Mouctar Diallo et Aboubacar Sylla, la lourde croix de l’allégeance


TOP/FLOP politique


1 Mouctar Diallo et Aboubacar Sylla, la lourde croix de l’allégeance

Le premier est président du NFD (ex parti d’opposition), le second est président de l’UFC (ex parti d’opposition), tous ministres. Les deux ont cette particularité connue de tous les guinéens : dans un passé récent, ils qualifiaient le même Alpha Condé de dictateurs, responsables de toutes les tueries lors des manifestations de l’opposition. Aujourd’hui, les deux ne cessent de prouver à leur nouveau maître leur loyauté opportuniste. Pour cela, ils n’hésitent pas à brandir des pancartes, jouer au porte-parole, lire des discours pour la circonstance, vilipender leurs anciens collaborateurs de l’opposition. Ils sont prêts à toutes les formes de bassesse pour réussir leur adoption au sein de la mouvance présidentielle. Aujourd’hui, ils symbolisent le politiquement détestable pour des millions de guinéens.

2 Alpha Condé, la malheureuse carrière d’autocrate à 82 ans

Désigné candidat du RPG pour un troisième mandat présidentiel lors du congrès du parti tenu à Conakry ce jeudi 6 octobre 2020, Alpha Condé hésite à faire le saut dans l’inconnu. À 82 ans, l’ex prisonnier politique compte entamer une carrière d’autocrate. Quelle triste trajectoire d’un homme politique africain qui a été longtemps perçu comme une alternative crédible pour l’instauration de la démocratie en Guinée. À 82 ans, il n’aura ni le temps ni les moyens ni la légitimité pour diriger un pays qu’il a contribué à affaiblir sur tous les plans.

1 Bah Oury, après la parenthèse « incompréhensible », le retour du combattant

Le comeback réussi de l’opposant Bah Oury. Les guinéens reconnaissent l’homme de tous les combats. Après la courte période d’égarement conjoncturel lié à un contexte difficile d’exil et de retour négocié, le leader du nouveau parti UDRG redevient aux yeux de certains comme une valeur sûre de l’opposition politique en Guinée. Il est sur tous les fronts pour dénoncer le projet de 3ème mandat pour Alpha Condé.

2 Les manifestants de Kankan, le réveil des hypnotisés

Les manifestations de ces derniers temps pour réclamer l’électrification de Kankan et la réaction de panique des autorités nationales témoignent l’importance d’opérer une mutation intelligente des revendications pour une mobilisation générale des populations guinéennes. Les jeunes de Kankan ont donné le signal. Les mensonges, les manipulations, les fausses promesses doivent être dénoncés.





Alpha Condé, «Après moi le déluge»


Désigné candidat du RPG pour un troisième mandat présidentiel lors du congrès du parti tenu à Conakry ce jeudi 6 octobre 2020, Alpha Condé hésite à faire le saut dans l’inconnu.

À 82 ans, l’ex prisonnier politique compte entamer une carrière d’autocrate. Quelle triste trajectoire d’un homme politique africain qui a été longtemps perçu comme une alternative crédible pour l’instauration de la démocratie en Guinée. À 82 ans, il n’aura ni le temps ni les moyens ni la légitimité pour diriger un pays qu’il a contribué à affaiblir sur tous les plans.

Lansana Conté faisait cet effort de se conformer au jeu démocratique en préservant les bases de la légalité institutionnelle. Avec Alpha Condé, l’homme de droit, c’est l’hécatombe institutionnelle avec une flagrance jamais égalée dans la violation des lois de la république et un archaïsme jamais atteint dans les pratiques de gouvernance.

L’ancien opposant historique a réussi la reconversion la plus triste pour un homme politique. L’homme a tout perdu. En plus d’endosser la responsabilité des centaines de morts, tués pour la plupart dans des manifestations politiques, il a perdu la sympathie de tous ces africains qui se sont levés, ont manifesté, ont écrit, ont chanté pour dénoncer son arrestation et son emprisonnement en 1998 par le régime de Lansana Conté. Aujourd’hui, le régime de Alpha Condé détient le record d’arrestations extrajudiciaires, de kidnapping, de violences policières et d’exactions de la force publique sous toutes ses formes. En quelque sorte, il s’est vengé. Se venger de ses ex-geôliers ? Non ! Ils sont nombreux à travailler avec lui aujourd’hui. Alors pourquoi un tel acharnement contre ses opposants ?

Sur internet, il a réussi à faire disparaître des recherches « l’opposant historique » « le prisonnier politique victime d’injustice » et il est aujourd’hui plus facile de trouver dans les résultats de recherches « Alpha Condé veut un 3ème mandat » « manifestants contre Alpha Condé tués ».

Ce type est malheureux mais avec un égo démesuré qui lui joue des tours, il sombre lentement dans l’irrationnel. Sa mauvaise gestion de l’adversité en politique impacte son jugement au point de réduire tous rapports de forces comme une offense. Il n’hésite pas à utiliser les moyens les plus détestables notamment en surfant sur les sensibilités éthno-régionalistes au risque de fissurer davantage le tissu social. Peu importe la dangerosité de la manœuvre, pour lui, seul le résultat compte.

Ces conseillers sont incapables de lui faire comprendre qu’il est le seul perdant dans son duel avec ses opposants. Ces derniers sont dans leurs rôles et ils n’ont pas de compte à rendre au peuple de Guinée.

Aujourd’hui, le jusqu’au-boutisme du fugitif de Piné est un signe de désespoir, une attitude d’un kamikaze qui se dit « après moi le déluge ». C’est pour cette raison qu’il faut le stopper car il devient dangereux pour la stabilité du pays.

En revanche, pour ses collaborateurs, c’est le « président parfait ». Non pas parce qu’il est bon pour le pays, mais parce qu’il est le président du laxisme, du laisser-aller, du « laisser-voler », de l’impunité, de la corruption et des détournements de deniers publics. Il est « parfait » parce qu’il est incompétent. Il est « parfait » parce qu’il gouverne par tâtonnement. Aujourd’hui, le vieux et malheureux président a peur.

Mais, avec les garanties fragiles des courtisans, le pronostic des marabouts, l’attentisme défavorable de la communauté internationale, les prêches de l’imam de Conakry, les centaines de familles endeuillées qui maudissent chaque jour ce régime, son âge et ses maladies connues et cachées, le vieux sait pertinemment que son projet de 3ème mandat est un saut dans l’inconnu. Wait and see !


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com




D’une impasse politique à une crise sociale, comment construire le pont consensuel?


Chronique


Une marmite bouillante, des ingrédients de toutes saisons (cherté de la vie, corruption, l’éducation des enfants compromise, difficultés pour se soigner, le calvaire des citoyens par manque d’infrastructures routières, l’obscurité qui aurait couté des milliards de francs guinéens) et au milieu des casseroles de la république, un apprenti cuisinier qui joue au Chef. Souffler constamment sur les braises sociales, il en a fait son sport favori. Manipuler le pauvre guinéen pour étouffer toute prise de conscience collective, il n’hésite pas à franchir la ligne rouge. S’il n’est pas stoppé dans sa folie incendiaire, il risque de faire cramer la baraque nationale. Il est le problème, le peuple a la solution.

Erik Neveu dans son ouvrage Sociologie des mouvements sociaux souligne qu’une « action collective suppose un travail sur les représentations », autrement dit une nomination et une problématisation d’une réalité sociale. Selon lui, il faut doter la mobilisation d’un langage en transformant le malaise en injustice, le légitimer au regard d’un système de valeurs et de normes.

La mobilisation autour des problématiques qui font consensus, une option à privilégier. L’opposition politique, pour être plus audible, devrait désexpertiser sa communication autour de son offre politique pour faciliter sa compréhension auprès des populations qui ont du mal à cerner certains enjeux nationaux. Dans une interview, le politologue Philippe Braud soulignait « Quand le suffrage universel est le seul moyen légitime d’accéder au pouvoir, il est impossible de tenir aux électeurs le seul langage d’expert. Celui-ci serait inaudible non seulement à ceux qui ont un faible bagage économique ou culturel, mais aussi à tous les citoyens ». Les questions autour d’une constitution, son importance restent pour une majorité de guinéens, un langage extraterrestre. Il faut privilégier plus de pédagogie, plus de proximité et plus d’appels aux émotions des citoyens. Les profils des électeurs sont difficiles à saisir car l’électeur est aussi un citoyen émotionnel. Philippe Braud a tenté d’expliquer les types de profils qu’on pourrait rencontrer. L’auteur de L’Émotion en politique note que certains électeurs donnent leurs voix à un candidat familier et rassurant même s’il est peu convaincant. D’autres en revanche, préfèrent le vote sanction. Ces derniers « verront dans le geste électoral le moyen de libérer une agressivité nourrie de frustrations accumulées, d’origine sociale, professionnelle ou même privée ».

Casser l’amalgame par l’éducation électorale

Le rapport de force engagé entre les guinéens qui défendent la démocratie et les autres témoigne de la nécessité d’éducation politique de proximité. C’est assez réducteur que la question de la défense de la constitution soit perçue par la majorité comme une compétition politique entre acteurs. D’ailleurs, c’est la perception préférée des promoteurs de cette forfaiture. Dans une telle configuration, certaines questions méritent une attention particulière. Comment faire comprendre à la majorité que ces promoteurs ne représentent pas 1% de la population guinéenne ? Comment lui faire comprendre qu’il n’y aura pas d’électricité parce que tout simplement le financement mobilisé est détourné par ce petit groupe ? Comment expliquer à la majorité qu’il est impossible pour un ministre de faire partie des plus riches du pays car son salaire et autres avantages liés à la fonction sont connus ? Comment faire comprendre à la majorité qu’une constitution est la boussole d’une nation ? Comment expliquer à la majorité que la fraude électorale est un détournement de leurs voix ? Et défendre sa voix est une garantie pour voir ses aspirations qui ont motivé son choix, prises en compte.

En dehors des clivages politiques assez prononcés et entretenus par une forte dose d’appréhensions et de mensonges historiques, les problématiques qui font consensus sont légion en Guinée car la pauvreté est la denrée la mieux partagée dans ce pays. C’est l’heure du bilan. Pour contrer l’enfumage d’état en cours sur des projets à venir (sur fond d’ouvrages de maquettistes), il est essentiel de dresser une liste des promesses non tenues par le régime et de travailler sur les éléments de langage dans le cadre d’une vaste campagne de sensibilisation citoyenne. En plus de l’argument contre un 3ème mandat pour Alpha Condé, il faut sensibiliser davantage autour des conditions de vie inacceptables des guinéens dans sa très grande majorité. Établir et expliquer la corrélation entre les scandales financiers (aux ramifications internationales) enregistrés depuis 2010 et la pauvreté grandissante des populations guinéennes, permet de construire un argumentaire solide pour une sensibilisation citoyenne autour de la forfaiture en cours en accentuant le discours sur le risque d’aggravation de cette pauvreté avec un régime qui a déjà montré ses limites.

Ce “cluster” gouvernemental est dangereux. Nous observons ces derniers temps, la formation d’un “foyer de contagion” par l’achat des consciences autour de Alpha Condé pour « recruter par décret » (pour reprendre l’expression du journal satirique Le Lynx). Face à cette imposture endémique, il est essentiel de marteler cette évidence : ces guinéens qui s’activent et s’agitent pour faire avaler à la majorité la pilule de la forfaiture usent et abusent de l’argent public.

