux, plusieurs officiers supérieurs ont tenté d’arrêter le lieutenant Toumba dans les jours suivant le massacre, mais en ont été empêchés par le président qui est ensuite apparu publiquement aux côtés de son aide de camp à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 2 octobre, soit quatre jours après les événements.

De plus, la Commission d’enquête des Nations unies souligne dans son rapport : « Le président s’est plaint de son armée indisciplinée. Toutefois, il a également démontré un haut degré de contrôle sur les militaires puisque l’armée régulière a obéi à ses ordres, transmis par l’intermédiaire du chef de l’état-major des armées, de rester dans les casernes toute la journée malgré la gravité des événements qui se déroulaient en ville. »

Une junte divisée

De nombreux anciens membres du CNDD s’accordent à dire que l’atmosphère n’était pas sereine au sein de la junte.

Les membres du CNDD avaient parfois du mal à joindre leur président. « Il n’aimait pas beaucoup le téléphone, se souvient l’ancien ministre Tibou Kamara, devenu ministre d’État et conseiller de l’actuel président Alpha Condé, et on ne travaillait que la nuit. » L’un des religieux ayant tenté de mener une médiation entre l’opposition et le pouvoir se souvient avoir attendu parfois cinq ou six heures avant d’être reçu par Moussa Dadis Camara.

Un ancien responsable de la junte raconte également que les militaires au pouvoir n’étaient pas unis. « Dadis était très populaire au début parce qu’il distribuait des billets de banque. Lorsqu’il était en charge du carburant au sein de l’armée, il n’y a pas un militaire qui n’a pas «mangé» [reçu de l’argent]. Mais trois mois après la prise du pouvoir, on a senti beaucoup de dissensions, la frustration se lisait sur le visage de chacun. » Il ajoute que le président décidait souvent seul. « Il était impulsif. Il pouvait prendre des décisions sans consulter personne. Après, il lui arrivait de les regretter. » Une autre source décrit le chef de l’État comme un homme influençable, « le dernier à le voir avant de dormir emportait la décision. »

Selon un ancien policier, plusieurs officiers éprouvaient également une certaine rancœur personnelle. « Lorsque Dadis est arrivé au pouvoir, il a mis à la retraite 22 généraux et amiraux et les a remplacés par des jeunes qui, à mon avis, ne méritaient pas ces grades. Il les a choisis plutôt par sentiment qu’en raison de leur compétence. » Le raisonnement vaut aussi pour le président lui-même. À son arrivée au pouvoir, Moussa Dadis Camara n’est que capitaine, âgé d’une quarantaine d’années, et certains officiers n’apprécient pas de devoir obéir à un homme d’un grade inférieur au leur.

Ces conflits d’autorité, ajoutés à des ambitions personnelles, ont créé un climat de méfiance entre les responsables militaires.

« C’était la jungle », résume un haut-gradé de l’armée

Pour plusieurs anciens membres de la junte, le CNDD se résumait à Moussa Dadis Camara et son ministre de la Défense, le général Sekouba Konaté.

« Le ministre de la Défense était l’homme de confiance du capitaine Dadis, explique Mamadi Kaba, ancien président de l’Institution nationale indépendante des droits de l’Homme, les deux hommes se connaissaient depuis longtemps et Dadis savait qu’avoir le général à ses côtés renforçait la peur chez ceux qui ne soutenaient pas le régime. Les deux hommes constituaient le socle du système du CNDD. »

Sekouba Konaté était en déplacement en Guinée forestière le 28 septembre 2009. Depuis la France, où il vit aujourd’hui en exil, le général s’est exprimé dans la presse pour accuser le président Dadis d’être le principal responsable.

Le ministre de la Défense a-t-il pu ignorer ce qui se préparait ?

Il est difficile d’établir le rôle qu’il jouait au sein de la junte. D’après certains témoignages, le général Sekouba Konaté était très influent. Selon l’ancien ministre Papa Koly Kourouma, le général était régulièrement consulté et très respecté.

Pour d’autres, le général Sekouba Konaté était peu investi dans les activités du CNDD. Un diplomate français le décrit comme un personnage sans envergure, davantage intéressé par l’argent que par le pouvoir, ce que confirme un ancien membre de la junte.

Les rivalités personnelles sont nombreuses. D’anciens membres du CNDD parlent de tensions entre le colonel Tiegboro, à la tête des services spéciaux anti-drogue, et le lieutenant Toumba, commandant de la garde rapprochée du président. D’autres assurent que Toumba et le ministre de la Défense, Sekouba Konaté, se méfiaient l’un de l’autre, tout comme Toumba et le ministre de la Sécurité présidentielle, Claude Pivi…

Pourtant, Papa Koly Kourouma, ancien ministre de l’Environnement du CNDD, assure qu’il n’y avait aucune position contradictoire affichée. Tibou Kamara, ancien ministre de la Communication de la présidence, affirme également qu’aucun désaccord n’était public.

Malgré ces tensions internes, la Commission d’enquête de l’ONU rappelle que les quartiers généraux de tous les responsables militaires se trouvaient au camp Alpha Yaya, dans un rayon de quelques centaines de mètres. Elle en déduit « qu’il y a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une coordination entre tous les groupes armés impliqués dans l’attaque du stade, y compris les miliciens. »

D’où venaient alors ces miliciens ? Les recrues de Kaleah

De nombreux manifestants disent avoir vu des hommes en civil, équipés d’armes blanches et portant gri-gris et cauris (coquillages utilisés dans les tenues traditionnelle « de protection ») commettre des exactions au stade.

De jeunes opposants à la junte, reçus par l’ambassade des États-Unis quelques semaines avant le massacre, s’inquiétaient déjà d’une éventuelle mobilisation de civils par le régime pour perturber des manifestations. Le résumé de la rencontre figure dans une dépêche diplomatique révélée par Wikileaks. « Ils affirment que le CNDD a envoyé 2 000 jeunes de la région de Guinée forestière [dans le sud-est du pays] à Forecariah [localité du sud-ouest située à 80 km de la capitale] pour y être entraînés et former des escadrons de la mort. » L’ambassade américaine ajoute avoir déjà été avertie de ces recrutements par d’autres sources.

Un militant des droits de l’Homme, contact de longue date et jugé crédible par l’ambassade, alerte lui aussi les diplomates américains, comme en témoigne un document révélé par Wikileaks. Lors d’une rencontre le 10 septembre à l’ambassade, ce militant explique : « Le CNDD prévoit que ces jeunes resteront habillés en civil, mais qu’il les forme à « combattre» d’autres civils. Lorsqu’on lui a demandé des précisions, le contact a déclaré que le CNDD s’attendait à de nouvelles manifestations anti-Dadis, mais ne voulait pas mettre les militaires dans une position où ils pourraient avoir à tirer sur la foule pour maintenir l’ordre. Au lieu de cela, le CNDD veut introduire des «combattants» pro-CNDD dans Conakry pour qu’ils puissent lutter contre les mouvements anti-CNDD qui sont prévus. »

Comme le raconte un ancien membre du CNDD, l’enrôlement a débuté plusieurs mois avant les événements. Des jeunes entraînés à Kaleah expliquent qu’on leur avait promis une intégration dans l’armée, à la fin de leur formation.

« Vous savez, explique l’ancien ministre de la Communication présidentielle Tibou Kamara, lorsqu’un nouveau président arrive au pouvoir, il travaille à sa sécurité et sa protection. Ce n’est pas propre au CNDD. Tous ceux qui viennent recrutent des gens pour la protection du nouveau président. Quand Dadis est arrivé au pouvoir, comme c’était un coup d’État, il n’y avait pas de légitimité démocratique donc le premier réflexe était sécuritaire. Comment se préserver et préserver le régime ?

Donc l’idée de recruter des jeunes pour avoir des fidèles au régime et assurer la protection du président est née et le centre de Kaleah a été ouvert [près de Forecariah]. Pour avoir des gens beaucoup plus sûrs que l’armée dont on avait hérité.»

Selon Aboubakar Toumba Diakité, les tendances communautaristes étaient très fortes au sein de la junte et le président Dadis a demandé aux militaires de son ethnie de recruter des jeunes à Nzérékoré et Macenta, en Guinée forestière.

Mamounan Kpokomou, membre du bureau politique du parti d’opposition UFP (Union pour le progrès de la Guinée), a participé au démantèlement du camp de Kaleah, quelques mois après la chute du régime militaire, en 2010. Il confirme : « Le recrutement avait un caractère sélectif très marqué. Moussa Dadis Camara a recruté uniquement des membres de son ethnie. Tous ceux qui étaient au pouvoir en avaient fait autant. Chaque responsable du CNDD voulait avoir les siens dans les différents corps de l’armée.

Et tenez-vous bien, en plus de leurs parents de la même communauté, ils recrutaient les jeunes contre de l’argent. Dadis est parti faire le recrutement dans les villages qui environnent le sien. Ceux qui sont loin et qui voulaient à tout prix être recrutés ont versé de l’argent. Ca variait entre deux et cinq millions de francs CFA. »

Selon un haut-gradé, Moussa Dadis Camara a recruté 2 000 personnes. Le ministre de la Défense, le général Sekouba Konaté, aurait lui aussi fait appel à des jeunes de sa région d’origine, entre 400 et 800 personnes, selon les sources.

Ils ont été conduits au camp de Kaleah et ont reçu leur entraînement militaire. Plusieurs sources affirment que les formateurs étaient d’anciens militaires israéliens et sud-africains. Un haut-gradé parle également d’instructeurs ukrainiens et affirme qu’ils ont apporté beaucoup d’armes en Guinée.

L’entraînement a duré plusieurs semaines, et selon l’aide de camp Aboubakar Toumba Diakité, « le ministre de la Sécurité présidentielle, Claude Pivi, a fait venir à la Présidence 400 jeunes sous prétexte qu’ils étaient venus faire des démonstrations d’arts martiaux. Ils ont été logés par le président avec pour mission de servir de contre-manifestants à l’occasion de troubles. »

Dans le courrier confidentiel daté du 10 septembre 2009 et rendu public par Wikileaks, l’ambassade américaine à Conakry explique que son contact, militant des droits de l’Homme, s’inquiète justement de voir des miliciens infiltrer les rassemblements de l’opposition : « Selon lui, les membres du CNDD recrutent activement des jeunes pour soutenir Moussa Dadis Camara, le président du CNDD, en particulier à l’intérieur du pays. Il a expliqué être préoccupé par le fait que le CNDD déplace ce qu’il décrit comme des «combattants libériens» de la Guinée forestière vers la capitale. Notant que de nombreux témoins ou participants aux guerres en Sierra Léone et au Libéria vivent en Guinée forestière, le contact a déclaré que ces «combattants» sont en fait des mercenaires aguerris. »

Il n’est pas le seul à évoquer ces combattants libériens. L’opposant Jean-Marie Doré a déclaré avoir été menacé au stade par des membres de l’Ulimo.

Sidya Touré, lui aussi, s’interroge sur la présence au stade d’anciens rebelles libériens : « Je n’avais

pas l’impression que c’était des hommes en armes formés, il n’y avait pas du tout de discipline. Par contre, leurs tenues ressemblaient plutôt à celles de combattants de l’époque de Charles Taylor. Ils étaient habillés n’importe comment et ceux-là avaient l’air plutôt agressifs. »

Un haut-gradé estime probable que des membres de l’ULIMO ou des Libériens aient participé à la répression au stade, mais il nuance : « En Guinée forestière, tout le monde est guinéo-libérien. Tout le monde a participé au conflit [la guerre civile au Libéria]. Les anciens de l’ULIMO étaient confondus avec les militaires. Le 28 septembre 2009, ceux qui étaient cagoulés et habillés comme des rebelles étaient mélangés aux autres. » Selon ce haut-gradé, les anciens rebelles n’ont pas été mobilisés en tant que tels, mais faisaient déjà partie des groupes constitués par chacun des responsables de la junte.

La Commission d’enquête des Nations unies estime que ces hommes ont participé directement aux violences, avec des armes blanches, en coordination avec des groupes de bérets rouges, commandos parachutistes dépendant du ministère de la Sécurité présidentielle, et de gendarmes de Tiegboro, le secrétaire d’État à la présidence chargé des services spéciaux de lutte contre le grand banditisme et la drogue.

Éruption de violences ou répression planifiée ?

La Commission d’enquête de l’ONU estime improbable que ces événements aient été le fruit du hasard ou de débordements non-coordonnés : « La nature des actes révèle un niveau de coordination indiquant une intention d’infliger le plus haut degré de souffrance dans un minimum de temps, le tout facilité par le blocage des sorties, de façon à prendre au piège la population ciblée et à maximiser le nombre de victimes. »

Que les autorités aient été débordées le matin du rassemblement ou que la répression ait été planifiée bien avant le 28 septembre, des instructions ont bien été données. L’armée a reçu l’ordre de se rendre au stade, comme l’a raconté un militaire le 17 octobre 2009, sur Radio France internationale : « C’est la gendarmerie qui était d’abord concernée, mais comme elle ne s’est pas entendue avec les opposants, nous avons reçu l’ordre d’aller mater l’opposition. Nous y sommes allés. J’en faisais partie. Nous ne pouvions pas refuser les ordres à savoir, aller mater les opposants, leur faire comprendre qu’il n’y a qu’une seule autorité en Guinée et leur donner une leçon. »

Impunité

La Commission d’enquête des Nations unies déplore dans son rapport que Moussa Dadis Camara n’ait rien fait pour faire cesser les crimes et rien fait non plus pour punir leurs auteurs. Au contraire, un peu plus d’un mois après le massacre, le chef de l’État a promu tous les sous-officiers de l’armée au grade supérieur, « y compris ceux qui faisaient partie des services ayant participé aux événements du 28 septembre, [ce qui] tend à démontrer que leurs actions ont été commises avec l’accord du président. »

Alors que les condamnations internationales se multiplient, la junte cherche à se maintenir au pouvoir. « Le soir du 28, l’indignation générale s’était étendue au CNDD avec en plus un sentiment de peur, de panique même, se souvient l’ancien ministre Tibou Kamara, ainsi qu’une volonté pour beaucoup de réparer, entre guillemets, ce qui avait été fait. Une volonté désespérée de rattraper.