Démultiplier les « Kankan » et s’inspirer des mobilisations historiques récentes en Afrique

Kankan, les aléas de la sortie de l’hypnose mal négociée

Le signal est donné. C’est toute la Haute Guinée, autrefois fief du pouvoir (la nuance est nécessaire à ce niveau, le RPG a perdu son fief traditionnel depuis très longtemps. C’est par la fraude qu’il entretient cette illusion de base politique locale imprenable) qui se réveille de la longue séance d’hypnose entretenue par Alpha Condé et certains fils de la localité. Les promesses ont une date de péremption car le peuple te rappellera toujours l’échéance.

Les populations de la Haute Guinée observent médusées l’insolente richesse bradée par certains de leurs enfants avec pour seul exploit, avoir réussi ces dix dernières années à manipuler par le mensonge et les fausses promesses toute une région. Ces gens-là ne se battent pas pour une région ou un groupe ethnique. Ils se battent pour leurs propres intérêts. 

Les manifestations de ces derniers temps pour réclamer l’électrification de Kankan et la réaction de panique des autorités nationales témoignent l’importance d’opérer une mutation intelligente des revendications pour une mobilisation générale des populations guinéennes.

Des exemples africains

Omar el-Béchir et le prix du pain

En triplant le prix de la farine, El-Béchir ne pouvait pas imaginer qu’il allait perdre le pouvoir après 30 ans de règne sans partage. Même si le glaive du pain maudit a été la goutte qui a fait déborder le vase, il faut rappeler que la situation économique du pays était très difficile.

Mohamed Bouazizi, et le printemps arabe

Les exactions policières de trop. Pour ce jeune vendeur de fruits et légumes tunisien, la coupe des frustrations était pleine ce 17 décembre 2010 quand il se voit confisquer sa marchandise par des policiers. S’immoler par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid était non seulement un acte de désespoir face à un système oppresseur mais surtout un acte de résistance et de révolte. Le monde entier assistait à la naissance de ce qu’on a appelé le printemps arabe et la chute de plusieurs régimes dans le monde arabe.

Les ingrédients pour un mouvement social d’ampleur en Guinée sont dans la marmite, il revient aux acteurs leaders de faire preuve d’intelligence et de savoir appuyer sur Cook pour libérer le pays.


Sékou Chérif Diallo Fondateur/Administrateur www.guineepolitique.com




“Le mystère des 700 millions de dollars de Rio Tinto” en Guinée, les révélations de Libération


Gouvernance


Dans un article publié ce jeudi 30 juillet 2020 dans Libération, Agnès Faivre et Akoumba Diallo apportent un nouvel éclairage sur la destination des 700 millions de dollars empochés par la Guinée à l’issue de l’accord d’avril 2011 signé avec la compagnie minière Rio Tinto.


Republication de contenu Libération


L’accord signé en 2011 entre Conakry et le groupe minier aurait dû renflouer les caisses de l’Etat. Mais du côté du fonds censé gérer cette somme, le compte n’y est pas.

Un magot de 700 millions de dollars. C’est à peu près l’équivalent du budget de l’Etat en 2010 qu’empoche la Guinée à l’issue de l’accord d’avril 2011 signé avec la compagnie minière Rio Tinto. Mais «où sont passés les 700 millions ?» Depuis des années, la question est lancinante à Conakry. Libération est en mesure d’apporter un nouvel éclairage sur la destination (ou la disparition) d’une partie de l’enveloppe. Et sur son véritable montant. Ousmane Kaba, ex-conseiller à la présidence qui a planché sur les négociations entre le gouvernement et le géant minier, témoigne pour la première fois : «Rio Tinto a payé 750 millions de dollars sur un compte spécial géré par le gouverneur de la Banque centrale et le président de la République», affirme-t-il à Libération. Une information corroborée par deux autres sources proches du dossier. Rio Tinto maintient de son côté que 700 millions de dollars (et non 750) ont été versés directement au Trésor public guinéen. Soit. Mais à quoi a donc servi cette richesse tirée – enfin – du gisement de fer inexploité de Simandou ? Aux médias guinéens qui lui posent la question, le président Alpha Condé détaille lors d’une conférence de presse en juillet 2016 : «J’ai pris 125 millions pour entamer le barrage hydroélectrique de Kaleta. Nous avons commandé des groupes électrogènes avec 120 autres millions. C’est pourquoi nous avons eu l’électricité si rapidement.» Puis ajoute, le 29 janvier dernier à l’occasion de l’inauguration d’une agence d’Etat : «Le reste, on était obligé de le mettre sur un compte et c’est le Fonds monétaire international (FMI) qui décidait combien on devait dépenser par an.»

Bilan lapidaire

Quand l’institution financière revient officiellement en Guinée en janvier 2011, l’économie nationale est exsangue. «Compte tenu du défi de dépenser de manière efficiente ces recettes exceptionnelles, les autorités ont requis l’aide du FMI et de la Banque mondiale pour créer un fonds spécial», explique le FMI à Libération. Cette intervention aboutit à la création d’un fonds spécial d’investissement (FSI), mentionné le 23 décembre 2013 au Journal officiel. Mais étonnamment, aucune instance, internationale ou guinéenne, n’est en mesure de produire un document sur ce fonds et sur la gestion des 700 millions de dollars. Le FMI, lui, fournit un bilan lapidaire, reprenant pour l’essentiel un paragraphe de son «Programme de référence Guinée» de juillet 2011 : «185,5 millions de dollars ont été affectés au budget 2011» et 214 millions en 2012, pour des «investissements publics urgents surtout dans le secteur de l’électricité», tandis que 50 millions de dollars ont été versés à la Banque centrale. «Les 250 millions de dollars restants ont servi à financer le programme d’investissement public 2013-2015», écrit le FMI à Libération. Or la consultation des lois de finances 2011-2015 ne permet pas d’identifier de tels mouvements. Seul apparaît en 2012 un financement non bancaire de 348 millions de dollars pour combler le déficit budgétaire. Quant au FSI, l’affectation de ses fonds au budget de l’Etat est bien mentionnée dans les lois de finances 2013 et 2014, pour un montant total, ces deux années, de 254 millions de dollars. 232 millions issus de cette enveloppe ont été réellement dépensés, selon un document récapitulatif. Les plus gros postes d’investissement sont les infrastructures et l’énergie (construction et réhabilitation de routes, de ponts, construction de quatre microbarrages, travaux d’électrification) – des projets livrés ou en chantier, et parfois introuvables sur le terrain.

Flou sur le pactole

Le total des dépenses attribuées au «fonds Rio Tinto» dans les lois de finances atteint en réalité, au maximum, 580 millions de dollars. Restent environ 120 millions dont la trace s’est volatilisée. Ni le ministère guinéen de l’Economie et des Finances, ni la Banque mondiale, sollicités par Libération, n’ont répondu à nos questions sur la destination de ces recettes minières exceptionnelles. Recontacté, le FMI renvoie la balle à la Guinée. Il précise qu’il a, avec la Banque mondiale, aidé «à établir les procédures comptables régissant le FSI», mais pas «à gérer le fonds». Un peu court pour une institution supposée incarner la rigueur et qui, dans son «Programme de référence Guinée» de 2011, note qu’elle sera amenée «à donner des avis sur l’utilisation du FSI».

Ce flou sur le pactole de Simandou a aussi régné à l’Assemblée nationale. «Nous avons réclamé avec beaucoup de véhémence une commission d’enquête parlementaire, notamment sur l’utilisation des fonds de Rio Tinto, mais notre demande, prévue par la loi organique, n’a pas abouti, déplore l’ex-membre de la commission des lois Ousmane Gaoual Diallo. Par ailleurs, la loi de finances exige la production d’une loi de règlement qui détaille l’utilisation du budget annuel. Or elle n’a jamais été produite sous la gouvernance d’Alpha Condé.»


Cet article est republié à partir de liberation.fr. Lire l’original ici





SCAN : «[ ] les deux constitutions qui se catapultent… Il faut les retirer» Sidya Touré


SCAN POLITIQUE [des paroles et des écrits]


Sidya Touré, Président de l’UFR (les conditions pour un éventuel dialogue avec le pouvoir) – 4 Juillet 2020

Les conditions : « la première chose, il faut qu’il (le pouvoir, ndlr) renonce au troisième mandat d’Alpha Condé qu’on n’en veut pas. La deuxième, les deux constitutions qui se catapultent… Il faut les retirer. L’Assemblée Nationale qui a été votée dans les conditions qu’on connaît, avec une distribution de députés, il faut la reprendre. Voilà les conditions dans lesquelles nous irons à un dialogue. Si ce n’est pas le cas, … nous continuerons à nous y opposer »

La source ici


Cellou Dalein Diallo, Président de l’UFDG (à l’occasion de l’inhumation des huit jeunes tués lors des manifestations du FNDC) – 3 juillet 2020

« Depuis qu’Alpha Condé est au pouvoir, nous avons enterré 194 jeunes personnes dont la plupart ont moins de 20 ans. Ce qui se passe aujourd’hui est plus grave par rapport à ce qui s’est passé au stade du 28 septembre où il y a eu 159 morts en 2009 ».

La source ici


Aliou Bah, Président de l’organe provisoire du MoDeL – 5 juillet 2020

« Au lieu de rester dans la critique passionnelle, l’indifférence naïve et l’équilibrisme hypocrite, regardons objectivement d’où nous venons et faisons ce que nous pouvons, autant que possible, pour faire bouger les lignes dans la bonne direction ».

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De la survie de l’opposition et du FNDC face enjeux futurs [Lettre ouverte aux personnalités politiques de l’opposition guinéenne – Par L. Petty Diallo]


Point de vue


Si l’opposition peut être perçue comme une entité horizontale, le front national pour la défense de la constitution (FNDC) est plutôt une organisation transversale par sa nature. Il est une coalition de mouvements, de partis politiques de plusieurs obédiences et aux parcours variés.

Face aux défis et enjeux à court et long terme, une réflexion excluant toute polémique tant sur la survie du FNDC que sur l’appartenance au mouvement est presque cruciale. L’actualité immédiate l’impose d’autant plus. 

De la marche du 8 juillet à la nécessité d’une approche contextuelle et programmatique du futur

La marche projetée le 8 juillet 2020 devrait, plus que les précédentes, prendre en compte le contexte actuel qui risque de devenir plus aigu dans les mois à venir.

Avant tout, une réflexion s’impose sur le mot d’ordre de la manifestation à venir. La récurrence d’appels : « Pour faire partir Alpha Condé » apparait de moins en moins crédible. Tout simplement, de marche en marche, d’appel en appel, c’est le même mot d’ordre qu’on voit partout : sur les banderoles, les poteaux, les véhicules, les arbres, carrefours et ronds-points. Sans compter la nuance entre « pour faire partir » et « faire partir ». Autrement dit, la nuance entre l’intention et de l’action.

Quoi qu’il en soit Alpha est toujours là. Comme un termite, il bâtit sa termitière. J’allais dire, prépare son troisième mandat. Il faudrait donc être plus pragmatique en adaptant la stratégie et la finalité. En prenant en compte le nouveau contexte politique né au lendemain du 22 mars 2020.


Lire aussi Donner la solution au-delà de l’espoir [Lettre ouverte aux personnalités politiques de l’opposition guinéenne – Par L. Petty Diallo]


Les arguments qui militent en faveur de cette approche ne manquent pas.

La constitution de 2010 a été mise dans les tiroirs. Pire, enterré au dire du pouvoir. Le référendum du 22 mars 2020 voté et promulgué dans les conditions bien connues. Du coup, la donne a changé tant de forme que de nature. Désormais, il s’agit plus de sauver la République et la Nation dépositaires des institutions et des lois.

A ces impératifs, s’ajoutent d’autres qui montrent que le FNDC ne saurait faire l’économie d’une autodiscipline en fixant clairement les limites à ne pas dépasser par les acteurs politiques qui s’en revendiquent. 

Il est aberrant qu’il y ait des guerres intestines, des dénonciations, des calomnies parfois, des contestations notoires, des initiatives individuelles au sein de l’organisation. Elles rappellent à bien des égards des pratiques politiques auxquelles le mouvement devrait être exempté. De tels comportements font dire aux mauvaises langues, que la FNDC est en voie de se transformer en « front national de la division et de la confusion ».

L’intention de certains responsables de partis politiques de participer à une hypothétique élection sont comparables aux fidélités politiques des amis du chef de file de l’opposition d’alors. Glorieusement plébiscités, sans appartenance à l’UFDG, ni mérite, ces derniers se beurrent et s’engraissent actuellement où l’on sait. Leur cible à abattre étant désormais leur promoteur.

La nécessité d’un choix excluant toute réponse alambiquée

Face au nouveau tour de magie qui est tendu aux ténors de l’opposition et du FNDC, plus aucune hésitation ni compromis n’est possible.

Les adhérents, militants et sympathisants attendent de vous une position claire, une attitude ferme et un comportement digne des espoirs jusque-là placés en vous. Le rejet de la date du 18 octobre 2020 pour la présidentielle doit être conséquent et vos décisions non négociables. Dorénavant vous devriez penser et œuvrer pour une troisième voie et non contre un troisième mandat en soi.

Pourquoi une troisième voie ? Deux premières ont été épuisées : celle des manifestations et du dialogue incluant les organisations internationales. La nouvelle voie a déjà été évoquée par certains sous la terminologie de « Transition politique ». Elle pourrait être le dernier gilet qui puisse sauver la Guinée à court et long terme. Peu importe son appellation.

Cette troisième voie ne devrait revêtir ni l’image des alliances du passé ni en prendre les contours. Tout autant, elle ne devrait se fonder sur un conglomérat de partis d’opposition, aux décisions fluctuantes et qui, on l’a vu, se révèleront au fil du temps en partis de position.

Des exigences s’imposent face aux enjeux

Le FNDC doit faire faire peau neuve. Il devrait taire les divisions tant de l’intérieur qu’à l’étranger où certaines antennes, si elles ne sont pas comateuses, sont dans la contestation. Au cas contraire, il risque fort bien de se révéler ingérable, caduc et inopérant face aux enjeux actuel et futur.

Il faudrait donc une rupture conséquente ; des réformes adéquates ; une fermeté de ton et d’action dans les prises de position face à l’adversaire. C’est l’une des manières d’éviter que les arbitrages du futur n’échappent au peuple ou à l’opposition.

Il est connu de tous, que ceux qui veulent être les maitres du jeu se préparent en douceur. Ils sont déjà à pied d’œuvre pour le troisième mandat et se posent peu de questions. Ils sont persuadés que tout passe par une élection qui octroierait une nouvelle mandature au président actuel avant de mettre en branle la machine de succession. Inexorablement, dirions-nous.

Il est donc grand temps que l’opposition ait une conscience aiguë des défis et enjeux en acceptant cette terrible réalité : s’il y avait, dans les conditions actuelles, une élection, rien ni personne ne pourrait empêcher la victoire du futur candidat de la majorité. La question n’est pas savoir s’il s’agit d’un postulant pour un troisième mandat ou pas.

Enfin, la stratégie de l’adversaire découle, faut-il le savoir, des leçons tirées de la fin politique tant de Sékou Touré que de Lansana Conté et des lendemains désenchanteurs de l’entourage ou des héritiers. L’alerte lancée, n’allons pas loin.

Des préconisations face au jugement de l’histoire

Si l’opposition guinéenne négligeait les préconisations évoquées, il ne serait pas étonnant que bien de choses changent en sa défaveur.

Sûrement certains pourraient considérer ces préconisations comme des lubies d’un analyste perturbateur de sommeil ou d’un lanceur d’alerte agité. Quoi qu’il en soit, les responsables politiques ont un devoir à assumer face à l’histoire, à leurs militants et sympathisants, à toutes celles et ceux qui ont tant sacrifié et tant perdu.

Ils devraient assumer afin de :

  • mettre fin aux injustices de toutes sortes : arrestations et emprisonnements arbitraires ; destructions de biens privés ; inégalités socio- professionnelles ; meurtres et assassinats de toutes sortes ; corruption généralisée et gabegie économique ;
  • soustraire la Guinée des aventuriers politiques qui nous mène dans les méandres de l’inconnu ; les affres de la division, de la misère et de la discrimination ethnique, etc ;
  • rendre plus utiles et constructives les dix années de manifestations qui ont, à ce jour, plus conduit au cimetière qu’à la victoire ;
  • venir à bout d’un système qui a perdu tout repère et légitimité en violant les textes fondateurs de la République ;
  • répondre en fin aux mille et une attente d’un peuple qui a souvent été berné, trahi et délaissé par ses représentants.

Pour relever ces différents défis, il faudrait que vous taisiez les divisions dues à des alliances de façade et de concupiscences politiques de mauvais alois ; aux embrassades diurnes qui cachent des coups de pattes la nuit tombée.

Vous devez tout simplement assumer la Guinée. C’est- à- dire la délivrer du système en place ; des relents ethnocentriques d’un pouvoir presque séculaire aux mains d’une poignée d’héritiers, de clans et de gangs politico-affairistes.

Si vous en êtes incapables, la présidentielle d’octobre 2020 risque de sonner tant le glas du pouvoir actuel que le vôtre. Au pire, ce dernier vous survivra. N’est-ce pas que des voix sourdent d’un peu partout qui n’en peuvent plus d’attendre et qui revendiquent la victoire maintenant et pas après ?

En définitive, les responsables politiques de l’opposition, FNDC compris, ont l’impérieuse obligation morale et politique d’empêcher un président de 82 ans de continuer d’envoyer, à ses dépens, ou sous ses ordres, peu importe, des jeunes de 22 à 32 ans, (moyenne d’âge des victimes) au cimetière.

Vous devez vous remettre des faiblesses inhérentes à toute organisation sociale ou politique en palliant aux incohérences internes.  Ainsi, la Guinée parviendrait-elle à sortir de l’impasse actuelle.

Dans ce cas, et dans ce cas seulement, vous, responsables politiques actuels de l’opposition, aurez assumé la Guinée.

Telle est l’attente, une lancinante attente, de la majorité de nos concitoyens.


Par M. Lamarana Petty Diallo – Guinéen – Professeur Hors-Classe, lettres-histoire, Orléans- France

 




Donner la solution au-delà de l’espoir [Lettre ouverte aux personnalités politiques de l’opposition guinéenne – Par L. Petty Diallo]


Point de vue


A quelques jours de la reprise programmée des manifestations de l’opposition guinéenne sous la bannière du front national de défense de la constitution, (FNDC), il me semble opportun de lancer l’alerte, d’interpeler, de proposer des pistes de réflexion.

Je n’userai ni de langue de bois ni de propos laudateurs à l’image de certains louangeurs à la recherche de pitance : ces squatteurs qui ont induit plus d’un homme politique en erreur. Des encenseurs qui vous font croire que vous êtes déjà Président de la République alors que les temps sont au combat. Autant dire que je ne me préoccuperai point de caresser dans le sens du poil. J’essaierai en revanche de relever les failles sans trop insister sur les acquis.

Cette lettre ouverte est l’expression de mes craintes d’assister à nouveau à la reproduction du passé. Elle expose mes pressentiments face aux dangers qui menacent le futur de notre pays.

 Elle est, tout naturellement, l’expression de mon engagement politique, de mes convictions personnelles et de mon amour patriotique et inaliénable pour la Guinée d’hier et celle de demain. Ces sentiments nourrissent les propos qui suivent et qui s’adressent aux acteurs politiques de notre pays.

Donner de l’espoir ne suffit plus

Les responsables politiques, présidents ou leaders des différents partis politiques : UFDG, UFR, PEDEN, Bloc Libéral entre autres, ne doivent plus se contenter de donner de l’espoir. Ils doivent désormais apporter des solutions. La solution.

La même exigence s’applique aux représentants des mouvements civiques, membres ou non du FNDC. Les uns et les autres doivent tout simplement assumer la Guinée. Assumez un pays, c’est le comprendre, le prendre en responsabilité, le libérer ou le délivrer. C’est cela la mission de l’homme politique.

Cependant, en invitant les uns et les autres à assumer la Guinée, une question me taraude en tant qu’historien et analyste. Dans la classe politique actuelle qui s’en donnera les moyens ? Qui réalisera le rêve des Guinéens tant leurs espoirs se sont souvent évanouis au fil de notre histoire ?

Qui va assumer notre pays : ses turpitudes, ses victoires, ses défaites, son avenir face aux flots d’interrogations, aux innombrables rivières de sang et de larmes dans lesquelles nous nageons depuis plus d’un demi-siècle ?

J’en ai une idée : ne pourrait le faire que celui-là qui revêtira, au-delà du manteau d’un simple président de parti politique d’opposition, l’habit d’un grand homme au sens historique du terme.

De Gaulle a assumé la France par l’appel du 18 juin 1940. Sékou Touré, l’indépendance de la Guinée par le non du 28 septembre 1958. Nelson Mandela a assumé l’Afrique du Sud en mettant fin à l’apartheid.  En cela, ce sont des grands hommes. Celui qui voudrait s’inscrire dans cette lignée devra sortir des sentiers politiques empruntés ces derniers temps. Il devra inventer, imposer et ne pas se complaire de titres, fermer la porte, autant que l’adversaire le fait, aux dialogues creux et interminables.

Je ne doute point de la capacité de vous, hommes politiques de l’opposition d’adopter de telles initiatives ou attitudes. Loin s’en faut.

Je me dis juste qu’il va falloir dépasser le courage dont certains d’entre-eux ont fait preuve en exposant leur vie dans la lutte pour un système démocratique en Guinée. Il faudrait désormais plus que le simple courage : il faut l’audace d’antonien de 1789.  Et pour cause ?

Un dictateur, africain en tout cas, n’est jamais vaincu sur la table des négociations : Compaoré, Mugabe, El Béchir, Moubarak, j’en passe.

Qui voudrait ouvrir la nouvelle page de la lutte politique en Guinée devrait se fonder sur ce précepte de l’histoire politique du continent.

L’histoire comme repère politique pour façonner le futur

Se baser sur l’histoire générale de la Guinée pourrait préserver de la répétition d’écueils ou d’erreurs du passé.