Parce qu’à partir de là, tout le monde s’est posé des questions sur son avenir personnel et sur le régime. Chacun a compris que quelque chose d’extrêmement grave s’était produit. La question de la survie du régime se posait. On a vu les premières divisions, il y a eu vraiment des tensions. Il ne pouvait plus y avoir d’unanimité ou de soutien aveugle. »

Les jours suivants sont confus. Le président de la junte donne plusieurs versions des événements : le lendemain du massacre, dans une interview accordée à Radio France internationale, il parle de bousculades, d’accrochages et laisse entendre que les manifestants auraient pu tirer sur les forces de l’ordre. Il parle ensuite de menace terroriste avant d’imputer la responsabilité de ce qui s’est passé à son aide de camp, Toumba.

Dès que les violences se sont calmées le 28 septembre, les autorités ont cherché à minimiser les événements et effacer les preuves éventuelles. Tous les lieux dans lesquels des violences avaient été commises ont été placés sous contrôle militaire et interdits d’accès. Deux jours après les événements, le stade a commencé à être repeint.

« Les raisons qui ont poussé les autorités guinéennes à intervenir sur ce qui constituait une scène de crime, conclut la Commission d’enquête de l’ONU, ne peuvent s’expliquer que par une volonté d’empêcher l’exploitation des éléments matériels qui pouvaient s’opposer à la thèse des autorités. » Les enquêteurs de l’ONU notent également que « le personnel de l’hôpital Donka [où a été conduite la majorité des victimes] était terrifié à l’idée de communiquer des informations, plusieurs personnes disaient qu’elles avaient reçu la consigne de ne pas parler.» Un silence toujours de mise aujourd’hui.

Moussa Dadis Camara se défend d’avoir voulu couvrir les faits, pour preuve sa décision de faire appel aux Nations unies et d’ordonner la mise en place d’une Commission d’enquête nationale.

Le président a fait part de son intention de créer cette Commission dès le 1er octobre, mais la mise en place a pris plusieurs semaines et, dans l’intervalle, les attributions de la Commission ont été revues. Contrairement à ce qui était prévu, elle ne disposait pas de pouvoirs judiciaires, donc des pouvoirs d’instruction, et ses membres ont été nommés par décret présidentiel.

Dans son rapport, rendu en janvier 2010, la Commission reconnaît que « le contexte de crise a jeté la suspicion et la méfiance quant à sa crédibilité » et admet ne pas avoir pu interroger le président Moussa Dadis Camara et son aide de camp, Aboubakar Toumba Diakité, « qui figuraient pourtant au programme de la CNEI (Commission nationale d’enquête indépendante). »

Le bilan de la Commission nationale fait état de 63 morts, un chiffre bien inférieur à celui établi par les Nations unies qui parlent de 157 victimes.

« La violence est une culture politique dans notre pays », explique Tibou Kamara, ex-ministre du CNDD et aujourd’hui conseiller du président Alpha Condé. Mais cette violence n’est jamais punie.

Aujourd’hui, les victimes vivent toujours dans la peur, beaucoup d’entre elles préfèrent rester anonymes. Les militaires, eux, n’ont pas été inquiétés.

Après huit longues années d’attente, la justice guinéenne a enfin clôt l’instruction. Douze personnes ont été formellement inculpées par la justice guinéenne, dont Moussa Dadis Camara, son ancien aide de camp Toumba ou le colonel Tiegboro. Hormis l’ancien président, qui vit aujourd’hui en exil au Burkina-Faso, et le lieutenant Aboubakar Toumba Diakité, détenu à la prison centrale de Conakry, les autres inculpés vivent en Guinée, libres. En attendant l’ouverture du procès, sans cesse retardée, certains anciens membres du CNDD, comme le colonel Tiegboro ou Claude Pivi, occupent toujours des fonctions officielles.

« Peut-être que les militaires n’ont pas peur des sanctions, s’interroge Aissatou, violée au stade le 28 septembre 2009. Ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. »

Extrait: memoire-collective-guinee.org





Guinée : dix ans après le massacre de Conakry, l’ONU réclame un procès

“La paix et la réconciliation durables ne seront pas atteintes tant que justice et responsabilité ne seront pas maintenues” a déclaré la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Michelle Bachelet Jeria aux autorités guinéennes en évoquant l’attaque perpétrée par l’armée le 28 septembre 2009, dans un stade de Conakry.

La Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Michelle Bachelet Jeria a appelé samedi les autorités guinéennes à “accélérer” l’organisation du procès des auteurs du massacre d’opposants lors d’une attaque perpétrée par l’armée il y a dix ans dans un stade de Conakry.

“L’impunité règne depuis trop longtemps en Guinée et empêche les cicatrices des victimes de guérir. La paix et la réconciliation durables ne seront pas atteintes tant que justice et responsabilité ne seront pas maintenues”, a déclaré Michelle Bachelet dans un communiqué. Le 28 septembre 2009, les forces de défense et de sécurité et des militaires avaient battu, poignardé et tué par balles des opposants au régime militaire, rassemblés dans le plus grand stade de Conakry pour réclamer que le président autoproclamé depuis décembre 2008, Moussa Dadis Camara, ne se présente pas à la prochaine élection présidentielle. L’instruction sur le massacre est clôturée depuis fin 2017, mais la date du procès n’a toujours pas été fixée.

“Au moins 156 morts et disparus, dont un certain nombre de femmes décédées des suites de violentes agressions sexuelles”

Une Commission d’enquête internationale nommée par l’ONU a établi en décembre 2009 que l’attaque “a fait au moins 156 morts et disparus, dont un certain nombre de femmes décédées des suites de violentes agressions sexuelles”, a rappelé le Haut-Commissariat dans un communiqué. Ce rapport a accablé les autorités de l’époque, expliquant qu’elles ont modifié les lieux du crime. Des détenus ont par ailleurs été torturés, au moins 109 filles et femmes ont été victimes de violences sexuelles et des cadavres ont été enterrés dans des fosses communes. La Commission a également conclu que ce massacre constitue un “crime contre l’humanité”, et a conclu à la responsabilité pénale individuelle de plusieurs responsables guinéens, dont Moussa Dadis Camara.

Des “fonctionnaires mis en accusation et toujours en poste”

“Bien que la Commission d’enquête ait recommandé il y a près de dix ans aux autorités guinéennes de poursuivre les responsables et d’indemniser les victimes, peu de progrès tangibles ont été enregistrés jusqu’à présent”, a déploré Michelle Bachelet, appelant les autorités à “accélérer l’organisation du procès”. “Ces procédures judiciaires tant attendues – si et quand elles auront réellement lieu – devraient garantir la responsabilité à la fois dans l’intérêt des victimes et renforcer l’état de droit dans l’ensemble du pays”, a-t-elle souhaité. La Haut-Commissaire a souligné que les efforts pour engager des poursuites et organiser une procédure judiciaire “ont été extrêmement lents et n’ont pas abouti à un procès ni à des condamnations réelles des responsables”.

“Il est particulièrement préoccupant qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires mis en accusation soient toujours en poste et ne soient pas encore traduits en justice”, a-t-elle conclu.

Le gouvernement “déterminé” à organiser un procès

Vendredi, la veille des 10 ans du massacre, le Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana, a affirmé vendredi soir sur la télévision publique vouloir “rassurer les victimes de la détermination du gouvernement à œuvrer pour la manifestation de la vérité”.

“Tous les présumés auteurs desdites exactions, quels que soient leur appartenance politique, leur titre, leur rang ou leur grade, devront répondre de leurs actes devant la justice de notre pays”, a-t-il assuré. “Ce procès sera, et nous nous y engageons fermement, une occasion de rendre justice aux victimes, de relever concrètement le défi contre l’impunité” en Guinée. Les autorités vont “créer les conditions matérielles, logistiques, techniques et sécuritaires pour la tenue effective de ce procès dans l’enceinte de la Cour d’Appel de Conakry, a ajouté le chef de gouvernement guinéen.

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Massacre du 28 septembre 2009 : la France, les Etats-Unis et l’Union européenne appellent à « la tenue d’un procès sans tarder »

Communiqué conjoint

A l’occasion du dixième anniversaire de ce jour tragique, les Ambassades des Etats-Unis, de France et la Délégation de l’Union Européenne expriment leurs condoléances les plus sincères aux victimes du massacre du stade du 28 septembre 2009 ainsi qu’à leurs familles.

Nous soulignons l’importance de la tenue d’un procès sans plus tarder, afin que les auteurs présumés de ces crimes puissent répondre dans les plus brefs délais de leurs actes devant la justice.

Nous réitérons notre engagement à coopérer étroitement avec les autorités et la justice guinéennes en vue de garantir l’organisation d’un procès transparent et équitable.

 

Lire aussi Guinée : Dix ans après le massacre du stade, la justice n’a toujours pas été rendue

 




En Guinée, Alpha Condé prépare un troisième mandat

Au pouvoir depuis 2010, le président guinéen semble vouloir jouer les prolongations.

Le chef de l’Etat Alpha Condé a annoncé le 22 septembre l’organisation d’un référendum sur le changement de la Constitution en Guinée. Un nouveau texte lui permettrait de briguer un nouveau mandat en 2020.

Une annonce depuis New York

La loi en Guinée limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Pour pouvoir se présenter une troisième fois en octobre 2020, Alpha Condé, 81 ans, se lance dans la révision de la Constitution. Lors d’une rencontre avec des Guinéens à New York en marge l’Assemblée générale de l’ONU, il leur demande de se “préparer pour le référendum et les élections”. Des propos très commentés par la presse, comme le relève RFI.

Un projet contesté

Alpha Condé est le premier président démocratiquement élu en Guinée après des années de dictature. Depuis qu’il est au pouvoir, cet ancien opposant historique a commencé à critiquer la pertinence de la limitation des mandats en Afrique. Le débat sur la question a été lancé en Guinée en janvier 2019 à la publication, par la présidence, des propos de l’ambassadeur de Russie à Conakry. Le diplomate russe suggérait l’amendement de la Constitution.

La proposition a aussitôt suscité une levée de boucliers dans les rangs de l’opposition. Les adversaires politiques d’Alpha Condé ont créé en avril un front regroupant les partis politiques, les syndicats et les membres de la société civile pour s’opposer à ce projet. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été interpellés lors de manifestations contre un troisième mandat.

Et la transition démocratique ?

Si les partisans du président guinéen applaudissent le principe d’un changement constitutionnel, ses opposants refusent pour leurs parts de céder à la pression. Ils  boycottent les “consultations” lancées à ce sujet. Pour ses détracteurs, en modifiant la Constitution, Alpha Condé oublie les valeurs démocratiques qu’il a longtemps défendues lorsqu’il était dans l’opposition.

Une remarque qui rappelle celle de l’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly, fervent défenseur de l’ancien opposant Condé. L’auteur de la célèbre chanson Quitte le pouvoir avait interpellé le chef de l’Etat guinéen. “Moi j’ai dit personnellement au président Alpha Condé que ce n’était pas une bonne idée de briguer un troisième mandat. Il n’était pas très content. Pour quelqu’un qui a lutté pour la démocratie, ce serait dommage de sortir par la petite porte“, a souligné le reggaeman au micro de RFI en mai 2019.

Source: francetvinfo




Guinée : Dix ans après le massacre du stade, la justice n’a toujours pas été rendue

Les familles des victimes du massacre commis en septembre 2009 par les forces de sécurité guinéennes, qui ont tué plus de 150 personnes manifestant dans un stade de la capitale, Conakry, attendent toujours qu’on leur rende justice dix ans plus tard, ont déclaré aujourd’hui six organisations de défense des droits humains. Pour marquer le dixième anniversaire du massacre, les organisations ont diffusé une vidéo dans laquelle des victimes demandent l’ouverture du procès.

Des centaines de personnes ont été blessées et plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles lors de ce déferlement de violence qui a démarré le 28 septembre 2009 et s’est étalé sur plusieurs jours.

Les six organisations sont l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), Les Mêmes droits pour tous (MDT), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Amnesty International et Human Rights Watch.

« Une décennie s’est écoulée depuis le massacre du stade de Conakry, mais pour ceux qui ont perdu leur fils, fille, père ou mère, l’horreur de ce jour reste à jamais gravée dans leur mémoire », a déclaré Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Dix ans, c’est trop long lorsqu’on a soif de justice. Nous avons droit à ce que les responsables de ces atrocités rendent des comptes. »

Peu avant midi, le 28 septembre 2009, plusieurs centaines d’agents des forces de sécurité guinéennes ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de personnes rassemblées pacifiquement dans le stade pour protester contre l’intention de Moussa Dadis Camara, alors chef de la junte au pouvoir, de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité ont également violé des femmes, individuellement ou collectivement, y compris au moyen d’objets tels que des matraques ou des baïonnettes.

Les forces de sécurité se sont ensuite attelées à une opération organisée de dissimulation, dans le but de cacher l’ampleur des tueries, en bouclant tous les accès au stade et aux morgues et en emportant les corps pour les enterrer dans des fosses communes, dont beaucoup doivent encore être identifiées.

L’enquête menée par des juges d’instruction guinéens, ouverte en février 2010 et bouclée fin 2017, a progressé lentement en raison d’obstacles politiques, financiers et logistiques. Mais dans un pays où les crimes impliquant les forces de sécurité restent largement impunis, sa clôture a envoyé un signal fort et levé les espoirs que l’ouverture d’un procès qui pourraient rendre justice aux victimes serait proche.

En avril 2018, l’ancien ministre de la Justice Cheick Sako a mis en place un comité de pilotage chargé d’organiser le procès sur le plan pratique. Ce comité a décidé qu’il se tiendrait à la Cour d’appel de Conakry.

Pourtant, presque deux ans après la clôture de l’enquête, la date du procès n’est toujours pas fixée. Alors que le comité de pilotage est censé se réunir chaque semaine, il ne le fait que par intermittence.