Notre histoire politique, de 1958 à nos jours est jalonnée de fuite en avant, d’attitudes passives ou complices, des mea-culpa tardifs, d’omissions volontaires, du laisser-aller. Si ce n’est de larmes et de sang. A se demander si nos ancêtres n’ont pas emporté les secrets de la geste, ces hauts-faits, ces grands actes héroïques, qui fondent les grandes nations et font les grands hommes. 

A nos hommes politiques, je leur dis, l’état actuel de notre pays vous impose une interrogation collective. L’heure vous oblige à jeter un regard en arrière. De procéder à une rétrospective de vos combats, de vos parcours, de vos stratégies, de vos réussites et surtout de nos échecs. C’est la seule manière de vous conforter dans vos convictions ou provoquer une remise en cause.

Cela est d’autant plus nécessaire qu’un responsable politique qui ne se remettrait pas en question ne peut courir qu’à l’échec. La clé de vos victoires comme de vos défaites futures en dépendent.

Il faudrait vous remémorer, à chaque instant, les espoirs que vous avez faits naître et les ratages qui en ont découlé afin de mieux vous préparer à la nouvelle adversité.  Pour ce faire, un bilan d’étape s’impose. Il vous appartient de le faire ou pas. Mais pour guérir notre pays qui se gangrène de jour en jour, de grandes actions et de nouvelles stratégies sont incontournables et sont possibles.

Faire l’autopsie du passé pour un diagnostic du lendemain

Il est temps de procéder à l’autopsie des dix années de marches et de manifestations, de négociations et de dialogues, de tête-à-tête, de bras de fer avec le pouvoir en place. Mais aussi de vos alliances ou coalitions, de vos stratégies de conquête du pouvoir individuellement et collectivement. Les appels et attentes de solutions qui devraient venir de la communauté internationale ne sauraient non plus échapper à cette mise à plat.

Une telle démarche rétrospective, condition sine-qua-non de toute prospective, fait appel à une vision politique clairvoyante qui réponde à l’éthique de conviction et à l’éthique de responsabilité. (Max Weber).

Cette théorie wébérienne, qui se prête tout particulièrement aux échéances électorales décisives, que l’auteur conseille aux hommes politiques en « période de gros temps », comme c’est le cas chez nous, pose l’équation de la fin et des moyens en politique.

La proposition de la tenue de l’élection présidentielle le 18 octobre 2020, phase ultime de la stratégie du pouvoir, qui a toutes les chances d’être validée par un décret présidentiel met au centre du débat cette théorie. A l’opposition de voir quels moyens usés pour quels résultats : aller et perdre ; ne pas aller et sortie vainqueur ? Et comment ?

Quant au pouvoir, nul doute qu’il n’hésitera pas d’user, à nouveau, des moyens les plus condamnables pour parvenir à ses fins. Déjà, le piège habituel commence à s’ouvrir alors que l’étau est en train de se resserrer, peu à peu, autour de vous, chers membres de l’opposition.

Le resurgissement de la question du dialogue avec les pièges qu’il traine n’est pas hasardeux. Voilà que vous y avez déjà mis un pied et de la manière la moins adroite en égrenant des « si » ; des « on » et des « il faut que ». Du genre : « si je dois aller ; on n’a pas dit que… ; on n’ira lorsque… ; pour qu’on y aille… ».

Loin de propositions carrées, de refus catégoriques, ces conditionnelles n’ébranleront pas le dernier chef de quartier de notre pays. L’arrogance d’en face, celle du pouvoir, appelle des positions fermes et catégoriques. Si ce n’est radicales.

A défaut, rien n’empêchera les scénarios de 2010 et 2015. En tous les cas, celui qui est habitué à rouler sa bosse pour escalader la montagne, ne craint point la colline. Alors, comme je l’ai souligné plus haut, le système ne reculera devant aucun obstacle ni danger dans l’optique de la conservation du pouvoir dans les prochains mois.

La deuxième partie étayera les enjeux, les défis, les stratégies et les choix qui s’offrent à vous.


Par M. Lamarana Petty Diallo – Guinéen – Professeur Hors-Classe, lettres-histoire, Orléans- France

Lire aussi De la survie de l’opposition et du FNDC face enjeux futurs [Lettre ouverte aux personnalités politiques de l’opposition guinéenne – Par L. Petty Diallo]





Guinée: les juges et les magistrats sont perçus comme étant la frange des fonctionnaires la plus corrompue [Enquête Afrobarometer]


Gouvernance


La Guinée est classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde, occupant la 130e place sur 180 pays de l’Indice de la Perception de la Corruption dans le secteur public de Transparency International (2019).

Pourtant, le Président Alpha Condé a montré une volonté de lutter contre la corruption avec la nomination de Me Cheick Sako au poste de ministre de la justice, qui a impulsé des réformes judiciaires pour éradiquer l’impunité. C’est dans ce cadre qu’en juillet 2017, une loi relative à la lutte contre la corruption a été adoptée, et il est souligné que désormais « les crimes économiques sont imprescriptibles » (Freland, 2019). Cette volonté de combattre la corruption s’est notamment traduite par l’éviction en juin 2018 des directeurs généraux de l’Office Guinéen des Chargeurs et celui de l’Office Guinéen de Publicité ainsi que leurs agents comptables pour suspicions de malversations (Nations Unies, 2018).

Malgré cela, comme l’a souligné en décembre 2019 le ministre guinéen en charge des investissements et des partenariats publics-privés, Gabriel Curtis, « la corruption est encore persistante en Guinée » (Diallo,2019), et aujourd’hui, avec la crise économique et sociale aggravée par la pandémie de la COVID-19, les besoins des populations confinées, et les ressources colossales que le gouvernement compte mobiliser, les risques de détournement des fonds sont réels.

L’enquête d’Afrobarometer en fin 2019 montre que la plupart des Guinéens pensent que le niveau de la corruption est à la hausse et les efforts du gouvernement de lutter contre ce fléau sont insatisfaisants. Les juges et magistrats, les agents des impôts, et les policiers sont perçus respectivement comme étant les corps les plus corrompus pendant que les chefs religieux et traditionnels ont plus de crédibilité que le personnel du service public. Par conséquent, la confiance des citoyens envers les institutions est faible, ce qui est susceptible d’entraîner des défiances populaires.

La corruption est aussi aggravée par une peur grandissante de représailles si les citoyens signalent les cas de corruption. D’ailleurs, une bonne partie des citoyens ont fait recours à la corruption pour obtenir des services et avantages dans le secteur public.


Lisez le document complet: La corruption en hausse selon les Guinéens, qui craignent des représailles s’ils en parlent


Quelques résultats choisis par notre rédaction


Sept Guinéens sur 10 (70%) affirment que les gens risquent des représailles s’ils signalent des actes de corruption aux autorités. La peur des conséquences négatives a connu une hausse de 7 points de pourcentage depuis 2017.


Le gouvernement répond « plutôt mal » ou « très mal » à la problématique de la corruption au sein de l’administration publique, selon huit Guinéens sur 10 (82%).




Afrobaromètre est un projet d’enquête et de recherche, non partisan, dirigé en Afrique, qui mesure les attitudes des citoyens sur la démocratie et la gouvernance, l’économie, la société civile, et d’autres sujets.





Alpha Condé ou la girouette opportuniste par excellence [Par Ibrahima SANOH]


Point de vue

Certains hommes sont des caméléons, ils prennent toutes les couleurs ; d’autres sont des reptiles qui se tortillent en mille façons. Ils font des gambades, arrivent  où  le soleil lut, profitent de la dépouille de ceux que l’orage a culbutés. Quand ils sont bien, ils veulent encore plus. Ils  sont malades et souffrent de cette vulgaire maladie : l’avidité. Ils veulent plus, mieux, ce qu’ils ne sauraient  trouver dans leurs certitudes, opinions actuelles ; ainsi, ils se meuvent,  ils bougent, ils culbutent  afin de posséder plus  et encore.

S’ils ont été ministres une fois, ils veulent encore venir à la soupe. Oui, être un ministre, ça paie.  S’ils ont  fait deux mandats légaux, ils veulent un troisième illégal et illégitime ; ils le veulent qu’ils soient prompts à l’exercer ou non, ils le veulent pour eux car sont malades : ils ne se contentent pas, ils sont incapables de réfréner leur appétit du pouvoir. Ce sont elles les girouettes opportunistes ; elles changent de verbe ; ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui pour elles, ce qu’elles ont défendu aux autres ne doit pas leur être opposé, elles  sont différentes. Voilà les déraisonnables ! Elles se disent : « Le peuple décidera, lui seul dira ». Elles  ne se laissent pas emporter par les soubresauts de l’opinion mais manipulent l’opinion en lui imposant un lexique, le leur, et des intentions.  Elles ont des  valets qui parlent en leur nom, font campagne pour elles ;   l’une d’elles, la grande girouette du pays   a dit : « J’écoute le peuple ». Si le peuple décide de tout en tout temps et tout lien, on ne vit  plus sous un régime démocratique. Elle reconnaît que son régime est le contraire de la démocratie.

La grande girouette s’est  acheté aussi des perroquets et des lévriers d’attache qui ne vivent que de guerre. Aux premiers, le deus ex machina dit : « Soyez prêts pour la confrontation d’idées, n’ayez peur de rien, il vous sera donné des  arguments  ». Aux seconds, le factotum dit : « Quand vous dansez avec un aveugle,  fasse  qu’il sente qu’il n’est pas seul ». Elle  entretient des jeunes qui ont une seule mission : invectivez contre les parents de son principal opposant. Elle leur donne des coupe-files  quand ils veulent accéder à son palais et mieux assure leur sécurité. Cette grande girouette, parrain des courtisans qu’elle débauche des rangs de l’opposition pour son bien,  c’est le Président-Professeur-Deus-Ex-Machina-Factotum Alpha Condé. Il  a aussi des paons qui déplaisent par leurs chants.

Oui, le deus ex machina est une girouette, la plus grande que le pays ait jamais  connu. Il est le maître des matois. Il est une girouette pour avoir dit, deux fois, qu’il respectera et fera respecté les termes de la constitution ayant fait de lui le premier président démocratiquement  élu dont il s’enorgueillit d’être et avoir fait parjure.  Il a été communiste, il a abjuré le communisme pour le socialisme qu’il a abjuré au profit de libéralisme sans humanisme qu’il a tardivement embrassé. Au malade Guinée, il administre de piètres et incommodes  remèdes.   Pendant  longtemps, il s’est battu pour qu’il accède au pouvoir et y  finisse le reste de ses jours. Investi de la confiance du peuple, pour qui il s’est battu, disait-il, il oublie l’honneur qu’est d’être un  président à un âge tardif.


Il a été communiste, il a abjuré le communisme pour le socialisme qu’il a abjuré au profit de libéralisme sans humanisme qu’il a tardivement embrassé.


Il avait dénoncé sans cesse les goûts forcenés du pouvoir de ses antécesseurs ; au pouvoir,  il marche sur leurs traces  et songe désormais à rebâtir la dictature à base professionnelle sur fond d’usurpation du pouvoir avec les matériaux constitutionnels.  Il entretient un humiliant contraste entre ses  engagements d’hier  et son mode d’exercice du pouvoir ; sa conduite et ses pensées. Il fusionne les contraires : les promesses nombreuses et les reniements successifs, le beau langage occasionnel et les  mauvaises pratiques, l’aspiration à la dictature et les éloges de son passé d’opposant à la dictature, l’amour de la médiocrité et l’espoir du progrès, le désir de dominer et l’aspiration à la justice sociale.

Oui, l’opinion de l’homme peut changer pourvu que sa conviction ne  se meuve pas ; oui,  il peut faire des palinodies  pourvu qu’il  ne  tronque pas sa conscience. Oui, il peut aimer les girouettes vénales, opportunistes, dogmatiques, cérébrales,  pourvu qu’il ne fasse pas l’apologie  de la corruption morale. Etait-il un homme de conviction ?  Il a pourtant fait  quatre décennies de combat ?  Pourquoi doit-il trainer dans la fange l’homme qu’il a été ? Le temps évente les supercheries et révèle l’ ; homme.

Il  a subordonné la compétence à la servilité, assassiné le travail qui est le pain de tous pour sustenter les flatteurs ;  il a préféré les mines qui procure des rentes plus grandes  bien qu’ayant de grandes externalités  négatives  plus grandes  encore  à l’agriculture qui nourrit ;   il a tué le citoyen  pour avoir  célébré la servilité politique , il a attaqué la constitution  qui a fait de lui celui qu’il s’enorgueillit d’être.  Il a porté l’estocade contre la République qui doit élever  chacun au rang de militant. 

Opportuniste, il sait tirer parti du pluralisme politique et de la famine qu’il sème depuis plus de  neuf ans  afin de  donner un semblant de légitimité à la forfaiture qu’il  prépare.  Sous ses mandatures, il sera dit : il ne suffisait  pas de travailler pour avoir son pain que le travail introuvable ne procure jamais, il fallait  être un  militant et un flagorneur, aussi  croire et  dire que seul lui est  capable.


Il  a trahi, pour avoir soutenu ce qu’il a défendu aux autres : le goût forcené du pouvoir. Les résultats de cette trahison sont là et la grande partie est différée. Est-il un homme d’Etat ou un combinard professionnel ?  Les résultats de sa trahison permettront de répondre à cette question.


Mandela, le vrai,  a dit : «  Je laisse ma place à la relève ». L’autre dit : « s’il y a référendum, il y a troisième mandat  ». Il a abjuré Mandela. Il  rêve de devenir Biya, Sassou ou Deby. C’est son choix ! La Guinée n’a pas besoin d’un autre dictateur  après soixante années de fourvoiement national, elle est à la recherche du temps perdu.  Il s’exprime par la bouche de ses courtisans qui nous disent : « Changement dans la continuité ! »   Changement impossible ! Il  faut le changer  afin que son œuvre de démolition de l’Etat et de démantèlement des symboles de la République prenne fin.  Voilà le seul changement qui fera le  salut national.


Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen,
Président du mouvement Patriotes Pour l’Alternance et le Salut




Au Mali, des milliers de manifestants demandent la démission du président


Échos d’Afrique


Le rassemblement, organisé par une nouvelle coalition regroupant un large pan de l’opposition politique, a dénoncé la « gouvernance chaotique » d’Ibrahim Boubacar Keïta.


Les Maliens sont descendus par milliers sur la place de l’indépendance au centre de Bamako, ce vendredi 5 juin. Au son des sifflets, des vuvuzelas et d’une fanfare, les manifestants ont repris en chœur les slogans scandés par un speaker perché sur une estrade : « IBK démission ! IBK dégage ! ».

Cette injonction, adressée au président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), a été formulée à l’initiative d’une nouvelle coalition qui regroupe un large pan de l’opposition politique du pays, de l’influent imam Mahmoud Dicko et son mouvement religieux le CMAS, au militant anticorruption Clément Dembélé porté par le mouvement de la société civile Espoir Mali Koura (EMK), en passant par le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD).

Dans la déclaration finale de ce « rassemblement des forces patriotiques du Mali », les organisateurs reprochent au chef de l’Etat, au pouvoir depuis 2013 et réélu pour un second mandat en 2018, une « gouvernance chaotique » qui menace de « précipiter notre pays dans l’impasse ». Le cahier des doléances est épais et couvre presque tout le champ du pouvoir régalien : « gestion catastrophique de la crise multidimensionnelle au Mali ; atteinte à l’intégrité du territoire ; détérioration sans précédent des services sociaux ; paupérisation croissante des populations laborieuses ; gabegie financière ; corruption… ».


une « gouvernance chaotique » qui menace de « précipiter notre pays dans l’impasse ».


« Personne n’a reçu de masque » 

Dans la foule, les pancartes visibles reprennent certaines de ces critiques et en ajoutent d’autres, exigeant « la libération de tous les prisonniers politiques », « plus d’argent pour l’éducation » ou « la fin du coronavirus ». « Il gère le pays avec son fils, sa femme et son clan, tonne Madi Diarra, le pas rapide et le t-shirt ample. Le problème, c’est que cette caste ne connaît pas les réalités du pays, ils ne subissent pas la crise comme nous. » Le manifestant assure pourtant avoir voté deux fois pour IBK, aux présidentielles de 2013 et de 2018 ainsi que pour son parti aux législatives d’avril. Décision qu’il regrette amèrement : « Aujourd’hui, il n’écoute même plus son propre camp. »

En milieu d’après-midi, on comptait environ 20 000 manifestants dont presque aucun ne portait de masque, malgré la pandémie de Covid-19 qui a contaminé 1 461 personnes et en a tué 85 dans le pays. « On ne devrait pas être là, parce qu’il y a le corona, lance Diawara Issaka. Le président avait promis un masque à chaque Malien mais personne ici n’en a reçu, c’est un menteur. Donc on vient ici pour contester ce mensonge comme tous les autres. » Un petit groupe se forme autour de lui, acquiesçant : « On en a marre. Nous, chefs de famille, ça fait trois mois qu’on n’a pas de salaire. »


Le président avait promis un masque à chaque Malien mais personne ici n’en a reçu, c’est un menteur.


Invité à démissionner vendredi à 18 heures

Sur l’estrade, les représentants du rassemblement se succèdent au podium. Le plus acclamé est Mahmoud Dicko, leader politico-religieux tenant d’un salafisme quiétiste, ancien proche du président, désormais opposant énergique, connu pour sa capacité de mobilisation et ses coups d’éclat. En mars, ses fidèles bloquaient le tribunal de grande instance de la commune V de Bamako où l’imam était convoqué.

Sous pression, le gouvernement retirait la plainte visant des propos tenus lors d’une manifestation. L’autre leader du rassemblement, Clément Dembélé, a connu un autre sort. Le 9 mai, il s’est fait enlever en pleine rue par la direction générale de la sécurité de l’Etat, puis interrogé pendant quinze jours dans des conditions extrajudiciaires, sur une suspicion de complot contre le président.

« Cette manifestation est un droit constitutionnel, appuie Clément Dembélé. Il faut montrer au régime l’exaspération du peuple malien. L’insécurité a doublé, il y a des combats quotidiens au nord et dans le centre, plus de 250 milliards sont détournés par la corruption, il n’y a plus d’opportunité de travail et cela pousse les Maliens à émigrer. Nous ne pouvons plus attendre 2023 et la fin du mandat du président, il doit partir maintenant. »

Les organisateurs appelaient IBK à démissionner au plus tard ce vendredi à 18 heures, sinon « le peuple souverain en tirera toutes les conséquences », précise la déclaration finale du rassemblement. La colline de Koulouba où se trouve le palais présidentiel est évidemment restée silencieuse à cet appel. A la faveur d’un lourd orage, la place de l’indépendance s’est calmement vidée. La pluie cinglante a douché les cris de colère, même ceux des manifestants les plus motivés.


Cet article est republié à partir de lemonde.fr. Lire l’original ici





SCAN: «Alpha Condé, c’est un va-t-en-guerre.» Ousmane Gaoual Diallo


SCAN POLITIQUE [des paroles et des écrits]


Ousmane Gaoual Diallo, coordinateur de la cellule de communication de l’UFDG (26 mai 2020)

« Alpha Condé n’est pas prêt à changer. Il appartient à chaque guinéen de prendre conscience de cela et de s’armer de courage pour pouvoir affronter cette volonté machiavélique qui consiste à profiter de cette pandémie pour pouvoir dérouler tranquillement son coup d’Etat constitutionnel. [  ] Alpha Condé, c’est un va-t-en-guerre. C’est quelqu’un qu’il faut combattre avec détermination et résilience »

La source ici


Maître Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats (26 mai 2020)

« On a reproché au CNT de s’être substitué au peuple, de s’être attribué la souveraineté populaire en adoptant en lieu et place du peuple, un texte qui ne lui a pas été soumis. Mais ce qu’ont fait certains est encore plus grave. Ils ont substitué leur volonté à celle du peuple préalablement exprimée. Autrement dit, si les membres du CNT n’ont pas soumis la constitution de 2010 à l’approbation du peuple, les autres ont tout simplement travesti la volonté du peuple. »

La source ici


Bah Oury, opposant guinéen et ancien ministre (25 mai 2020)

« La Guinée ne doit pas s’engager dans la logique d’une Haïti en Afrique. C’est la raison pour laquelle il faut rester ferme; il ne faut pas accepter d’abdiquer devant la violation de la constitution et devant la mise en œuvre d’un fichier électoral totalement corrompu qui ne pourra que générer, discrimination, violence et instabilité. »

La source ici





Trois scénarios pour une sortie de crise en Guinée? [Par Ibrahima SANOH]


La Guinée est à la croisée des chemins et son avenir est plus que jamais en jeu. Le double scrutin du 22 mars 2020 a eu lieu et a rendu la réalité politique  plus compliquée. L’avènement de la crise sanitaire  liée  au COVID-19 qui nous affecte de diverses manières doit conduire à réfléchir dès maintenant sur l’avenir proche du pays d’autant plus qu’une échéance électorale, à l’occurrence la présidentielle, est prévue cette année.  Aura-t-elle lieu ?  L’opposition y prendra-t-elle part au cas où Alpha Condé  serait candidat ? Alpha Condé sera-t-il candidat ? Voilà  de petites  questions  qui n’ont pas de réponses toutes faites. Il faudra  les répondre si nous ne voulons pas  que notre avenir nous échappe. Ne pas prévoir demain, c’est aller les yeux bandés vers l’avenir imprédictible  et souvent, droit  dans l’abîme. Ne pas anticiper la survenue des évènements et faits qui feront demain, c’est vivre une vie de chien. Un  pays et ses citoyens doivent se l’éviter.

Dans le présent papier, mon dessein est d’esquisser quelques scénarii pour  la présidentielle de 2020 et d’amener la classe politique, les acteurs  de diverses   institutions  qu’elles soient nationales ou étrangères à réfléchir à l’avenir du pays et créer les conditions d’un dialogue inclusif, sincère et prompt  afin d’éviter à la Guinée le fourvoiement et une  impasse politique imminente. Le pays est la quête du temps perdu. Ne faudra-t-il pas  lui éviter les crises inutiles, procédant de nos excès de confiance  et de nos cécités politiques ?

Scénario I : Report de la présidentielle de 2020.