Même si en juillet la Cour suprême guinéenne a écarté tous les recours judiciaires liés à la clôture de l’instruction, les juges qui présideront le tribunal n’ont toujours pas été désignés.

Certains survivants sont décédés pendant que l’affaire continue de traîner en longueur. Un résumé chronologique des événements peut être consulté ici.

Les victimes expliquent dans la vidéo en quoi obtenir justice pour ces crimes est si importante pour elles :

« Depuis ce jour, nous pleurons et nous voudrions pouvoir sécher nos larmes, nous espérons obtenir justice. »

« Je demande encore au président de la République de penser à nous, les victimes du 28 septembre. »

« La proclamation de la date, c’est ce qui est très important. On dit à partir de tel jour, tel mois, le procès va commencer. À partir de cet instant, ça va nous donner beaucoup d’espoir d’aller [vers] le procès. »

Plus de 13 suspects ont été inculpés, dont Dadis Camara, l’ancien chef de la junte appelée Conseil national pour la démocratie et le développement, qui gouvernait la Guinée en septembre 2009, ainsi que son vice-président, Mamadouba Toto Camara. Plusieurs individus inculpés de charges liées aux homicides et aux viols occupent toujours des postes d’influence, y compris Moussa Tiégboro Camara, Secrétaire général chargé des Services spéciaux de lutte contre le grand banditisme et les crimes organisés.

L’aide de camp de Dadis Camara, Abubakar « Toumba » Diakité, a également été inculpé. Il a été extradé vers la Guinée en mars 2017, après plus de cinq ans de cavale. Quatre autres individus sont en détention à la Maison Centrale de Conakry, respectivement depuis 2010, 2011, 2013 et 2015 dans le cadre de l’affaire du 28 septembre. Leur détention provisoire est illégale dans la mesure où elle excède la durée maximale prévue par la loi guinéenne, soit 18 à 24 mois en matière criminelle, en fonction du chef d’inculpation. Ils doivent pouvoir être jugés de façon équitable dans les plus délais.

Le 14 août 2019, lors d’une réunion du comité de pilotage, Mohammed Lamine Fofana, le nouveau ministre de la Justice, a réitéré l’engagement du président Alpha Condé vis-à-vis du procès et promis que des « préparations concrètes » commenceraient immédiatement.

Le gouvernement et les partenaires internationaux de la Guinée, notamment l’Union européenne et les États-Unis, ont déjà mis de côté des fonds essentiels pour que le procès puisse avoir lieu.

« La date du procès doit être fixée et des juges nommés pour juger l’affaire », a déclaré Frédéric Foromo Loua, président de MDT. « Par ailleurs le comité de pilotage devrait répondre aux éventuels besoins en suspens en matière de bâtiments et organiser les procédures de logistique et de sécurité en vue du procès. Enfin il faudrait prendre les mesures adéquates pour assurer la participation de Dadis Camara, qui est actuellement en exil au Burkina Faso ».

La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête préliminaire sur la situation en Guinée en octobre 2009. La CPI agissant comme un tribunal de dernier recours, elle ne prendrait le relais que si les juridictions nationales ne peuvent pas, ou ne veulent pas, instruire et juger les affaires pour lesquelles elles sont compétentes.

« Le procès du 28 septembre 2009 nécessite un appui politique au plus haut niveau afin de démarrer », a conclu Abdoul Gadiry Diallo, président de l’OGDH. « Le président Condé a affirmé auparavant son engagement à mettre fin à l’impunité. Le président doit agir en faveur des victimes en appuyant sans équivoque l’ouverture du procès et le ministre de la Justice doit s’assurer qu’il s’ouvre dans les plus brefs délais. »

Source : communiqué FIDH




En Guinée, un 3e mandat pour Alpha Condé ? La perspective se précise

Dans une vidéo partagée ce lundi 23 septembre sur les réseaux sociaux, le président Alpha Condé appelle les Guinéens à se préparer à un référendum et à des élections. Des propos tenus lors d’une rencontre avec la communauté guinéenne de New York. Un message qui accrédite encore plus une candidature à sa propre succession malgré l’obstacle constitutionnel.

Je vous demande de vous organiser et de vous préparer pour le référendum et les élections“. Ce sont les mots d’Alpha Condé dans une vidéo datée du 22 septembre postée sur Facebook et abondamment reprise ce mardi 24 septembre 2019 par les médias guinéens.

M. Condé rencontrait lundi 23 septembre des membres de la communauté guinéenne à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, selon les médias.
Cette vidéo donne davantage de corps au projet attribué à Alpha Condé de briguer à nouveau la présidence.

Consultations boycottées

Alpha Condé, ancien opposant historique et premier président démocratiquement élu de cette ex-colonie française d’Afrique de l’Ouest, achève son deuxième mandat en octobre 2020. La constitution actuelle l’empêche d’en assumer un troisième.
A son poste depuis 2010, il a souvent contesté la pertinence de la limitation du nombre de mandats. Il n’est pas encore allé jusqu’à lancer une réforme constitutionnelle. Mais il a mandaté début septembre son Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, pour qu’il organise de larges “consultations” portant en particulier sur la constitution. Ces consultations, qui doivent en principe s’achever mercredi 25 septembre, sont boycottées par les principaux partis d’opposition.

Le chef de l’Etat a aussi prôné la tenue d’élections législatives avant la fin de 2019. Elles étaient initialement prévues en 2018, mais avaient été reportées sine die. Le chef de la Commission électorale a proposé qu’elles se déroulent le 28 décembre 2019, mais les représentants de l’opposition au sein de la commission ont jugé cette date “irréaliste“.

Plusieurs membres d’un mouvement créé pour s’opposer à un troisième mandat d’Alpha Condé ont été interpellés en avril et mai lors de manifestations émaillées d’incidents, avant d’être relaxés par la justice.

Lors de son séjour aux Etats-Unis, Alpha Condé a été reçu par le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, qui a appelé à une “transition du pouvoir démocratique et honnête (en Guinée), ce qui impliquera des institutions plus fortes et moins de corruption“, selon le département d’Etat.

Source: TV5Monde




Quelques grandes dates de l’histoire politique de la Guinée (1958 à 2015)


2 octobre 1958 : Proclamation de l’indépendance de la Guinée. Ahmed Sékou Touré est président.

12 Décembre 1958 : La République de Guinée est admise à l’ONU

1 mars 1960 : La Guinée sort de la zone franc

1965-1976 : Rupture des relations diplomatiques entre la France et la Guinée.

25 sept. /2 oct 1967 : Congrès du Parti démocratique guinéen (PDG). Le socialisme est officiellement proclamé comme voie de développement en Guinée.

22 novembre 1970 : Tentative de débarquement de Portugais et d’exilés guinéens. 92 condamnations à mort sont prononcées lors d’un procès.

24/26 avril 1972 : Congrès du PDG. Sékou Touré est réélu à la présidence du parti. Création d’un poste de Premier ministre confié à Lansana Béavogui.

18 septembre 1973 : Rupture des relations diplomatiques avec le Sénégal.

14 juillet 1975 : Rétablissement des relations diplomatiques avec la France.

27 août 1977 : Révolte des femmes contre le régime de Sékou Touré.

18 mars 1978 : Réconciliation de la Guinée avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

16-20 septembre 1982 : Visite du président Sekou Touré à Paris

Du 16 au 20, Ahmed Sekou Touré, président de la République de Guinée, est à Paris pour une visite officielle qui ne va pas sans créer un certain malaise, en particulier au sein du Parti socialiste français, en raison des violations des droits de l’homme en Guinée. À la veille de sa visite, le président guinéen a en effet confirmé l’exécution de huit détenus politiques mariés à des françaises. Cependant, cette visite a surtout des objectifs économiques et, le 17, au C.N.P.F., ont lieu des discussions concernant l’exploitation des riches gisements guinéens de bauxite, de fer et de phosphate, ainsi que la création d’une industrie électrométallurgique.

26-30 mars 1984 : Mort du président Sékou Touré

Le 26, Ahmed Sékou Touré, chef de l’État guinéen depuis 1958, date de l’accession à l’indépendance, meurt aux États-Unis, après avoir subi une intervention chirurgicale. Il avait eu la veille une crise cardiaque alors qu’il se trouvait en Arabie Saoudite, au cours d’un voyage qu’il effectuait pour préparer le sommet de l’O.U.A. prévu pour le mois de mai à Conakry.

Le 27, Lansana Beavogui, Premier ministre, est nommé chef du gouvernement par intérim.

Le 30, les obsèques du président décédé ont lieu à Conakry en présence de très nombreux chefs d’État étrangers. Pierre Mauroy représente la France.

3-11 avril 1984 : Prise du pouvoir par les militaires

Le 3, un Comité militaire de redressement national (C.M.R.N.) prend le pouvoir en Guinée, une semaine après la mort du président Sékou Touré. Les militaires annoncent la dissolution du Parti démocratique de Guinée (P.D.G.) ainsi que de l’Assemblée nationale, la suspension de la Constitution et s’engagent à créer « les bases d’une véritable démocratie évitant à l’avenir toute dictature personnelle ». Le colonel Lansana Conte, qui préside le C.M.R.M., est nommé chef de l’État.

Le 8, le colonel Lansana Conte tient sa première conférence de presse : il indique que les anciens responsables ne seront pas exécutés mais jugés pour fautes économiques et administratives. Les nouveaux dirigeants sont résolus à faire respecter les droits de l’homme.

Le 11, les grandes lignes de la politique du nouveau régime sont présentées: libéralisation de l’économie, réforme de structures en matière d’éducation et de santé. Le colonel Conte réaffirme l’adhésion de la Guinée aux chartes de l’O.N.U., de l’O.U.A. et du mouvement des Non-Alignés.

19-23 décembre 1993 : Victoire du président Lansana Conté à l’élection présidentielle

Le 19, la première élection présidentielle multipartite se déroule sur fond de violences meurtrières. Repoussée de quinze jours en raison de son impréparation, elle ne satisfait pas l’opposition qui demandait son report au début de l’année 1994.

Le 23, les résultats officiels font état de la victoire du président sortant, le général Lansana Conté, arrivé au pouvoir en avril 1984 à la faveur d’un coup d’État, qui recueille 51,70 p. 100 des suffrages exprimés. Rentré d’exil en mai 1991, Alpha Condé, candidat du Rassemblement du peuple de Guinée, obtient 19,55 p. 100 des voix. Ce dernier conteste la victoire au premier tour du président sortant.

11 juin 1995 : Élections législatives contestées

Le Parti de l’unité et du progrès du président Lansana Conté remporte les premières élections législatives pluralistes de l’histoire du pays, avec 71 sièges sur 114. Dans l’opposition, le Rassemblement du peuple de Guinée d’Alpha Condé obtient 19 élus ; le Parti du renouveau et du progrès de Siradiou Diallo et l’Union pour la nouvelle république de Ba Mamadou ont chacun 9 députés. La validité du scrutin est contestée par les observateurs internationaux et l’opposition qui dénoncent de nombreuses fraudes. En décembre 1993, l’élection du président Conté, au pouvoir depuis le coup d’État de mars 1984, avait rencontré les mêmes critiques.

2-21 février 1996 : Tentative de coup d’État

Le 2, des centaines de militaires manifestent, dans les rues de Conakry, pour obtenir l’augmentation de leur solde et le départ du ministre de la Défense, le colonel Abdourahamane Diallo. La mutinerie qui s’accompagne de pillages se transforme rapidement en tentative de putsch. Les militaires attaquent le palais présidentiel et constituent un Comité de salut national, sur le modèle du Conseil de salut national formé par les putschistes nigériens en janvier.

Le 4, les combats, qui ont fait une cinquantaine de morts, s’apaisent. Le président Lansana Conté confirme le limogeage du colonel Diallo et l’augmentation de la solde qui avaient été annoncés dès le début des troubles.

Le 6, cinq officiers, dont certains auraient déjà été à l’origine d’une précédente tentative de putsch en juin 1994, sont arrêtés.

Le 21, dans une « adresse à la nation », le président Conté distingue les soldats qui revendiquaient une amélioration de leur situation des « fils indignes » qui voulaient prendre le pouvoir. Il accuse sans les nommer certains membres de l’opposition de complicité avec les putschistes. Le chef de l’État n’évoque pas les conclusions de la « commission de réflexion » constituée par l’Assemblée nationale après les troubles, qui préconisent une réforme de l’armée ainsi qu’une concertation entre l’État et les syndicats au sujet de la politique salariale.

14-15 décembre 1998 : Réélection controversée du général Lansana Conté

Le 14, le général Lansana Conté remporte l’élection présidentielle dès le premier tour, avec 56,1 p. 100 des suffrages. Mamadou Bâ, du Parti du renouveau et du progrès, obtient 24,6 p. 100 des voix et Alpha Condé, chef du Rassemblement du peuple de Guinée, 16,9 p. 100. L’opposition, qui avait conclu un accord pour empêcher le président sortant d’être élu au premier tour, dénonce des fraudes. Des irrégularités avaient déjà entaché le premier scrutin présidentiel pluraliste remporté par le général Conté, en décembre 1993.

Le 15, Alpha Condé est arrêté alors qu’il aurait tenté de fuir le pays. Les jours suivants, des manifestants réclament sa libération, à Conakry et dans d’autres villes du pays.

11 septembre 2000 : Condamnation de l’opposant Alpha Condé

La Cour de sûreté de l’État annonce la condamnation de l’opposant Alpha Condé à cinq ans de prison pour atteinte à l’autorité de l’État, au terme d’un procès entamé en avril. Le chef du Rassemblement du peuple de Guinée était jugé pour avoir tenté d’organiser un putsch contre le régime du président Lansana Conté, lors de l’élection présidentielle de décembre 1998 à laquelle il était candidat. Il avait été arrêté avant la proclamation des résultats. Alpha Condé a toujours nié les faits qui lui sont reprochés.