La  tenue du double scrutin du 22 mars  a eu des conséquences fâcheuses  et a fait des victimes collatérales.  Pour assez d’observateurs, j’en fais partie,  elle a aggravé  la crise sanitaire alors latente et a favorisé la propagation du coronavirus. Aujourd’hui, le nombre de contaminés augmente plus que celui des guéris  et  celui des cas contacts évolue à un rythme alarmant.  Ce qui conduit, sous certaines conditions,  à douter de la capacité du pays à venir à bout de la crise sanitaire à  moyenne échéance.  Peut-être apprendrons-nous à vivre avec le coronavirus. Il faut rappeler que la Guinée n’est venue à bout d’Ebola que lorsqu’un vaccin fut mis au point et  mis à la disposition des pays alors frappés par le virus à fièvre hémorragique. 

Dans ce contexte de crise sanitaire, il serait déraisonnable que la CENI  et même le Président de la République  tiennent la présidentielle à la date prévue. Les mesures adéquates pourraient être prises à cet effet, dira-t-on. Le  vote sera-t-il électronique et  les élections sans campagnes électorales ? Les mesures qui seront prises permettront-elles de protéger les Guinéens qui seront appelés aux urnes  contre le risque de contamination au coronavirus ? 

La date de la présidentielle est éloignée, diront certains. N’est-ce pas que l’organisation de la présidentielle de 2020 est tributaire  de  la capacité du pays à  triompher du coronavirus  qui  éprouve  la Guinée et le monde ?  A l’hypothèse que le coronavirus soit circonscrit, ne faudra-t-il pas un consensus  sur  certaines questions à savoir : la CENI qui n’inspire pas confiance à une certaine opposition, le fichier électoral  et d’autres questions subsidiaires.

Quand bien même Alpha Condé ne serait pas candidat  et  que la crise sanitaire due au Coronavirus serait finie, l’opposition qui n’a pas pris part au double scrutin du 22 mars 2020  acceptera-t-elle la CENI  qu’elle a décriée ?  Va-t-elle se renier et se dédire ? 

Il est des plus probables que la présidentielle  de 2020 connaisse un report !  Ce ne  serait pas un mal eu égard  aux réalités susmentionnées. Seulement, il faudra se mettre d’accord sur certaines questions qui divisent. Cela suppose que les différentes parties prenantes au processus électoral s’accordent sur le principe qu’elles doivent se parler  et dialoguer. Mais la confiance entre ces acteurs n’est-elle pas entamée ? Alpha Condé qui a eu  une grande peine à se faire  féliciter après  l’adoption par le pays d’une nouvelle constitution, aura-t-il le courage d’organiser la présidentielle en étant lui-même candidat  et cette année, sans que le coronavirus  soit vaincu ?   Cela semblerait absurde. Et, s’il venait à l’essayer, il sera de plus en plus isolé et donnera raison à tous ceux qui ont dit qu’il se donnait à travers la nouvelle constitution la possibilité de saper le principe de l’alternance en se portant candidat à un autre mandat.  Lui qui a survécu à de nombreuses crises politiques, à Ebola, aux nombreuses manifestations de rue, à la honte qu’aurait engendré l’échec de son double scrutin, voudra-t-il ouvrir un autre front de combat en temps de crise sanitaire mondiale ?  On le sait téméraire et entêté. Survivra-t-il  à cette autre épreuve ?

S’il y a report de la présidentielle, c’est que le pays connaîtra une nouvelle transition. Combien de temps durera-t-elle ? N’est-ce pas que les transitions aiguisent  les appétits  et conduisent souvent aux substitutions de priorités ?   Alpha Condé qui l’assurera pourra-t-il être candidat à un autre mandat ? Peut être que  l’apport de la communauté internationale  et aussi qu’une certaine pression étrangère   favoriseront  un dialogue  sur les questions   dont  les résolutions sont reportées : fichier électoral, présidence de la CENI et sa composition, candidature d’Alpha Condé à un autre mandat,   acceptation de la constitution du 22 mars 2020 par l’opposition au sein du FNDC. Peut-être  aussi, Alpha Condé aura-t-il des garanties  et  incitations qui l’emmèneront à ne pas se porter candidat  à la présidentielle.


S’il y a report de la présidentielle, c’est que le pays connaîtra une nouvelle transition. Combien de temps durera-t-elle ? N’est-ce pas que les transitions aiguisent les appétits et conduisent souvent aux substitutions de priorités ?


Tout cela ne sera pas sans conséquences. Il aura, lui  qui s’est toujours plaint d’avoir été empêché, la possibilité de rattraper quelques années perdues.  Mais cela lui permettra-t-il d’être performant ? Voilà un sophisme : celui de l’amortissement. Le temps écoulé ne se rattrape pas ! Le mandat d’une transition est contraignant . Aussi, il aura la possibilité de se mettre à l’abri de certains ennuis judiciaires si la communauté internationale venait à lui faire des propositions de poste au sein de certaines institutions.  Mais les récriminations de l’opposition sont plus grandes et vont au-delà de sa personne. On pourrait lui éviter certains procès en raison de son rang,  ce qui serait inadmissible pour d’autres présumés coupables de crimes de sang et économique. On pourrait lui accorder le pardon, mais  jamais l’amnésie à ses supposés suppôts.  Le RPG devra alors avoir un candidat pour lui éviter une triste fin et la justice des victorieux. Alpha Condé, Président de la transition, sera-t-il neutre ?  N’aura-t-il pas une inclination pour un candidat ? N’influera-t-il pas sur la sincérité du scrutin ?  On pourrait perdre d’autres années et la transition pourrait bien donner lieu à une confiscation du pouvoir.  Le risque d’une instabilité politique  est réel.

Scénario II : Candidature d’Alpha Condé à la présidentielle de 2020.

Ce scénario, me paraît improbable dans les conditions actuelles. Certaines raisons évoquées dans le scénario précédent  sont aussi en vigueur dans le présent cas.  L’hypothétique candidature d’Alpha Condé à la présidentielle de 2020 est liée à sa capacité à  venir à bout du coronavirus et aussi à faire accepter par une certaine communauté internationale sa réforme constitutionnelle. Le dernier trimestre de 2020 est encore loin et assez de choses peuvent encore se passer.

Si Alpha Condé se porte candidat  alors qu’il n’a pas  vaincu le coronavirus , c’est qu’il aura compris qu’il ne viendra jamais à bout de cette crise sanitaire  avant la découverte  d’un vaccin dont l’attente serait inconcevable  et aussi , qu’il n’a pas à chercher l’approbation d’une certaine communauté internationale. N’est-ce pas qu’il avait avant la réforme constitutionnelle reçu le soutien des dirigeants placés sous la même enseigne  que lui et qui l’ont  félicité  après le double scrutin : ceux  de la  Russie, de la Chine, de la Turquie ?   La CEDEAO, les pays occidentaux, certains  pays africains ayant une tradition démocratique avérée ne lui ont envoyé aucun message de félicitations.  Cherchera-t-il à leur plaire ?  Reculera-t-il  alors que le plus difficile est fait et qu’à présent, il a possibilité d’être candidat à un autre mandat ?

La  récente plainte  du FNDC contre le pouvoir guinéen  à la CPI pourrait avoir des conséquences insoupçonnées  que  les initiateurs  n’ont pas eux-mêmes soupesées. En effet, une nouvelle constitution veut dire : ne pas ouvrir la boîte de pandore. Si  plusieurs dirigeants sont tentés de  mourir au pouvoir, c’est qu’ils ont renoncé aux hypothétiques honneurs d’après règne pour se mettre à l’abri des ennuis judiciaires. Aussi longtemps qu’ils dirigent, ils le savent, ils jouissent d’une certaine  l’immunité les protégeant contre les actions judiciaires.  Si Alpha Condé n’est pas candidat alors  qu’il désespère, son parti avec, de trouver un dauphin  qui sera à même de remporter la présidentielle  à l’issue d’un scrutin dûment constitué. S’il n’a pas l’assurance qu’il  sera, après le pouvoir, exempt de poursuites judiciaires, eh bien, il sera tenter d’être candidat à un autre mandat et  voudra aller aux élections même dans les conditions les plus discutables.  


Si plusieurs dirigeants sont tentés de mourir au pouvoir, c’est qu’ils ont renoncé aux hypothétiques honneurs d’après règne pour se mettre à l’abri des ennuis judiciaires.


L’opposition au sein du FNDC doit entendre cela et entrevoir une lutte politique plus habile que celle des muscles dont les résultats sont très contrastés.  Impénitente, elle doit avoir son travail de conscience ! Les menaces  n’engendrent toujours pas les résultats escomptés. Elles peuvent  produire l’effet contraire : la fossilisation des dirigeants.

Scénario III : Désistement volontaire d’Alpha Condé à être candidat à un autre mandat.

Ce scénario est trop optimiste pour être des plus probables.  Les faits conduisent à croire qu’il est irréaliste.  Sa survenue  pourrait avoir des conséquences dont la mort  subite du FNDC et la révélation des contradictions au sein de l’opposition.  En effet, si Alpha Condé annonçait qu’il ne serait pas candidat à un autre mandat, cela apaiserait une certaine tension politique et  favoriserait un  dialogue sur certaines questions de l’heure et surtout celles électorales.  Une telle annonce sera  favorablement accueillie  par la communauté internationale qui lui aura prêté des intentions et qui, sans nul doute œuvrera à l’aider à s’acquitter de la promesse qu’il aura tenue : celle de ne pas être candidat à une autre échéance électorale. Là, il pourrait, intelligemment se soustraire  de certains ennuis judiciaires après le pouvoir et  se réconcilier avec ses combats historiques. Encore, il aura évité à sa postérité d’être dédaigneuse.  Saura-t-il dominé  le ressentiment  qu’il a vis-à-vis  de cette classe politique qui lui a livré un combat implacable pendant assez d’années ? Il ne faut pas désespérer qu’il puisse encore se révéler homme d’Etat et que, même dans les moments d’incertitudes, il puisse se montrer à la hauteur de ses combats historiques.


En effet, si Alpha Condé annonçait qu’il ne serait pas candidat à un autre mandat, cela apaiserait une certaine tension politique et favoriserait un dialogue sur certaines questions de l’heure et surtout celles électorales.


S’il venait à faire une telle annonce, l’opposition serait confrontée à deux opinions contradictoires. La première sera celle de ceux qui diront : «  Allons aux élections et sans préalables. »  La seconde, celle des circonspects qui diront : « Créons les conditions d’une élection inclusive et transparente dès lors que cela est possible et mettons-nous d’accord  sur les questions essentielles. »  Cette dernière frange  ne voudra pas se dédire alors qu’elle ne porte pas une grande admiration à la CENI, ne croit pas à la fiabilité du fichier électoral. Une telle annonce permettra d’acquérir une certitude que la nouvelle constitution tant décriée est acceptable et le sera et, qu’en supposant à lui, le FNDC  s’opposait à la possibilité qu’Alpha Condé soit candidat  à une autre échéance électorale.   !  Les déclarations cocardières et patriotardes  s’estomperaient. «  2020, Un autre  », voilà son  slogan dénotant de peu d’ambitions 

Que cette hypothèse soit validée ou non, il faut bien se poser la question qui est : au cas où Alpha Condé ne serait pas candidat,  et au cas où il se donnerait les chances de tenir des élections inclusives et transparentes, n’est-ce pas qu’il faudra que la classe politique s’accorde sur certaines questions ?

En définitive, quel que soit le scénario, une chose est claire, nous vivons une grande crise qui n’est pas que sanitaire. Elle est multidimensionnelle. Elle est  aussi politique.  La crise sanitaire a permis d’éluder les clivages politiques et de créer une harmonie de  façade, foncièrement  factice, de  réduire les angles de nos contradictions idéologiques et politiques, de rengainer l’expression de certaines méchancetés. Elle a favorisé la politique de temporisation. Elle ne résoudra pas nos problèmes politiques et ne mettra pas fin à nos contradictions, même si elle a la vertu de  reporter leurs résolutions.  N’est-ce pas qu’il faudra alors qu’il est grand temps de poser les bases d’un dialogue national en faisant les compromis forts pour éviter au pays une crise politique majeure ? N’est-ce pas qu’il faut asseoir les bases d’un dialogue politique national  sur le processus électoral ? Devons-nous reporter la présidentielle de 2020 ? Si oui, pourquoi ? A quelle échéance ?  Au cas contraire, avec quelle CENI, quel fichier électoral  et dans quelles conditions ?  L’opposition doit  s’intéresser à ce sujet et poser les conditions raisonnables pour un dialogue sincère et franc. La communauté internationale doit aider la Guinée  à réussir ce pari.

Ceux qui croient naïvement –  peut-être sont-ils forts d’autres choses que nous autres ignorons – que les muscles et la tactique  de la surenchère régleront les problèmes servent  de cautions politiques à Alpha Condé  et lui font le plus grand bien qu’ils ne peuvent imaginer : ils le  réconfortent dans ses positions  et hâteront  ses réactions par le mal de notre démocratie.  Cela suffira pour sacrifier l’idéal de l’alternance qui est un  triple impératif : moral, politique et constitutionnel.


Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen
Président du Mouvement  Patriotes Pour l’Alternance et le Salut.

[NDLR] L’auteur avait proposé le titre : Comment éviter le piège de la transition qui trahirait l’alternance démocratique en Guinée ?





Guinée: la chasse aux opposants et aux activistes des droits humains doit cesser [FIDH]


Nos organisations appellent à l’arrêt des violences policières ayant entraîné des pertes en vie humaines, des atteintes à l’intégrité physique et des dégâts matériels. Nous condamnons les violences enregistrées le 12 mai 2020 à Coyah, Dubréka et Kamsar, et nous exigeons l’ouverture immédiate d’une information judiciaire qui permettra de faire la lumière sur les violences commises dans ces localités. Enfin, nous appelons les autorités à mettre fin aux arrestations arbitraires et à la libération sans condition de toutes les personnes arbitrairement détenus pour avoir exprimer leurs opinions.

Au moment où l’Humanité est préoccupée par la pandémie du coronavirus qui a fait près de 300 000 morts à travers le monde, les autorités guinéennes mettent à profit cette crise sanitaire pour engager une chasse contre les opposants à la nouvelle Constitution, qui permet désormais au Président Alpha CONDE de briguer deux mandats de plus. Cette chasse se traduit par des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements, du harcèlement judiciaire et des actes d’intimidation contre les défenseur.es des droits humains.

Après Fassou GOUMOU, Bella BAH, Ibrahima DIALLO, Sékou KOUNDOUNO et Oumar SYLLA, alias foniké Mangué, tous membres du Front National pour la défense de la Constitution (FNDC), c’est au tour de Saikou Yaya DIALLO, Directeur Exécutif de l’ONG, le Centre de promotion et de protection des droits humains ( CPDH) d’avoir des ennuis avec la Justice.

Arrêté le jeudi 07 mai 2020 vers 11 h à Hamdallaye Concasseur, dans la Commune de Ratoma par des civils cagoulés à bord d’une voiture blanche de marque DUSTER, Saïkou Yaya a été conduit à la DCPJ dans un premier temps avant d’être conduit vers une destination inconnue le vendredi puis ramené à la DCPJ le surlendemain, samedi. Le mardi 12 mai 2020, il a été inculpé, par le tribunal de première instance de Dixinn, pour violences, menaces, voies de faits et injures publiques et placé sous mandat de dépôt à la Maison Centrale de Conakry. Souffrant de diabète, il n’a pas eu accès à ses médicaments durant toute la période de sa détention à la DCPJ. Une situation qui inquiète ses proches.

Ce nouveau mode opératoire des forces de sécurité viole les règles de procédure pénale et vise à museler les défenseur.es des droits humains. Il révèle la volonté manifeste des autorités guinéennes de restreindre l’espace des libertés fondamentales et de violer les principaux instruments juridiques internationaux et régionaux auxquels la république de Guinée a souscrit librement.

Nos organisations et associations réclament la libération immédiate et sans condition de Saikou Yaya DIALLO ainsi que tous les défenseur.es des droits humains, notamment Oumar Sylla, alias foniké Mangué et Fassou Goumou et autres, détenus pour avoir exercé leur droit à la libre opinion et à la défense des principes démocratiques.


fidh





L’heure est grave pour la Guinée [Centre d’études stratégiques de l’Afrique]


Faisant fi des manifestations de masse, des mises en garde des responsables de la CEDEAO et des critiques internationales, le président Alpha Condé a imposé la tenue d’un référendum constitutionnel en Guinée le 22 mars. Le référendum, ainsi que les élections législatives, ont été boycottés par l’opposition qui les juge illégitimes du fait qu’ils ont été autorisés uniquement par le président de l’Assemblée nationale, un allié de Condé, mais non par le Parlement, comme l’exige la Constitution. Au moins 32 manifestants ont été tués par les forces de police avant la tenue du vote. Arguant du non-respect manifeste des règles électorales et de la validité douteuse des listes électorales, les observateurs électoraux internationaux ont refusé d’y prendre part.

Au cœur de la controverse, la demande du président de 82 ans de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels qui aurait dû mettre fin à son « règne » au mois d’octobre, après 10 ans d’exercice du pouvoir, et permettre à la Guinée de connaître enfin sa toute première succession dans le respect des règles démocratiques. En vertu de la nouvelle Constitution, Alpha Condé pourrait prétendre rester en fonction pendant encore 12 ans. Le pays ayant enduré pendant 50 ans despotisme et abus de pouvoir avant d’entamer sa transition démocratique en 2010, la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels revêt une importance particulière pour la plupart des Guinéens. Cette longue période de mauvaise gouvernance vaut aujourd’hui à la Guinée d’être l’un des pays les plus pauvres d’Afrique.

L’heure est grave pour la Guinée. En effet, l’expérience montre que les chefs d’État africains qui sont restés au pouvoir pendant plus de 10 ans ont accumulé les actes de répression et de corruption et généré instabilité financière, sous-développement et conflits dans le pays. Le régime de Condé a été marqué par un autoritarisme grandissant, qui s’est traduit par le remplacement du responsable de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le limogeage du président de la Cour constitutionnelle et la destitution forcée du Ministre de la justice (hostile à ces changements constitutionnels), mais aussi par la mise sous contrôle des médias et l’arrestation de représentants de l’opposition.

Le non-respect des règles de cumul des mandats et le recul démocratique en Guinée constituent un défi pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui s’efforce d’instituer des contrepouvoirs et d’obliger à rendre des comptes comme l’exige toute démocratie. Ces efforts s’attaquent à la tendance antidémocratique récente observée dans les 15 États membres de l’organisation. La Cour de justice de la CEDEAO est d’ailleurs actuellement saisie d’une affaire dans laquelle une coalition de l’opposition allègue la violation par le gouvernement Condé de droits de l’homme et de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Cette régression de la Guinée vers un pouvoir de type autoritaire est source d’instabilité politique et de difficultés économiques dans ce pays de 12 millions d’habitants dont les ressources minérales n’ont pas prémuni contre la pauvreté. Les implications pourraient être graves dans les pays voisins qui seront directement affectés par cette instabilité.

Crédibilité et pluralisme, les grands absents du processus

Selon les organisations non gouvernementales de Guinée, de nombreux citoyens ont suivi l’appel au boycott du référendum lancé par l’opposition, le taux de participation n’ayant pas dépassé les 30 % en province, pour tomber à moins de 15 % dans la capitale, Conakry, alors que ce taux atteignait par le passé 75 % au niveau national. Le jour du référendum, les médias et les réseaux sociaux ont indiqué que le nombre de bulletins « non » était insuffisant dans certains bureaux de vote. D’autres se sont vu confisquer leur carte électorale et ont dû attendre à l’extérieur pendant qu’un autre votait pour eux. D’autres encore ont signalé avoir été contraints de voter « oui ». Au moins 12 morts sont à déplorer, et des dizaines de personnes ont été arrêtées, notamment des représentants de l’opposition. En Guinée forestière, un conflit autour du vote a suscité des violences entre groupes religieux menant à l’incendie de plusieurs églises et mosquées faisant plus de 15 morts. Par ailleurs, les forces de l’ordre auraient confisqué des urnes afin de procéder elles-mêmes au dépouillement du scrutin. Selon les déclarations officielles du gouvernement, le référendum aurait été adopté à 89 % des voix, avec une participation de 58 %.

Avant le vote, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et la CEDEAO ont conclu à la participation au scrutin de plus de 2,5 millions d’« électeurs fantômes ». Lorsqu’Alpha Condé a consenti à un report symbolique de deux semaines pour corriger le problème, les observateurs internationaux de la CEDEAO, de l’Union africaine et de l’UE ont annoncé leur retrait.

Les irrégularités du processus électoral sont venues se greffer sur une série de mesures qui ont mené au référendum en l’absence de crédibilité et de soutien populaire. Alpha Condé s’était attelé pendant des années à transformer les institutions chargées d’organiser le vote et de valider les résultats, notamment la CENI et la Cour constitutionnelle. À la veille du référendum, trois des propres ministres de Condé, le Ministre de la justice Cheik Sako, le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Abdoulaye Yero Baldé et le Ministre de la citoyenneté Gassama Diaby avaient même démissionné pour protester contre son projet d’adoption d’une nouvelle Constitution.

Après le référendum, les principaux acteurs internationaux, dont la CEDEAO, le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), les États-Unis, la France et l’Union européenne, ont exprimé d’une même voix leurs inquiétudes quant à la crédibilité du processus et son caractère pluriel. D’autres pays dépourvus de traditions démocratiques comme la Chine, la Russie et la Turquie se sont par contre empressés de féliciter le président.

La nouvelle Constitution comme outil de consolidation du pouvoir

La nouvelle Constitution, qui est entrée en vigueur le 7 avril, comporte plusieurs dispositions de nature à affaiblir les contre-pouvoirs démocratiques en Guinée. Elle porte d’abord la durée du mandat présidentiel de 5 à 6 ans et révise les limites de cumul des mandats, permettant ainsi à Condé de briguer un troisième mandat.

Elle modifie ensuite la structure de la Cour constitutionnelle afin d’accroître le contrôle du président sur cette institution cruciale. Le nombre de juges nommés par le président passe notamment de un à trois (sur un total de neuf). Par ailleurs, la responsabilité de désigner le président de cette Cour n’incombe plus à ses membres mais au chef de l’État. Le président de l’Assemblée nationale (un allié de Condé) ayant également la faculté de désigner deux juges, Condé peut ainsi choisir jusqu’à cinq des neuf juges qui composent la Cour.