11 novembre 2001 : Renforcement des pouvoirs du président Lansana Conté

La révision constitutionnelle visant à permettre au président Lansana Conté, au pouvoir depuis 1984, de briguer un troisième mandat en 2003 est approuvée par référendum par 98,4 p. 100 des suffrages. L’opposition, qui avait appelé au boycottage du scrutin, conteste les résultats. La limitation du nombre des mandats présidentiels est supprimée, ainsi que la limite d’âge du candidat. En outre, la réforme accroît le pouvoir du chef de l’État face à l’Assemblée nationale.

21 décembre 2003 : Réélection du président Lansana Conté

Lansana Conté, au pouvoir depuis avril 1984, est réélu dès le premier tour avec 95,6 p. 100 des suffrages en dépit de la grave maladie dont il est atteint. En raison du désistement du candidat de l’opposition, qui boycottait le scrutin, le général-président n’était confronté qu’à un seul candidat, inconnu, Mamadou Bhoye Barry, unique élu d’un petit parti.

10-26 janvier 2007 : Crise politique

Le 10, les syndicats lancent un mouvement de grève générale qui est brutalement réprimé. Les jours suivants, les manifestants, qui avançaient des revendications sociales et politiques ponctuelles, en viennent à exiger la démission du président Lansana Conté, qui est gravement malade.

Le 22, l’armée ouvre le feu sur une marche pacifique de manifestants.

Le 26, au terme de deux semaines de crise qui ont fait cinquante-neuf morts, le président Conté accepte de nommer un chef du gouvernement auquel serait déléguée une grande partie de ses prérogatives. Depuis le limogeage du précédent Premier ministre Cellou Diallo, en avril 2006, Lansana Conté assurait aussi les fonctions de chef du gouvernement.

9-26 février 2007 : Nomination d’un Premier ministre de consensus

Le 9, le président Lansana Conté, qui avait accepté en janvier de céder une partie de ses pouvoirs à un Premier ministre, nomme à ce poste un de ses proches, Eugène Camara. Face à cette décision qu’ils considèrent comme une « insulte », les syndicats appellent à la reprise de la grève générale. Les jours suivants, les troubles font des dizaines de morts à Conakry et dans les villes de province.

Le 11, les syndicats réclament pour la première fois la démission du président Conté.

Le 12, ce dernier proclame l’état de siège, qui interdit notamment toute manifestation.

Le 25, alors que l’Assemblée nationale a refusé de prolonger l’état de siège, Lansana Conté accepte de nommer un nouveau Premier ministre de consensus parmi quatre candidats proposés par les syndicats, selon un accord conclu sous l’égide de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. La grève générale est suspendue.

Le 26, l’annonce de la nomination comme Premier ministre de Lansana Kouyaté, un diplomate de carrière, est accueillie par la rue comme une victoire sur le président Conté.

22-29 décembre 2008 : Mort du président Lansana Conté et coup d’État militaire

Le 22, le président Lansana Conté, au pouvoir depuis avril 1984, meurt des suites d’une maladie. Le président de l’Assemblée nationale Aboubacar Somparé doit assurer l’intérim du pouvoir.

Le 23, le Premier ministre Ahmed Tidiane Souaré appelle au calme et charge l’armée de maintenir l’ordre. Cependant, le capitaine Moussa Dadis Camara, responsable de l’approvisionnement en carburant de l’armée, déclarant agir au nom de la lutte contre « la corruption généralisée, l’impunité et l’anarchie » et contre « la situation économique catastrophique », annonce sur les ondes la dissolution du gouvernement, la suspension des institutions et la mise en place d’un Conseil national pour la démocratie et le développement composé de civils et de militaires. Le chef d’état-major, le général Diarra Camara, assure que les mutins sont minoritaires au sein d’une armée très divisée. L’Union africaine, l’O.N.U., l’Union européenne et les États-Unis condamnent la tentative de coup d’État.

Le 24, tandis que les putschistes promettent l’organisation d’élections libres en décembre 2010, le capitaine Camara se proclame président de la République.

Le 25, le Premier ministre et une trentaine de ministres font allégeance au capitaine Camara.

Le 26, le président du Sénégal Abdoulaye Wade appelle à soutenir la junte au pouvoir à Conakry.

Le 29, l’Union africaine suspend la Guinée.

15 janvier 2009 : Formation d’un gouvernement

La junte militaire, appelée Conseil national pour la démocratie et le développement et conduite par le capitaine Moussa Dadis Camara, qui s’est proclamé président de la République le 24 décembre 2008 à la suite d’un coup d’État, présente le nouveau gouvernement. Celui-ci est constitué majoritairement de civils, comme l’a souhaité la communauté internationale qui a fait pression sur la junte. Les États-Unis avaient ainsi suspendu leur aide – à l’exception de l’aide humanitaire – le 6 janvier; et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest avait mis à pied la Guinée, le 10 janvier, « jusqu’à la restauration de l’ordre constitutionnel ». La communauté internationale demande également que des élections soient organisées au plus vite.

28 septembre – 16 octobre 2009 : Répression violente d’une manifestation par la junte militaire

Le 28, à l’appel de l’opposition, plusieurs dizaines de milliers de personnes se rassemblent dans le stade de Conakry pour manifester contre l’éventuelle candidature à la présidence – élection prévue pour le 31 janvier 2010 – du capitaine Moussa Dadis Camara, arrivé au pouvoir par la force en décembre 2008. Violemment réprimée par l’armée – et notamment par la Garde présidentielle –, la manifestation se solde, selon un bilan officiel, par cinquante-sept morts dont douze personnes tuées par balles, mais, d’après diverses O.N.G., par cent cinquante-sept morts, quelque mille deux cents blessés et de nombreuses arrestations.

Le 29, l’Union africaine condamne fermement la répression et la France annonce la suspension immédiate de sa coopération militaire et le réexamen de son aide bilatérale.

Le 29 également, le capitaine Moussa Dadis Camara rejette la responsabilité du massacre sur le Forum des forces vives de Guinée – groupement de partis d’opposition, de syndicats, et de représentants de la société civile.

Le 1er octobre, Moussa Dadis Camara invite ses opposants au dialogue; la veille, il avait demandé la mise en place d’une « commission d’enquête internationale ».

Le 2, le président du Burkina Faso Blaise Compaoré est nommé médiateur de la crise guinéenne par le président de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.

Le 6, l’opposition exige le départ du capitaine Moussa Dadis Camara, la dissolution du Conseil national pour la démocratie et le développement – la junte au pouvoir – et la mise en place d’un organe de transition pour désigner un gouvernement d’union nationale, comme préalable à toute discussion.

Les 12 et 13, le Forum des forces vives de Guinée appelle à deux journées « ville morte » à Conakry afin d’obtenir le départ de la junte au pouvoir.

Le 16, le secrétaire général de l’O.N.U. Ban Ki-moon annonce la création de la commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur les événements du 28 septembre.

3-22 décembre 2009 : Tentative d’assassinat contre le chef de la junte

Le 3, à Conakry, le chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, se fait tirer dessus par son aide de camp, le lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité, dit « Toumba », au cours d’une fusillade dans une caserne. En tant que chef d’une unité de la garde présidentielle, Toumba est mis en cause par la commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur les viols et les massacres qui ont fait cent cinquante-sept morts le 28 septembre dans le stade de Conakry. Blessé à la tête, le chef de la junte est évacué vers le Maroc, tandis que son aide de camp prend la fuite. L’intérim du pouvoir est assuré par un proche du capitaine Dadis Camara, le ministre de la Défense, le général Sékouba Konaté.

Le 8, le porte-parole du chef de la junte militaire accuse Bernard Kouchner, chef de la diplomatie française et « des services français » d’avoir voulu « préparer un coup d’État en Guinée ». Le Quai d’Orsay dément formellement toute implication.

Le 19, la commission d’enquête de l’O.N.U., mandatée par le secrétaire général Ban Ki-moon, remet au Conseil de sécurité un rapport dans lequel elle qualifie les massacres et violences perpétrées le 28 septembre de « crimes contre l’humanité »; elle en estime responsables le chef de la junte et plusieurs de ses proches. Elle demande que la Cour pénale internationale soit saisie.

Le 22, l’Union européenne durcit sa position à l’encontre de la junte en gelant des avoirs, en annulant un projet d’accord sur la pêche et en interdisant toute fourniture de matériel pouvant servir à la répression interne.

7-18 janvier 2010 : Accord de sortie de crise

Le 7, le général Sékouba Konaté, président par intérim depuis la tentative d’assassinat perpétrée en décembre 2009 contre le chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, annonce sa décision de nommer un Premier ministre désigné par l’opposition, qui sera chargé de mettre en place un gouvernement transitoire d’union nationale.

Le 12, le capitaine Dadis Camara quitte le Maroc, où il était soigné, pour le Burkina Faso dont le président, Blaise Compaoré, fait office de médiateur dans la crise guinéenne.

Le 15, Moussa Dadis Camara, le général Konaté et le président Compaoré signent à Ouagadougou un accord qui prévoit le maintien du premier « en convalescence » au Burkina Faso et l’organisation d’une élection présidentielle en Guinée dans six mois.

Le 18, le général Konaté nomme au poste de Premier ministre l’opposant Jean-Marie Doré.

7 novembre – 10 décembre 2010 : Élection d’Alpha Condé à la présidence

Le 7 se déroule le second tour de l’élection présidentielle. Ce scrutin décidé à la suite du coup d’État de décembre 2008, puis reporté après la tentative d’assassinat du chef de la junte Moussa Dadis Camara en décembre 2009, constitue la première élection libre depuis l’indépendance du pays en octobre 1958. Lors du premier tour, le 27 juin, l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, chef de l’Union des forces démocratiques de Guinée, est arrivé en tête avec 44 p. 100 des suffrages, devant l’opposant historique Alpha Condé, chef du Rassemblement du peuple de Guinée, qui a obtenu 18 p. 100 des voix. L’ancien Premier ministre Sidya Touré, chef de l’Union des forces républicaines, a recueilli 13 p. 100 des suffrages.

Le 15, la commission électorale annonce la victoire d’Alpha Condé, avec 52,5 p. 100 des suffrages. Cellou Dalein Diallo refuse d’admettre sa défaite, reprochant à la commission électorale de n’avoir pas examiné tous les recours pour fraude.

Le 17, le président par intérim Sékouba Konaté proclame l’état d’urgence et instaure un couvre-feu afin de contenir les violences meurtrières qui ont suivi l’annonce des résultats.

Le 3 décembre, la Cour suprême confirme l’élection d’Alpha Condé à la tête de l’État.

Le 10, l’état d’urgence est levé.

28-30 septembre 2013 : Tenue des élections législatives dans un contexte tendu

Le 28 se tiennent les premières élections législatives libres depuis 2002, dans un contexte de forte agitation après deux ans de vives tensions pour mettre en place le fichier électoral. Près de 30 formations et 2 000 candidats se disputent les 114 sièges de la Chambre, dont le Rassemblement du peuple de Guinée, le parti du président Alpha Condé qui a été élu en 2010, et l’Union des forces démocratiques de Guinée de Cellou Dalein Diallo, son principal opposant, qui s’est allié avec Sidya Touré, de l’Union des forces républicaines. En juillet, un accord politique avait été trouvé avec l’opposition, qui dénonçait le recensement électoral mais acceptait de participer aux élections si la Commission électorale nationale indépendante était mise sous contrôle.

Le 30, l’opposition dénonce des fraudes dans le processus de décompte et de centralisation des résultats et affirme que le pouvoir prépare un « hold-up électoral ».

11 octobre 2015 : Réélection du président Alpha Condé.

Le président Alpha Condé, candidat du Rassemblement du peuple guinéen, est réélu au premier tour avec 57,9 p. 100 des suffrages. Son principal adversaire Cellou Dalein Diallo, candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée, recueille 31,4 p. 100 des voix. Le taux de participation est de 68,4 p. 100. L’opposition dénonce des fraudes tout en appelant ses partisans au calme.


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com




Ibrahima Kassory Fofana devient Premier ministre en Guinée

Cinq jours après la démission du Premier ministre Mamadi Youla et de son gouvernement, le président guinéen Alpha Condé a nommé ce lundi 21 mai 2018 un nouveau chef du gouvernement en la personne de Ibrahima Kassory Fofana. Economiste de formation, Kassory Fofana est une personnalité bien connue des Guinéens.

Haut fonctionnaire au ministère de la Coopération internationale et au ministère du Plan dans les années 1980 et 1990, Kassory Fofana entre pour la première fois au gouvernement en 1996 à la faveur de la nomination de Sidya Touré au poste de Premier ministre. C’était au lendemain d’une mutinerie d’une partie de l’armée, les 2 et 3 février 1996. Il occupa alors le poste du Budget et de la Restructuration du secteur parapublic. Il y restera deux ans avant de devenir un tout-puissant ministre de l’Economie et des Finances par la grâce du général Lansana Conté.

Il sera limogé deux ans plus tard, en 2000, et optera pour un exil volontaire au Sénégal puis aux Etats-Unis.

De retour en Guinée, il mettra en place sa propre formation politique « Guinée pour tous » qu’il conduira lui-même pour l’élection présidentielle de 2010 et obtiendra 0,66% des suffrages exprimés. S’inscrivant résolument dans l’opposition radicale, il a été très virulent vis-à-vis d’Alpha Condé et de son régime avant de revenir à de meilleurs sentiments.

Vendredi dernier, il a fusionné son parti GPT (Guinée Pour Tous) à celui du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) au pouvoir.




Le parti au pouvoir absorbe le parti GPT de Kassory Fofana

Alliés du RPG arc-en-ciel (le parti au pouvoir), Ibrahima Kassory Fofana, ministre d’Etat en charge des investissements et du partenariat public-privé et leader du parti politique GPT, Boubacar Barry, ministre et leader du parti UNR et Bah Fisher du parti PNR, ont décidé de fusionner leurs partis respectifs au RPG arc-en-ciel.

Nous avons décidé volontairement, conscient  des enjeux du pays, conscient de tous les efforts que le Pr Alpha Condé est en train de déployer pour faire de la Guinée le pays émergent, nous avons décidé d’accompagner son action puisque c’est un homme pressé. Il conduit la locomotive Guinée vers le progrès, nous joignons nos roues à cette locomotive pour accélérer le développement de la Guinée. C’est une approche volontariste qui n’a rien de circonstanciel. C’est vrai je veux le pouvoir dans ce pays, mais si je veux le pouvoir pour le bonheur du peuple de Guinée, je renonce au pouvoir pour laisser le Pr Alpha Condé. C’est ma conviction. L’énergie qu’il a, je ne l’ai pas. Le sacrifice de don de soi qu’il a, je ne l’ai pas. C’est une réalité. Les guinéens comprendront »




Contentieux électoral : l’opposition républicaine donne une chance au dialogue

Le 10 mai 2018, l’opposition républicaine suspendait sa participation aux travaux du comité de suivi des accords du 12 octobre 2016. Cellou Dalein Diallo dénonce le manque de volonté de la partie adverse (mouvance présidentielle) d’œuvrer pour une solution définitive au contentieux électoral issue des élections communales du 4 février 2018 : « On s’est rendu compte qu’il n’y a pas de volonté de trouver une solution de sortie de crise malgré l’implication des partenaires au développement. Ils ne veulent pas la paix dans ce pays. Donc, nous sommes obligés de suspendre notre participation au comité de suivi », a déclaré le leader du parti UFDG.

En décidant le 16 mai 2018 de suspendre les manifestations de rue suite à l’offre de médiation de certains diplomates accrédités à Conakry, l’opposition républicaine donne une chance au dialogue pour un rapprochement des positions, comme le souligne le chef de file de l’opposition : « Nous suspendons nos manifestations pour donner la chance aux partenaires techniques et financiers de la Guinée de mener des démarches pour rapprocher des positions et aider à trouver une solution juste et équitable à la crise ».

Lors de son assemblée générale hebdomadaire ce samedi 19 mai 2018 à son siège à la Minière, le leader de l’UFDG est revenu sur cette question en fustigeant l’attitude de certains responsables du parti présidentiel pendant le dialogue. Selon lui, l’opposition républicaine est prête à revenir à la table de dialogue mais à conditions qu’il y ait une volonté des représentants de la mouvance d’aller vers des « solutions justes et équitables » par rapport au contentieux électoral et la libération des militants arrêtés et détenus en prison.

 




Amnesty International dénonce l’usage excessif de la force contre des manifestants en Guinée

Cette année encore, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive contre des manifestants. Des journalistes, des défenseurs des droits humains et d’autres personnes qui s’étaient exprimées contre le gouvernement ont été arrêtés arbitrairement. L’impunité demeurait monnaie courante. Le droit à un logement convenable n’était pas respecté.

Contexte

Le report des élections locales à février 2018 et les spéculations sur l’éventuelle candidature du président Alpha Condé à un troisième mandat lors de la prochaine élection présidentielle ont provoqué des tensions sociales et politiques.

Liberté de réunion

Au moins 18 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées pendant des manifestations. En février, sept personnes ont été tuées à Conakry, la capitale du pays, lors de manifestations liées à une grève contre la décision des autorités de revoir les conditions d’emploi des enseignants et de fermer des écoles. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des matraques et ont procédé à des tirs à balles réelles pour disperser les manifestants.

Le 20 février, la police a interpellé sept défenseurs des droits humains membres du mouvement La voix du peuple, à l’origine d’un sit-in organisé à Conakry pour demander la réouverture des écoles. Ils ont été inculpés de « trouble à l’ordre public » avant que les charges soient requalifiées en « participation à un attroupement illégal ». Ils ont été libérés le soir même. Trois jours après sa remise en liberté, l’un d’entre eux, Hassan Sylla, journaliste à la télévision nationale, a été suspendu de ses fonctions pour six mois pour faute grave ; aucune explication n’a été fournie.

Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles lors de violentes manifestations organisées en avril, en mai et en septembre pour dénoncer les conditions de vie difficiles dans la région de Boké. Quatre hommes au moins sont décédés des suites de blessures par balles.

Le 22 août, l’ancien militaire et syndicaliste Jean Dougou Guilavogui a été interpellé à Matoto, une commune de la capitale, et emmené dans un centre de détention de la gendarmerie. Inculpé de « participation à un attroupement illégal », il a été maintenu en détention sans jugement à la Maison centrale, la principale prison de Conakry, jusqu’à sa libération sous caution le 21 décembre.

Liberté d’expression

Des journalistes, des défenseurs des droits humains et d’autres personnes qui s’étaient exprimées contre le gouvernement ont été roués de coups et détenus arbitrairement. Au moins 20 personnes ont été arrêtées pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression et 20 autres ont été victimes de violences policières.

En février, une journaliste de Radio Lynx FM, Mariam Kouyaté, a été interpellée par des agents de sécurité alors qu’elle enquêtait à Conakry sur les services de santé de l’hôpital Ignace Deen. Comme elle refusait de remettre sa carte de presse et son matériel d’enregistrement, elle a été conduite à un poste de police pour y être interrogée, avant d’être libérée sans inculpation le jour même. En mai, Aboubacar Camara, un journaliste de Gangan TV, a été frappé par des gendarmes alors qu’il filmait une altercation au sujet d’un conflit foncier dans la banlieue de Conakry durant laquelle les forces de sécurité lui semblaient faire usage d’une force excessive. Les gendarmes l’ont contraint à monter dans leur véhicule, emmené à la gendarmerie et relâché un peu plus tard après avoir détruit ses enregistrements.

En juin, la Haute autorité de la communication a suspendu de ses fonctions pour un mois un présentateur de la radio Espace FM, Mohamed Mara, au motif qu’il s’était montré « insultant » lors d’un débat sur la polygamie diffusé à la radio. En novembre, l’Autorité a ordonné à la station de radio de cesser d’émettre durant une semaine parce qu’elle avait évoqué le manque de moyens des armées, ce qui était susceptible de porter atteinte à la sécurité de l’État et de saper le moral des forces armées. En juillet, la télévision nationale a suspendu l’un de ses journalistes, Alia Camara, qui avait dénoncé le faible taux de réussite au baccalauréat.

Le 27 juin, à Lélouma, les gendarmes ont arrêté Amadou Sadio Diallo, un journaliste de guinéematin.com accusé de « trouble à l’ordre public » pour avoir fait état d’une possible épidémie de choléra, ce que les autorités ont qualifié de « fausse nouvelle ». Amadou Sadio Diallo a été relâché le lendemain.

Le 30 octobre, quatre journalistes de Gangan TV ont été arrêtés par les gendarmes à Matam, une commune de Conakry, et accusés de diffusion de fausses nouvelles et d’outrage au chef de l’État parce qu’ils auraient propagé des rumeurs annonçant le décès d’Alpha Condé. Trois d’entre eux ont été relâchés quelques heures plus tard et le quatrième a été remis en liberté le lendemain. Au moins 18 journalistes qui s’étaient rassemblés à la gendarmerie de Matam en solidarité avec leurs confrères ont été roués de coups par des membres des forces de sécurité, qui ont également détruit leur matériel.

Évolutions législatives

En juin, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau code de justice militaire, dont la promulgation signifierait l’abolition effective de la peine capitale. Certaines dispositions de ce code étaient toutefois susceptibles de fragiliser les droits à un procès équitable et à la justice, notamment en permettant la comparution de civils devant des juridictions militaires.

Impunité

En février, un capitaine de la brigade anticriminalité de Kipé, un quartier de Conakry, a été arrêté et inculpé pour des actes de torture commis sur un homme en garde à vue en mars 2016. Au moins 10 autres gendarmes et policiers avaient été suspendus à la suite de ces faits, mais aucun n’a été déféré devant un juge.

Des progrès ont été réalisés dans l’affaire du massacre commis au stade de Conakry en septembre 2009, lors duquel plus de 150 manifestants non violents avaient été tués et au moins 100 femmes violées. En mars, le Sénégal a extradé Aboubacar Sidiki Diakité, qui était en fuite depuis des années, pour qu’il puisse répondre en Guinée d’accusations liées aux événements survenus dans le stade. Cet homme avait été l’aide de camp de Moussa Dadis Camara, qui était à la tête de la junte militaire en 2009. Plusieurs personnes inculpées de charges liées aux homicides et aux viols occupaient toujours des postes d’influence, y compris d’anciens hauts responsables de la junte militaire comme Mathurin Bangoura, Moussa Tiégboro Camara et Claude Pivi. En novembre, les juges d’instruction ont annoncé que l’information judiciaire était terminée ; toutefois, aucun des auteurs présumés n’avait été traduit en justice à la fin de l’année.

En septembre, un collectif de victimes a intenté une action contre Sékouba Konaté, qui avait été ministre de la Défense en 2009 et président de la transition en 2009 et 20101.

Les procédures judiciaires engagées contre des membres des forces de sécurité pour des violations des droits humains commises lors de manifestations organisées à Conakry entre 2011 et 2017 et à Zogota en 2012, et lorsque les forces de sécurité occupaient le village de Womey en 2014, n’ont pas progressé.

Droits en matière de logement

En août, au moins 10 personnes, dont au moins 2 enfants, ont été tuées dans l’éboulement d’une décharge à Dar es Salam, un quartier de Conakry. En septembre, le porte-parole du gouvernement a reconnu un échec des services d’assainissement. Le directeur national du service chargé des actions humanitaires au sein du ministère de l’Administration du territoire a déclaré que les habitants encore sur place devraient être expulsés sans délai.

  1. Guinée. Huit ans plus tard, justice doit être rendue pour le massacre (communiqué de presse, 27 septembre)

Rapport Amnesty International 2017-2018

 




Le premier ministre guinéen présente la démission de son gouvernement

S’exprimant le 8 mars dernier à l’occasion de la fête des femmes, le président Alpha Condé promettait un grand remaniement ministériel dans les prochains jours. Plus de deux mois après, nous apprenons ce jeudi 17 mai 2018 la démission du premier ministre Mamady Youla et celle de son gouvernement à l’occasion du Conseil ordinaire des ministres tenu ce jour au palais Sékhoutoureya. Le bureau de presse de la présidence invite les médias à un point de presse qui sera présenté par Naby Youssouf Kiridi Bangoura, ministre d’Etat, porte-parole de la Présidence.

 




Un arrêté ministériel lance les préparatifs du procès du massacre du stade de Conakry

La création d’un comité de pilotage pour l’organisation du procès du massacre du 28 septembre 2009 était attendue depuis la clôture de l’instruction judiciaire en novembre 2017. Elle doit permettre l’ouverture du procès en 2018, comme les autorités guinéennes s’y sont engagées.

Par un arrêté du 9 avril 2018 (N°/2018/3173/MJ/CAB), Cheick Sako, le ministre guinéen de la Justice, a mis en place un Comité de pilotage du procès des événements du 28 septembre 2009. Ce comité est notamment en charge de l’organisation, de la sécurisation et du financement du procès.

“Après la clôture de l’instruction en novembre 2017, la création de ce Comité de pilotage est un nouveau signal fort pour les victimes. Nous entrons maintenant dans la phase très concrète de l’organisation du procès. Nous nous félicitons de cette décision et appelons le Comité de pilotage à proposer au plus vite un agenda tenant compte de l’immense attente des victimes, bientôt 9 ans après le massacre.” Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA

 

Le Comité de pilotage est composé de 13 membres, dont le ministre et des représentants d’institutions nationales et internationales, et notamment le Haut commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme. En revanche, un seul représentant de la société civile y participera, et nos organisations demandent au ministère de la Justice de veiller à ce qu’il ou elle soit issue d’une association de victimes, afin de garantir la prise en compte de leurs préoccupations. L’arrêté prévoit que le comité se réunisse une fois par semaine dès son installation, devant ainsi permettre des progrès rapides.

“L’instruction judiciaire a duré de longues années, mais a permis la mise en cause des principaux responsables présumés du massacre, y compris Moussa Dadis Camara. Il n’y a désormais plus de temps à perdre pour l’organisation d’un procès historique pour la Guinée et plus largement pour l’Afrique. La feuille de route et la fréquence prévue des réunions du Comité sont des gages importants pour y parvenir.” Me Drissa Traore, vice président de la FIDH

 

Nos organisations accompagnent 450 victimes constituées parties civiles dans cette procédure. L’une d’entre elles est décédée à Conakry hier, jeudi 12 avril, alors qu’elle faisait l’objet d’un suivi médical, portant à près d’une dizaine le nombre de victimes décédées depuis 2009. Nos organisations leur rendent hommage et appellent les autorités à garantir l’ouverture rapide du procès. Elles tiennent à la disposition du Comité une série de recommandations quant à l’organisation de celui-ci.

Cet communiqué a été publié initialement sur le site fidh.org

Crédit photo: © FIDH/Tommy Trenchard

Sékou Chérif Diallo

sekoucherif@guineepolitique.com




Élections communales : prorogation de la date de dépôt de candidature

Communiqué de la CENI relatif au dépôt des dossiers de candidatures en vue des élections communales du 04 février 2018

La commission électorale nationale indépendante (CENI) a le plaisir d’informer les acteurs du processus électoral que le chronogramme de ses activités opérationnelles est effectivement respecté. Toutes les dates devant conduire aux élections le 04 février 2018 demeurent bien tenues.

Malheureusement, un certain retard dans le dépôt des dossiers de candidatures est entrain d’affecter cette dynamique. A ce jour 19 décembre 2017, seulement vingt-cinq (25) listes de candidature ont été enregistrés pour l’ensemble des 342 circonscriptions électorales du pays. En conséquence, la CENI voudrait inviter les partis politiques, les coalitions de partis politiques et les candidatures indépendantes à bien vouloir accélérer le rythme pour cette étape capitale du processus électoral.

Aussi, la commission électorale nationale indépendante voudrait rappeler à l’intention de toutes les parties prenantes que conformément au chronogramme validé des élections communales, le 20 décembre 2017 à 00 heures est la date limite pour les dépôts des listes de candidatures.

A cet effet, elle invite instamment les acteurs concernés à tout mettre en œuvre pour le respect des délais indiqués.

La commission électorale nationale indépendante sait compter sur la diligence habituelle des uns et des autres.

 

LA CENI

Communiqué CENI

 

Le 20 décembre 2017, dans une décision, la CENI proroge la date de dépôt des dossiers de candidatures.

La clôture des opérations de candidatures prévue le mercredi 20 décembre 2017, est prorogée jusqu’au mardi 26 décembre 2017 sur toute l’étendue du territoire national.

Decision CENI

 

Sékou Chérif Diallo

sekoucherif@guineepolitique.com




Comment frauder une élection ?


Analyse


Par Alpha Amadou Bano BARRY, Sociologue

Cet article est un autre d’une série que je souhaite partager avec les Guinéens. Celui-ci porte sur la fraude électorale. Comme toute généralité, il souffre probablement de plusieurs imperfections. J’accepte volontiers des critiques, des suggestions et des compléments d’informations pour qualifier ma réflexion académique et empirique. En attendant de bien documenter « la fraude électorale sous les tropiques de Guinée » qui est le titre d’une recherche en cours, la question au centre de ma présente préoccupation est la suivante : Comment frauder une élection ?


Ce texte est donc pédagogique et est élaboré à l’usage des citoyens non seulement pour sensibiliser tous les électeurs mais aussi pour dissuader le ou les candidats qui auraient mis en place un système de fraude.

Ce texte ne traitera pas des raisons de la fraude électorale, même si l’on sait l’existence du lien fort entre la corruption et la fraude électorale. Pour plusieurs spécialistes, l’indice de corruption publiée par transparancy International est un indicateur des risques de fraude dans un pays : « plus un pays est corrompu, plus les risques de fraude sont élevés ».

On sait aussi que la fraude est un refus de la démocratie dans son acception libérale du terme. C’est-à-dire une compétition loyale, légale pour obtenir le suffrage des citoyens. Dans ce cadre, certains candidats ont la tentation de vouloir se substituer au peuple, c’est-à-dire au corps électoral en procédant à la fraude électorale. En règle générale, les fraudes électorales commencent dans la pensée des acteurs en compétition et elles se manifestent dans l’organisation du processus électoral et se matérialise par la victoire proclamée du fraudeur.

Un parti politique qui veut gagner une élection par la fraude met en marche une stratégie bien réfléchie par des hommes de confiance apparemment neutres, mais en réalité bien déterminés dans ce qu’ils veulent. Leur apparente neutralité permettra de cacher la manœuvre jusqu’au bout. A ce moment, l’adversaire ne pourra plus rien : trop tard aura joué pour le naïf. Un parti qui ne souhaite pas se faire voler lors d’une élection doit trouverformer et motiver des hommes et des femmes et élaborer une contre stratégie pour contrer le fraudeur.

Dans le cadre du cours de la sociologie électorale, nous revisitons régulièrement, à la lumière des pratiques électorales, la volonté de certains acteurs de gagner contre la volonté des électeurs. Nous appelons ce mécanisme mis en œuvre pour changer la volonté des électeurs, la fraude électorale. La fraude électorale désigne toutes les irrégularités qui peuvent se dérouler pendant une élection. La fraude électorale inclue tous les processus ayant pour objet d’influencer le résultat d’une élection. Elle peut se faire à chaque moment du processus électoral :

  • Lors du recensement des électeurs et/ou de la révision de la liste électorale ;
  • Lors de la campagne électoralepar le nettoyage « ethnique » par exemple ;
  • Lors de la confection et de la distribution des listes électoraleset des autres matériels électoraux (carte d’électeurs, encre indélébile, bulletin de vote, procès verbal, liste d’émergement, etc.) ;
  • Lors de l’organisation des bureaux de voteset du scrutin (bourrage des urnes, vote par procuration, etc.) ;
  • Lors du dépouillement, du décompte des voix et de la centralisation (fraude informatique) ;
  • Lors de la publication des résultats.

Mais avant de présenter les techniques de fraudes les plus courantes, qu’il me soit permis de rappeler que la tenue des élections constitue l’événement politique le plus important dans tous les pays à régime politique libéral. Car c’est à ce moment que les électeurs jugent les projets et programmes des prétendants et le bilan des sortants. C’est le moment de l’établissement et/ou le renouvellement du contrat de confiance entre ceux qui dirigent ou qui prétendent diriger et les électeurs.

C’est pourquoi la préparation d’une élection doit se faire avec beaucoup de sérieux et de soin. La négligence doit être évitée et dangereuse, la précipitation. Contrairement à certains hommes politiques français qui disaient, en parlant de la Guinée, qu’« une mauvaise élection est préférable à l’absence d’élection ». Je dis c’est faux. Je dis aussi que c’est faux de penser qu’une élection, même mal faite, est préférable à l’absence d’élections en raison des risques institutionnels que son absence fait courir à un pays.

Une élection doit être faite dans les règles de l’art. Dans le cas contraire, ses effets seront identiques à la désignation du Secrétaire Général de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) en France, c’est-à-dire ridicule et pathétique. Elle peut même être une catastrophe. Les exemples sont innombrables pour que je perde mon temps à les énumérer.

Enfin, la tenue d’une élection n’est pas la démocratie, même si elle est une composante du processus démocratique. Je m’inscris en faux sur la vérité populaire qui consiste à faire croire que l’aide au développement développe un pays ou qu’une élection attire des investisseurs. L’attrait d’un pays pour des investisseurs relève d’autres logiques que sont : la paix, de la stabilité politique, la qualité des infrastructures, des ressources humaines et la vision de ses dirigeants.

LES PRINCIPALES FRAUDES ÉLECTORALES POSSIBLES LORS D’UNE ÉLECTION

1/ La mauvaise commission électorale (CENA, CENI, etc.)

La commission électorale (affublée de n’importe quel complément) est sensée être un organisme public doté de la personnalité juridique qui lui donne la tâche de garantir la neutralité et l’impartialité dans l’organisation des élections.

Dans les années 90, à la faveur des conférences nationales qui devaient détruire les partis uniques, les commissions électorales indépendantes ont été présentées comme la panacée pour éviter les fraudes des ministères de l’administration du territoire. Dans ces organes, les « argentiers » de l’aide au développement des pays africains comme l’Union Européenne et les pays qui les composent ont imposé une parité de façade (moitié pour le pouvoir, moitié pour l’opposition et la moitié de cette autre moitié constituée de partisans cachés du pouvoir en place, c’est eux qui prennent la désignation de la « société civile » et de l’administration).

L’instauration de ce type d’organe conflictuel dont les membres sont hautement politisés et inféodés à leurs composantes et entités respectives s’est avérée la nouvelle façon d’organiser la tricherie des élections. L’expérience montre que les membres d’une commission électorale partisane agissent toujours selon la logique de leurs composantes et entités et non selon la logique de leur responsabilité dans la gestion des échéances électorales.

Toutes les mauvaises élections en Afrique ont été favorisées par l’existence d’un organisme électoral partisan, manquant de compétences, d’expertises et d’expériences en matière électorale. Avec une commission électorale aux ordres, c’est l’assurance que les ordres sont exécutés dans la lettre et l’esprit.

Un organisme de gestion des élections partisan et à qui ordre est donné de frauder des élections commence toujours par chercher un opérateur de recensement et/ou de révision à la solde. C’est cet opérateur qui devient le bras armé de la fraude tout au long du processus. Cet opérateur déploiera des militants transformés en opérateur de saisie lors du recensement et/ou de la révision. C’est à eux qu’il sera donné des instructions pour mettre en œuvre le recensement et/ou la révision partisane sur le terrain.

C’est cet opérateur, recruté par l’organe partisan, qui mettra dans le « ventre » de son site central les électeurs fictifs, qui éditera les listes électorales et celles d’émargements tronquées, qui imprimera des cartes d’électeurs en quantité insuffisante pour certaines catégories d’électeurs et pour les électeurs fictifs. C’est cet organisme qui refusera de distribuer, à temps, les cartes d’électeurs dans certaines zones réputées favorables à certains candidats. C’est enfin, cet organisme qui configurera les ordinateurs pour assurer la fraude électronique.

Un organisme électoral partisan et aux ordres fera semblant de se tromper au moment de l’approvisionnement de certains bureaux de vote du matériel électoral (les cartes d’électeurs, les urnes, les bulletins de vote, les photos des candidats, etc.). Il fera aussi semblant de se tromper en y envoyant dans certains bureaux de vote des listes électorales qui appartiennent à d’autres bureaux de vote. En l’absence de ces listes électorales, les citoyens qui viendront voter signeront sur une liste dite additive avec le risque de l’élimination de leur bureau de vote lors des arbitrages du contentieux électoral.

Ces commissions électorales s’avèrent, à quelques exceptions près, des commissions auxquelles « on impose de fausses données pour légitimer de faux résultats ». Staline (le bolchévique) disait : « Ce qui compte ce n’est pas le vote, c’est comment on compte les votes ». Des dirigeants africains ont fait échos à cette philosophie en passant par tous les moyens pour contrôler l’organe électoral pour éviter de se soumettre à la sanction populaire. C’est le cas d’Oumar BONGO ONDIMBA qui disait : « Comment peut-on organiser des élections, y participer et les perdre en Afrique ? ». Dans tous les cas, il apparaît très clairement que le contrôle de l’organe de gestion des élections est un raccourci qui évite de présenter un projet et/ou un bilan aux électeurs.

2/ Le recensement et/ou la révision électorale partisane

L’enrôlement du corps électoral constitue une étape importante dans la crédibilité des opérations électorales. Les électeurs sont ceux qui sont inscrits sur la liste électorale. Les partisans, les sympathisants et les militants ne deviennent des électeurs que s’ils sont enrôlés pendant le recensement ou la révision. S’il y a dans cette liste électorale des électeurs « fictifs », ceux exclusivement d’un fief électoral ou que certains sont rayés ou déplacés de leur zone de résidence, il devient possible de frauder surtout si la totalisation est informatisée.

Pour s’assurer de fausser les résultats d’une élection, ceux qui veulent frauder et qui contrôlent l’organisation en charge des élections déploient moins de matériels de recensement et/ou révision dans les zones considérées comme des fiefs favorables aux adversaires.

Elle peut aussi y dépêcher dans ces régions du matériel saboté ou donner des instructions aux opérateurs de recensement et/ou de révision pour faire traîner les opérations soit en diminuant le nombre de personnes enrôlées par jour soit en réduisant le nombre de jours de travail soit toute autre stratégie de réduction des inscriptions sur le fichier électoral.

Il est aussi possible, dans les zones favorables ou considérées comme telles, de demander aux agents recenseurs d’enrôler des personnes n’ayant pas l’âge légal, de créer des doublons (une même personne est enrôlée plusieurs fois) ou d’introduire des électeurs fictifs dont le vote sera rendu automatique par la fraude électronique (nous y reviendrons).

Pour réduire les chances de certains adversaires, cet organisme peut fixer un timing du processus électoral qui défavorise certains électeurs soit par la fixation de délais courts ou de distances grandes lors de l’inscription et/ou de la révision sur les listes électorales et le jour du vote.

Dans certaines zones du pays, les inscriptions sont volontaristes, des mineurs et même des étrangers sont inscrits, les morts, les émigrés ne sont pas radiés, bref les inscriptions sont massives et sont sans commune mesure avec la réalité de la population en âge de voter.

Enfin, pour obtenir l’échec aux élections d’un adversaire redoutable, on peut organiser le déplacement de ses électeurs par une opération d’épuration ethnique. Celle-ci se fait soit avant le recensement soir après celui-ci. L’objectif étant de réduire le poids électoral d’une zone qui pèse dans le processus électoral. L’histoire électorale de plusieurs pays africains l’atteste.

Quelque soit l’opérateur choisi, la fraude orchestrée par l’organe de gestion des élections fonctionne le mieux autour de deux paramètres :

  • Lors de la confection (recensement et/ou révision) de la liste électorale ;
  • Lors du décompte des voix par l’ordinateur.

Pour éviter qu’un organe partisan de gestion des élections ne fraude avec un opérateur technique du recensement et/ou de la révision, il est essentiel de s’assurer que :

  • La liste électorale, avant la révision, est propre, c’est-à-dire identique à la précédente élection. Il faut donc auditer le fichier électoralpar des experts indépendants, de préférence ceux des Nations-Unies, avant le début de la révision. La liste électorale avant la révision doit devenir disponible auprès des différents acteurs en compétition.
  • Lors de la révision des listes électorales, les différents partis politiques en compétition doivent encadrer les opérateurs de saisiepour s’assurer que la révision ne prend en charge que ceux qui sont en âge de voter, qu’aucune personne n’est enrôlée plus d’une fois avec de simple variations dans les noms et les prénoms. Chaque délégué des partis en compétition doit tenir une comptabilité journalière des personnes enrôlées et leur répartition par sexe. De même, il devra posséder les données statistiques sur les radiations et les déplacements.
  • Il faut refuser le transfert automatique et via satellite des données de la révision. A la fin de la révision au niveau de chaque circonscription électorale, chaque parti devrait disposer d’une copie CD et clé USB de la liste de révision. La liste finale de l’organe de gestion des élections doit être, avant validation, soumise à la comparaison avec celles des partis en compétition.

3/ La répartition des bureaux de vote sur le territoire électoral

Dans les lois électorales, il existe toujours des dispositions pour calculer le nombre d’électeurs par bureau de vote et la distance moyenne entre chaque bureau de vote et les électeurs inscrits.

Un parti qui obtient une augmentation du nombre de bureaux de vote dans une zone favorable à lui maximise ses chances d’avoir un peu plus de votants par dérogationpar procuration et surtout une possibilité de bourrer des urnes en plus grand nombre.

4/ Le système de bureau de votes fictifs et/ou parallèles

Dans l’organisation des élections, les bureaux de vote sont numérotés et chaque groupe d’électeurs (liste électorale) correspond à un bureau de vote en particulier.

Pour frauder, un parti peut créer des bureaux de vote fictifs et/ou parallèles portant les mêmes numéros que les bureaux officiels. On laisse les électeurs votés dans leur bureau de vote « officiel », mais parallèlement on procède au remplissage d’autres procès verbaux ayant les mêmes numéros que le bureau de vote que l’on veut substituer.

Lors de la centralisation, les procès verbaux des bureaux fictifs et/ou parallèles sont utilisés en lieu et place des bureaux de vote légaux. Mais pour que cette tricherie fonctionne, il faut réunir deux conditions :

  • Il faut avoir des procès verbaux identiques à ceux utilisés par l’organisme qui gère les élections ;
  • Il faut arriver à faire accepter ces procès verbaux par la commission en charge de la totalisation.

Pour éviter une telle fraude, car personne ne peut garantir que l’organe de gestion des élections ne va pas permettre de produire des duplicatas des procès verbaux de certains bureaux de vote, Il faut réfléchir à la possibilité de rendre effectif l’introduction et l’utilisation de code barre pour identifier les documents électoraux (bulletins de vote, procès verbaux, etc.). Cependant, l’arme fatale pour contrer une telle fraude reste le déploiement d’assesseurs instruitscourageux et motivés et en nombre suffisant lors de la totalisation. Car, même si les fraudeurs ont des duplicatas remplis, ils ne peuvent servir que s’ils sont utilisés au moment de la totalisation. Des délégués de qualité ne permettront pas une telle fraude.

5/ Des procédures de vote préparant la fraude

Dans certains bureaux de vote, les présidents font semblant de vouloir faire voter le plus grand nombre de personnes possibles en obtenant des autres assesseurs de ne pas faire signer ni apposer l’empreinte digitale des électeurs.

Dans ce cas, c’est le président du bureau qui se contente de cocher dans la marge de la liste électorale une croix, devant le nom des inscrits ayant votés. Dans ces conditions, le président sait le nombre de personnes n’ayant pas voté à la fin de la journée. Après, il devient facile de faire du bourrage, c’est-à-dire mettre dans l’urne autant de bulletins que d’inscrits sur la liste électorale en cochant devant les électeurs absents.

6/ Fraude via les procurations

Une autre méthode consiste à connaître des électeurs qui seront absents le jour de l’élection et qui n’ont pas fait de procuration pour voter. Il suffit alors de faire de fausses procurations pour ces gens là et trouver des électeurs pour déposer l’enveloppe dans l’urne.

Cette technique est possible si le parti politique a de la mémoire (des archives) qui permettent de dire à peu près les absentions lors du vote précédent. Pour ces électeurs, le parti prépare des procurations qui n’ont aucune raison d’être contestées car l’adversaire voit la concordance entre la procuration et le nom des électeurs.

La seconde condition pour une telle opération dépend de la production de cartes d’électeurs fictifs ou d’utiliser des cartes d’électeurs non distribuées à des électeurs réels, absents ou à qui on a refusé la délivrance des cartes d’électeurs.

7/ Le Procès verbal avec un nombre de dérogations excédant la norme fixée à 10

On peut aussi frauder en utilisant et en abusant du vote par dérogation. Lorsque dans son fief on possède énormément de bureaux de vote et très peu de votants, on fait voter le plein (on bourre les urnes) et on ajoute des dérogations supérieures à 10. Lorsqu’on réussit à avoir plus de 20 000 voix par dérogation, on augmente considérablement le nombre de députés sur la liste nationale pour son parti.

8/ La manipulation des bulletins de vote

L’idée dans la manipulation des bulletins de vote est toute simple : il y a dans chaque élection des indécis, des déçus, des nécessiteux. Au lieu de dépenser des milliards en spot radio, TV, en panneau publicitaire et gadgets de toutes sortes, on « achète » des votes. Pour l’essentiel, un électeur pauvre, au sens propre et figuré du terme, coûte environ 50 000 GNF, soit le coût d’un t-shirt de bonne qualité.

Pour appliquer cette fraude, les partis politiques intéressés préparent des bulletins de vote identiques à ceux utilisés lors de l’élection en cochant à la bonne case à la place de l’électeur. Ces bulletins préparés sont distribués à des électeurs ciblés en fonction d’un certain nombre de paramètres « socioéconomiques » moyennant un paiement et parfois des promesses supplémentaires de paiements au retour de l’élection.

Le corrupteur n’ayant pas toujours confiance au corrompu, on demande à l’électeur « acheté » de ramener son enveloppe « original » non utilisée lors du vote. La présentation de cette dernière est aussi « primée » contre un montant d’argent ou des denrées alimentaires.

Pour mettre une telle fraude, il faut disposer de la liste électorale, avoir des démarcheurs et des moyens financiers.

Pour gêner la fraude, il faut demander et obtenir que tout bulletin non original soit éliminé au moment du décompte des voix. Pour s’assurer du caractère original des bulletins de vote, il faudrait imposer des bulletins de vote avec au verso des signes qui ne peuvent être reproduites par une photocopieuse ordinaire. Pour cela, il faut exiger de l’organisme qui gère les élections que les bulletins de vote soient en couleur avec des codes barres.

Enfin, il faut chercher aussi à obtenir que les bulletins de vote soient imprimés par un pays partenaires qui n’a pas d’intérêts stratégiques, économiques et/ou des liens de copinage avec la classe politique des pays africains, surtout des anciennes colonies françaises.

9/ L’exploitation de l’ignorance des électeurs

La grande majorité des populations dans le tiers monde ne sait ni lire ni écrire. Au lieu d’aider les électeurs à bien voter, certains agents électoraux exploitent celle-ci pour favoriser un parti corrupteur. Ainsi par exemple, un électeur analphabète ne pourra pas remplir le bulletin de vote correctement. Si les membres des bureaux de vote sont corrompus, ils peuvent profiter de la faiblesse de ces électeurs analphabètes pour le faire voter en faveur de leur candidat.

C’est une tricherie qu’il faut combattre par l’organisation du parti. Il faut mettre à la disposition des électeurs analphabètes des aides. Enfin, les structures des différents partis doivent, bien avant le jour du vote, assurer la sensibilisation, l’information et la formation de leurs militants et sympathisants sur les mécanismes de vote.

10/ L’encre indélébile visible

Pour éviter le vote double et même multiple, les organisateurs des élections appliquent parfois sur le pouce de l’électeur ayant déjà voté une encre indélébile visible, dont les traces ne s’effacent pas pendant 48 heures. Mais pour tricher aux élections, certains partis politiques utilisent des chimistes et ceux-ci manipulent la fabrication de l’encre et diminuent sa teneur d’insensibilité de sorte que quelques minutes après le vote, les électeurs impliqués dans le schéma de la tricherie peuvent se laver les traces de l’encre et se présenter dans un autre bureau de vote pour une deuxième et une troisième fois.

Cependant, la réduction de la qualité de l’encre indélébile ne sert que dans une stratégie globale de fraude avec des listes d’émergements inexistantes ou non utilisées par les électeurs et des cartes d’électeurs non retirés ou encore par des électeurs fictifs.

Pour parer à cette tricherie, il nous semble utile de recommander la mise en place de plusieurs dispositifs. Le premier serait de n’autoriser l’arrivée de certains matériels électoraux, comme l’encre et les bulletins de vote que dans les derniers jours qui précèdent une élection. Il faut demander et obtenir du fabricant de livrer des flacons d’encre scellés.

Enfin, il faut exiger, en plus de la signature par l’électeur sur la fiche d’émergement, l’apposition du cachet du bureau de vote sur la carte de chaque électeur après le vote. Pour multiplier les filets de sécurité, nous suggérons l’obligation d’un cachet spécifique pour chaque bureau de vote.

11/ Le Bourrage d’urnes

Le bourrage de l’urne est la fraude la plus courante et la plus simple. Le bourrage de l’urne consiste à introduire des bulletins de vote supplémentaire dans l’urne avant le décompte. Ces bulletins de vote supplémentaires sont favorables à une liste ou à une candidature.

Pour pratiquer le bourrage des urnes, il faut nécessairement que l’un des candidats ait fabriqué des bulletins de vote bien avant le vote ou qu’il ait à sa disposition des bulletins de vote vierge à utiliser. Certains de ces bulletins sont ceux qui sont envoyés au niveau de chaque bureau de vote de façon légale (10% de ceux de chaque bureau de vote) et des excédents que l’organisme qui gère envoie vers certains bureaux de vote pour favoriser le bourrage des urnes. Pour utiliser ces bulletins de vote, plusieurs techniques sont possibles :

  • Première méthode :Un membre fraudeur du bureau de vote profite de l’absence des autres assesseurs pour glisser plusieurs bulletins de vote supplémentaires dans l’urne. Cette opération se fait généralement quelques heures avant la fin du scrutin. En effet, la dernière heure avant la fermeture des bureaux de vote, il n’y a pas souvent pas d’affluence des électeurs. C’est à ce moment que le grand bourrage se fait. Le fait d’effectuer cette opération vers la fin du scrutin permet de déterminer le nombre d’abstentionnistes pour faire correspondance le nombre de bulletin du bourrage avec les signatures ;
  • Seconde méthode :Plusieurs électeurs au moment du vote prennent plus d’un bulletin et d’une enveloppe pour les glisser dans l’urne au moment de leur propre vote ;
  • Troisième méthode :Lors de l’ouverture de l’urne après la clôture du scrutin, les membres du bureau de vote regroupent les bulletins de vote par centaines. Chacun étant soucieux de son comptage, personne ne fait attention à ce qui se passe autour. Un membre fraudeur glisse ajoute en toute discrétion plusieurs bulletins de vote préparés à l’avance. Pour régulariser sa fraude en faisant correspondre le nombre d’émargements des électeurs et celui des bulletins, il lui faut augmenter le nombre de signatures dans le cahier d’émergement.

Pour s’opposer à ce type de fraude, il faut mettre en place une série de mesures :

  • Il est toujours préférable d’avoir des urnes transparentes avec compteur. Les membres du bureau de vote doivent s’assurer, à l’ouverture du scrutin, que ce compteur affiche le nombre 0000. Si l’un des membres doit s’absenter, il fait enregistrer mentalement, noter et annoncer publiquement le numéro du compteur de l’urne. Les spécialistes suggèrent de considérer qu’il faut à peu près entre 30 secondes et 1 minute 30 à un électeur pour voter. Soit en moyenne 1 minute. Si un assesseur doit s’absenter 5 minutes, les spécialistes estiment qu’il ne peut y avoir plus de 5 votes en votre absence. Il est suggérer aux fumeurs de cigarettes de faire la pause tabac devant l’entrée du bureau de vote pour pouvoir compter mentalement le nombre de votants qui entrent dans le bureau de vote. Le nombre de bulletins dans l’urne devait correspondre au nombre d’électeurs que vous avez vu passer.
  • Dans le bureau de vote, tous les assesseurs devraient s’assurer que le cahier d’émargement ne doit être ouvert par l’assesseur chargé de faire signer les électeurs qu’au moment ou l’électeur se présente à la table de vote et que son nom est énoncé pour vérification ;
  • Les membres du bureau de vote doivent s’assurer que ne figurent sur la table de l’assesseur qui fait signer le cahier d’émargement qu’un stylo qui correspond à la couleur choisie pour faire signer les électeurs ;
  • À la clôture du scrutin, l’ouverture de l’urne ne doit se faire qu’après que les membres du bureau de vote aient procédés collectivement au comptage des émargements(personnes ayant votées) ;
  • Les membres du bureau de vote doivent s’assurer que le cahier d’émargements est effectivement signé par les électeurs. Ensuite seulement, les délégués accepteront l’ouverture de l’urne pour le comptage des bulletins de vote. Lorsque les émargements sont comptés et l’urne vidée, le cahier d’émargements ainsi que les enveloppes restantes doivent être placés dans l’urne qui doit être verrouillée. Cette opération exige que les urnes soient munies de clefs (quatre clefs par urne). Les urnes ne devraient pouvoir s’ouvrir qu’avec l’utilisation des quatre clefs ;
  • Chaque bureau de vote doit être constitué d’assesseurs de plusieurs camps politiques, de délégués de candidats ou de liste. La présence de nombreuses personnes d’horizons variés est le gage d’un scrutin surveillé et contrôlé qui respecte le choix des électeurs.

Dans tous les cas, toutes les études sur le vote concluent que dans une élection, même avec des enjeux importants comme la présidentielle, le nombre de votants dépassent très rarement les 70% d’inscrits. Lorsque dans une circonscription ou plusieurs circonscription, le nombre d’électeurs est égale ou supérieur à 80% et en faveur du même candidat, on doit présumer un système de bourrage d’urnes.

12/ La manipulation pendant le dépouillement

Lors du vote, il faut éclairer suffisamment le lieu de dépouillement des bulletins. Les moyens d’éclairage (groupe électrogène, lampe à pétrole, lampe à pile, etc.) doivent provenir de plusieurs sources pour éviter la défaillance d’une unique source et appartenir à plusieurs assesseurs. Chaque assesseur devrait avoir son propre moyen d’éclairage, ses assistants (à côté du lieu de vote) et sa nourriture.

S’il n’y a pas de surveillance sérieuse, certains présidents de bureau de vote peuvent réaliser un mauvais dépouillement. Ils peuvent par exemple compter une voix pour le candidat A alors que le bulletin de vote signale que cette voix revient au candidat B.

La règle veut que le nombre de bulletins trouvés dans l’urne soit égal à la somme des votants sur la liste d’émargement et ceux de la dérogation. Également, le nombre de bulletins trouvés dans l’urne doit être égal à la somme des suffrages valablement exprimés et des bulletins nuls. Malheureusement, cela ne s’est pas vérifié partout lors des précédentes élections dans plusieurs pays en Afrique.

13/ La manipulation des urnes pendant leur déplacement

La loi guinéenne stipule que le dépouillement se fait sur place dès après la clôture du vote et les résultats sont publiés sur le champ par voie d’affichage en Guinée aussi. Cette publication devrait, comme au Sénégal, se faire par l’affichage devant le bureau de vote et la publication dans les médias en direct et de façon continue. Il est impératif de faire respecter cette disposition et de s’assurer que chaque assesseur de chaque parti revienne à Conakry avec le procès verbal signé.

L’affichage systématique du procès verbal des résultats devant chaque bureau de vote, la remise d’une copie certifiée aux assesseurs représentant les différents candidats et l’accès permanent de leurs délégués à toutes les étapes de la centralisation, y compris au site central de Conakry sont des préalables à la transparence électorale.

Il faut aussi s’assurer qu’après la totalisation au niveau de la Commission de cette procédure que les délégués reviennent à Conakry avec les procès verbaux de centralisation de toute la circonscription électoraleLa presse devrait pouvoir publier les résultats, en temps réel comme au Sénégal, dès la fin de la totalisation des votes au niveau de chaque circonscription électorale.

Tout le monde devrait se souvenir que le transport des urnes avant le dépouillement permet le bourrage des urnes et/ou la substitution des urnes qui ont servi au vote par d’autres. Si cette opération devrait avoir lieu, il est de l’intérêt pour chaque candidat, même en cas d’assurance sur la fiabilité des scellés des urnes, de mettre sur place un mécanisme d’accompagnement des urnes par des hommes fidèles, motivés et dotés de plusieurs moyens de transport.

Car, le transport des urnes avant le décompte des voix est une source potentielle de fraude électorale. Lors du transport, les urnes peuvent être soit changées, soit détournées, soit détruites par des hommes engagés à le faire pendant le déplacement. Parfois on annule certains bulletins (notamment dans les régions a priori défavorables), parce qu’ils sont maculés.

14/ La falsification du nombre de voix dans les procès verbaux des bureaux de vote et/ou des procès verbaux de centralisation

Lors d’une élection, il est toujours prévu au niveau de chaque bureau de vote la production et la répartition de plusieurs procès verbaux auto-carbonés. Certains de ces procès verbaux, parfois trois, sont mis dans des enveloppes sécurisées pour trois structures : l’organe de gestion des électionsle ministère en charge de l’administration du territoire et le juge électoral.

Dans le bureau de vote, les assesseurs ont un rôle essentiel, car après le décompte des voix c’est eux qui doivent signer les différents procès verbaux. Il revient à chaque assesseur de s’assurer de la sincérité de tous les procès verbaux avant de signer.

Il est aussi prévu que le procès verbal du bureau de vote destiné à la CACV, mis dans une enveloppe sécurisée, ne sera lu qu’en séance plénière de la CACV. Ses résultats sont transmis à l’opérateur de saisie qui imprime une copie pour chaque assesseur représentant les partis candidats pour validation. Sur cette base les assesseurs valident le procès verbal. Les résultats validés sont transmis au serveur local pour être centralisés et envoyés par SMS à l’organe de gestion des élections.

On aura donc compris que les procès verbaux sont le document qui récapitule la répartition des bulletins de vote entre les différents candidats. Normalement, ils sont remplis au terme du dépouillement, signés pas les assesseurs et le président du bureau de vote.

Dans les conditions normales, le procès verbal reflète donc la réalité du vote, sauf dans les cas ou un assesseur laisse aux autres membres du bureau de vote le soin d’y marquer des chiffres différents de la réalité de l’urne. Cette situation peut provenir de l’absence définitive et/ou temporaire de l’assesseur d’un candidat ou son incapacité à lire des chiffres par analphabétisme ou des problèmes de vues (âge ou maladie).

Pourtant, les procès verbaux des bureaux de vote peuvent différer de ceux de la centralisation. Si tel est le cas, il n’y a que deux possibilités :

  1. Au moment de la centralisation, un assesseur d’un des candidats est absent, ce qui laisse le loisir aux autres de dicter à l’ordinateur des chiffres différents de ceux des procès verbaux des bureaux de vote :
  2. Il peut s’agir d’une fraude informatique dans laquelle l’ordinateur est programmé pour sortir des résultats de totalisation indépendamment de ceux saisis. Sur cette fraude, nous y reviendrons dans la fraude informatique.

Dans les deux cas, la défaillance des délégués du candidat est en cause. Les candidats ne devraient jamais accepter, surtout s’il y a des doutes sur la liste électorale, une centralisation informatique sans une centralisation manuelle. Et s’il y a des contradictions entre les deux, celles manuelles devraient primées sur celles informatiques.

15/ Les Numéros des bureaux de vote des procès verbaux différents des codes bulles

Une des mesures de sécurité courante pour sécuriser le vote est de doter tous les bureaux de vote des procès verbaux avec des codes à bulles pour certifier le lien entre chaque bureau de vote et leurs procès verbaux. Cette mesure permet, si elle est respectée, de s’assurer qu’aucun procès verbal ne soit utilisé en dehors du bureau de vote pour lequel il a été émis.

En effet, lorsqu’on souhaite frauder, on se dote de procès verbaux vierges que l’on utilisera pour les bureaux de vote fictifs, parallèles ou tout simplement pour substituer des procès verbaux défavorables par d’autres plus favorables.

Cette mesure de certification par le code bulle n’est pertinente que si les différents candidats ont des chiffres différents pour le même bureau de vote. Dans le cas contraire, cette mesure allonge inutilement le processus de centralisation.

16/ La tricherie par ordinateur

La fraude la plus actuelle et la moins décelable est la fraude informatique. Pour parvenir à une fraude informatique, il faut un programme intégré dans le dispositif des ordinateurs de centralisation et du site central de totalisation finale des votes. Un programme informatique est un ensemble d’instruction que l’ordinateur en tant qu’automate exécute à la lettre. De ce fait, le programmeur et/ou le concepteur (l’auteur ou créateur) d’un programme informatique fait exécuter par l’ordinateur sa volonté.

Dans le cadre de la gestion des élections, il y a deux aspects fondamentaux qu’il faut toujours regarder de près : Le fichier électoral et la gestion des résultats (procès verbaux issus des centres de votes).

Concernant le fichier électoral, Il est tout à fait possible au programmeur et/ou concepteur d’un programme informatique de frauder sans que l’utilisateur final du programme (par exemple la CENI) s’en aperçoive. Donnons quelques exemples classiques qui ont fait recette dans certains pays Africains :

  • Inscription d’électeurs fictifs qui voteront sans exister ni aller aux urnes, car ils ont déjà votés dans le programme de l’ordinateur ;
  • La fixation d’un quota (un nombre de voix que le candidat ne pourra jamais dépasser quelque soient les données entrées) à un ou plusieurs candidats donnés et le report de voix en plus à un autre candidat donné ;
  • Omission programmée des voix d’une région favorable à un candidat donné soit à travers le vote soit en les éliminant de la liste électorale.

Par rapport à la gestion des résultats, on peut en vue de la publication des résultats, donner à l’ordinateur un programme truqué d’avance comme : si le candidat A à une voix, son adversaire concurrent B en obtient automatiquement deux. Ainsi quelques soient les résultats obtenus par chacun des candidats, le candidat B aura toujours le double de voix de A.

On peut aussi programmer les ordinateurs de sorte que quand on tape un chiffre, l’ordinateur en sort un autre chiffre sur le procès verbal de centralisation différent de celui du procès verbal du bureau de vote.

Pour anticiper et endiguer cette source probable de fraude électorale, il importe qu’il y ait une commission technique paritaire des acteurs en compétition au sein de l’organe de gestion des élections, de contrôle et de validation de l’outil informatique devant être utilisé dans le cadre de la gestion de ces élections. Cette commission doit être impliquée de la conception et la réalisation jusqu’à la proclamation des résultats. Cette commission technique aura pour missions, selon les experts qui aident même à frauder :

  1. Le contrôle et la validation du modèle conceptuel et du code source du programme ;
  2. De préparer les jeux de test et de valider le programme ;
  3. De veiller à la compilation, et à la production de l’exécutable ;
  4. De mettre en place deux bureaux distincts de saisiedes résultats pour la nécessité de comparaison des chiffres ;
  5. De contrôler la saisie et de veiller au bon fonctionnement quotidien de l’outil ;
  6. De veiller à l’administration de la base de données et plus particulièrement la sauvegarde ;
  7. De définir le mécanisme de sécurité de l’application, etc. :
  8. Enfin, le conseil majeur est d’avoir deux opérations parallèles : le comptage informatique et celui manuel, car après tout dans une élection il n’y a pas que des opérations de calcul élémentaire : addition, division (pourcentages).

Tous les spécialistes de la fraude électorale sont unanimes que celle informatique est une méthode propre, sans possibilité de contestation : « Tout le monde n’y voit que du feu. Après les résultats du scrutin, l’opposition à beau crié à la fraude, elle a de la peine à le prouver ».

17/ La publication des résultats différents de ceux du vote

Un vote est très souvent réalisé dans de nombreux endroits. Il suffit donc, pourvu que l’information circule mal, de se « tromper » volontairement sur les totaux sans toucher aux résultats intermédiaires pour obtenir des améliorations éventuellement suffisantes.

Lors de la publication des résultats des élections, un président de l’organe de gestion des élections peut publier des résultats différents de ceux issus des urnes. Si le candidat A obtient 51% et le candidat B 49%, le responsable chargé de publier les résultats peut inverser les résultats délibérément et en toute connaissance de cause. Il s’agit de mettre les candidats devant un fait accompli en partant de l’hypothèse qu’il sera difficile de revenir en arrière surtout si ceux qui sont déclarés vainqueurs ont des moyens de coercition pour faire appliquer leur forfaiture.

L’un des indicateurs de fraude de la part d’un organe de gestion des élections apparaît lors de la publication des résultats. Pour masquer la fraude, on publie des totaux et non pas bureau de vote, car c’est dans « le détail que se trouve le diable ».

18/ La complicité de la justice électorale lors des contentieux

Un parti ou un candidat estimant que les résultats obtenus par lui aux élections ont été modifiés peut faire recours auprès de la justice électorale. La justice électorale utilise les procès verbaux qui lui sont destinés pour statuer. Lorsqu’on vit dans un pays ou la justice est sous ordre, il est préférable d’éviter, autant que possible, d’avoir recours à la justice électorale.

S’il faut aller devant le tribunal, il est préférable de déployer des avocats dans chaque circonscription électorale et surtout de s’assurer de la qualité des délégués, des superviseurs pour éviter de se faire marcher sur les pieds et de collecter les procès verbaux de façon systématique et exhaustive.

CONCLUSION

Il existe d’autres techniques de fraudes n’ont exposées dans le présent texte, c’est par exemple le cas des rabatteurs placés au coin des différents carrefours d’un bureau de vote pour désigner aux électeurs pour qui il faut voter. C’est aussi le fait de laisser des populations, qui croient à la primauté de la religion, organiser le vote au sein d’un lieu de culte, etc.

Néanmoins, il est important de dire que dans une élection, le fichier électoral est l’élément majeur de la fraude. Si le fichier est biaisé, c’est-à-dire que certains électeurs qui devraient y être ne s’y trouvent pas ou que des non électeurs (pas en âge de voter, morts, absents, électeurs fictifs ou virtuels, doublons et même plusieurs fois, etc.) s’y trouvent ou que des électeurs soient envoyés loin de leur bureau de vote, il sera impossible d’arrêter la fraude.

Si le contenu du fichier électoral (nombre d’inscrits, répartition des électeurs par circonscription électorale et par bureau de vote, effectivité des personnes inscrites sur la liste électorale, etc.) est inconnu de tous les partis en compétition, le risque de fraude est grand. C’est pour cette raison que la certification du fichier électoral avant une élection est toujours indispensable.

L’informatisation des résultats dans une élection est le second élément majeur de la fraude. Dans ce cas, la fraude peut commencer depuis la saisie des procès verbaux des bureaux de vote jusqu’à l’envoi pas SMS ou tout autre moyen électronique de transmission des résultats de la base (commissions de centralisation) vers le site central. Une élection est totalement et définitivement fraudée lorsqu’un fichier électoral biaisé est couplé avec un système de centralisation informatisée des résultats.

Enfin, on se souviendra qu’on peut avoir des électeurs et perdre des élections et inversement ne pas avoir d’électeurs et gagner grâce à la fraude. Pour se prémunir contre les fraudes exposées dans cet article, une seule et grande recette : avoir des ressources humaines de qualité (jeunesse, instruction, courageux et motivation idéologique et matérielle) tout au long du processus électoral. C’est-à-dire avoir du personnel impliqué de la confection de la liste électorale, de sa révision, de son affichage, du vote jusqu’à la proclamation des résultats. Cette sélection et cette formation des agents électoraux devraient se faire sous la supervision directe du candidat. Chaque parti devrait utiliser, comme indicateur de la performance des responsables du parti, le nombre de voix obtenus sur la liste nationale par le parti dans la circonscription électorale de chaque candidat.

Alpha Amadou Bano BARRY  Ph.D Sociologie

Maître de Conférences

Consultant en Fraudes Électorales




Un colonel de l’armée guinéenne inculpé pour “coups et blessures, vols, pillages et incendies”

Ex-membre de la junte militaire au pouvoir en 2009, Colonel Issa Camara vient d’être inculpé le mercredi 16 novembre 2016 par la justice militaire pour ”coups et blessures, vols, pillages et incendies” dans la ville de Mali Yimbering (Moyenne Guinée) au mois de juin 2016.

Une altercation entre ce colonel et un chauffeur de camion avait conduit à un soulèvement populaire. S’en est suivi la répression des militaires qui a causé des destructions de biens, des blessés graves (y compris par balle) et des pillages.

Cinq mois après les faits, les organisations de défense des droits de l’homme n’ont cessé de dénoncer la lenteur de l’appareil judiciaire militaire. Inculpés et désarmés, Colonel Issa Camara et son groupe sont interdits de quitter la capitale.

Soulagées mais sceptiques, les victimes espèrent que la justice ira jusqu’au bout de la procédure.

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