La nouvelle Constitution supprime également plusieurs articles clés en matière de responsabilité. Selon certains des de l’ancienne Constitution, la corruption, la criminalité financière et les atteintes aux droits de l’homme échappaient à la prescription. Ainsi, si les présidents étaient couverts par une immunité pendant leur mandat, ils pouvaient dès la fin de celui-ci être poursuivis pour abus de pouvoir. Cette disposition est désormais supprimée. De la même manière, un article qui garantissait aux citoyens un droit de recours en cas d’atteintes aux droits de l’homme commises par des membres du gouvernement a également été retirée. La nouvelle Constitution élargit donc en substance le champ de l’impunité.

Elle accroît également le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif. L’ensemble des nouvelles lois doivent ainsi être promulguées par le Président, lui donnant de fait un droit de véto face à l’Assemblée. La seule possibilité serait pour le président de l’Assemblée nationale de saisir la Cour constitutionnelle afin de permettre l’adoption d’une loi en l’absence de promulgation du Président. Cette option a toutefois peu de chance de s’appliquer en pratique. En effet, le parti RPG de Condé détenant 79 des 116 sièges du Parlement après les élections boycottées qui ont été couplées au référendum, il est peu probable que des lois auxquelles Condé est opposé voient le jour, compromettant ainsi l’indépendance du pouvoir législatif. La nouvelle Constitution supprime également des dispositions qui interdisaient au Président de dissoudre le Parlement plus d’une fois au cours d’un même mandat présidentiel ou après la troisième année de la législature. Par ailleurs, elle supprime une autre disposition qui contraignait le Président à démissionner si, après que le Parlement a été dissous par suite d’un désaccord sur une question, son parti ne parvenait pas à rallier une majorité dans le cadre des nouvelles élections.

Autre point non négligeable, la nouvelle Constitution supprime les articles 141 à 145 du titre XV de la Constitution de 2010 qui concernent la finalité et le rôle du secteur de la sécurité. Outre qu’ils interdisaient les milices privées, ces articles stipulaient que :

« Les forces de défense et de sécurité sont républicaines. Elles sont au service de la Nation. Elles sont apolitiques et soumises à l’autorité civile. Nul ne doit les détourner à ses fins propres. Les forces de défense sont chargées de la défense du territoire national. Les forces de sécurité sont chargées de la protection civile, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes et de leurs biens et du maintien de l’ordre public ».

La suppression de ce libellé est des plus problématiques car la Guinée souffre depuis longtemps de la politisation et du manque de responsabilité des acteurs de la sécurité, situation qu’Alpha Condé a fait perdurer en se servant des forces de sécurité comme d’un instrument pour écraser la dissidence. La suppression de ces clauses de responsabilité rend moins probable encore la tenue du procès longtemps reporté des forces responsables du massacre du stade de Conakry en 2009. Cet incident, où plus de 150 manifestants furent tués et de nombreuses femmes et jeunes filles violées, reste un symbole d’impunité qui suscite beaucoup d’émotion. Ces nouvelles conditions auront pour effet de mettre en échec les efforts de réforme du secteur de la sécurité et ne feront que creuser le faible niveau de confiance des citoyens guinéens à l’égard des acteurs de la sécurité, qui atteint selon les sondages 41 % pour la police et 52 % pour les forces armées. La suppression de cette clause est une manière pour Condé de s’assurer la loyauté des acteurs de la sécurité au détriment des citoyens ou de l’État.

Solidité de l’opposition et de la société civile

Le fait de redéfinir les limites applicables au cumul des mandats et d’accroître les prérogatives présidentielles est contraire aux vœux de la population guinéenne, dont 82 % se sont prononcés, dans un sondage d’Afrobaromètre, en faveur d’une limitation à deux mandats. La société civile et l’opposition politique guinéennes ont fait preuve d’une vigueur et d’un leadership remarquables dans la lutte contre la mise en œuvre du projet de Condé et ce, malgré la brièveté de l’expérience démocratique dans le pays. L’opposition a commencé à organiser des manifestations publiques et pacifiques dès mars 2018, alors que Condé tentait pour la première fois de remplacer le président alors en place de la Cour constitutionnelle, Kéléfa Sall, qui avait publiquement dissuadé le président de modifier la Constitution. Les forces de sécurité ont systématiquement répondu par une violence meurtrière : les groupes de défense des droits de l’homme évaluent à plus de 100 le nombre de personnes tuées depuis le début des manifestations.

Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition réunissant des partis politiques de l’opposition et des organisations non gouvernementales, a orchestré l’opposition au projet de Condé en dépit de l’interdiction faite à ses responsables de participer à des manifestations (contrôle des forces de sécurité autour de leur domicile) et des détentions arbitraires dont ils font l’objet. La presse a également montré une certaine résistance, malgré les arrestations de journalistes et les mesures de suspension et d’interdiction qui la frappent.

À l’approche du référendum, le FNDC a saisi la Cour de justice de la CEDEAO en guise de recours. Dans le cadre de cette saisine, le FNDC a allégué que toute modification de la Constitution entraînerait une violation de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, mais aussi du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. Le FNDC soutient également que la Guinée a porté atteinte aux droits de l’homme de ses citoyens en réprimant avec violence les manifestations, ce qui constitue une nouvelle violation des chartes de l’UA et de la CEDEAO. La Cour de justice de la CEDEAO doit se prononcer sur l’affaire le 30 avril.

La voie à suivre

Condé, premier dirigeant démocratiquement élu de Guinée, semble vouloir poursuivre l’exercice de son pouvoir après son second mandat, alors même que sa façon de l’exercer se teinte de plus en plus d’autoritarisme. Son mode opératoire a déçu les citoyens qui espéraient que le pays tournerait enfin la page de son passé autoritaire.

Malgré l’opposition suscitée par l’adoption d’une nouvelle Constitution, Condé a réussi à porter un coup aux contrepoids démocratiques en Guinée. L’histoire des transitions démocratiques est toutefois marquée par une succession de périodes de progrès et de reculs, avant que la reprise ne se fasse vers de nouveaux progrès. Les aspirations démocratiques de la Guinée ne sont par conséquent pas déplacées. La clé des progrès futurs réside dans la persévérance des réformateurs de Guinée et dans le soutien des acteurs locaux et internationaux.

Les Guinéens ont fait la preuve de leur volonté constante de défendre les valeurs démocratiques par des moyens pacifiques et légaux. Il s’agit de protéger les droits qui doivent être les leurs dans une démocratie digne de ce nom. Cet engagement remonte directement au temps de l’opposition au régime de Dadis Camara, auteur d’un coup d’État, durant lequel a eu lieu le « massacre du stade » de 2009. L’une des priorités essentielles pour aller de l’avant sera par conséquent de donner à la société civile et aux réformateurs démocratiques l’espace nécessaire pour exprimer leur volonté de changement, mais aussi de s’atteler à rechercher des solutions en faveur d’un véritable dialogue politique national. Il conviendra notamment de libérer l’ensemble des opposants politiques emprisonnés pour cause d’opposition au gouvernement ou d’organisation de manifestations.

La réforme du secteur de la sécurité en Guinée doit être l’autre priorité. Le processus de dialogue politique est mis à mal lorsque des dirigeants s’appuient sur les acteurs de la sécurité pour favoriser leurs intérêts politiques. Le respect l’État de droit et des droits de l’homme est par ailleurs indispensable à la stabilité et au développement économique. Selon les groupes de défense des droits de l’homme, les violences commises par l’armée et la police contre les chefs de l’opposition et les manifestants n’ont pas cessé. Il incombe par conséquent aux partenaires locaux et internationaux d’accentuer leurs efforts pour que les institutions chargées de la sécurité en Guinée améliorent leur connaissance des règles de professionnalisme applicables à l’armée sur son territoire ainsi que du rôle qu’elles jouent dans la sécurité des citoyens.

La CEDEAO a un rôle décisif à jouer à deux égards : maintenir la Guinée sur les rails de la démocratie et institutionnaliser le processus de succession politique afin d’apporter une stabilité au plan local. Le protocole de la CEDEAO de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance fournit un certain nombre d’options que l’entité régionale peut exercer lorsqu’un État porte atteinte aux éléments inhérents à toute démocratie. Elle pourrait d’abord organiser des échanges à un haut niveau avec Condé afin de le persuader de renoncer à ses fonctions en vue d’une transition dans la dignité. Une délégation de chefs d’État avait prévu une visite avant le référendum, une initiative annulée à la dernière minute après que Condé a indiqué qu’il se refuserait à les recevoir. En l’absence d’efforts de la part de la Guinée pour nouer de bonne foi un dialogue avec ses voisins, la CEDEAO pourrait interdire les voyages et geler les actifs des dirigeants guinéens, leur retirer les droits de vote ou exclure temporairement la Guinée de cet organe régional. La CEDEAO avait déjà procédé ainsi lors de crises précédentes, notamment en Gambie, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Les exemples des présidents Mahamadou Issoufou au Niger et Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, qui quitteront tous deux leurs fonctions cette année au terme de leur second mandat, donneront à la CEDEAO des moyens de pression accrus sur cette question.

Les acteurs démocratiques internationaux doivent également concourir au dialogue national et aux efforts diplomatiques de la CEDEAO. Leur intervention permettra d’opérer une transition sans heurt et de faire respecter les normes démocratiques en Guinée. Elle pourrait aussi favoriser l’engagement diplomatique, le retrait de certaines aides financières mais aussi des sanctions ciblées. Les organes bilatéraux et multilatéraux qui œuvrent en faveur de la démocratie, parmi lesquels l’OIF et la Communauté des démocraties, devraient également envisager de retirer à la Guinée sa qualité de membre et de ne pas reconnaître la validité du référendum ou des élections législatives.

Il est difficile de rompre avec cet héritage d’un pouvoir présidentiel incontrôlé en Guinée. Le pays est maintenant à la croisée des chemins et se doit de faire un choix parmi différentes conceptions de l’avenir. En orchestrant l’adoption d’une nouvelle Constitution, Condé cherche bien évidemment à consolider son propre pouvoir présidentiel. Les citoyens quant à eux aspirent à une gouvernance démocratique où règne la séparation des pouvoirs. La capacité de résistance des réformateurs nationaux et le soutien qu’ils recevront des acteurs locaux et internationaux dicteront la vision qui prévaudra à l’avenir.


Cet article a été initialement publié sur le site africacenter.org (4 mai 2020) sous le titre “Désamorcer la crise politique en Guinée”


Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique est un organisme du Département de la défense des États-Unis, créé et financé par le Congrès américain, pour l’étude des problèmes de sécurité se rapportant à l’Afrique et sert de forum de recherche bilatérale et multilatérale, de communications, d’échange d’idées et de formations ouvert aux civils comme aux militaires.





Covid-19: Wole Soyinka et 100 intellectuels africains demandent «de rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines»


Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveurdes populations africaines et selon les priorités africaines.

Extrait de la lettre adressée aux gouvernants africains


Lire l’intégralité de la lettre

Les risques qui planent sur le continent africain relatifs à la propagation du Covid-19, nous interpellent individuellement et collectivement. L’heure est grave. Elle ne consiste pas à juguler une énième crise humanitaire « africaine » mais à contenir les effets d’un virus qui vient bousculer l’ordre du monde et interroger les fondements de notre vivre ensemble.

La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste.

Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du Nord. Une telle représentation que l’on finissait par croire réelle à force d’en rêver se déchire désormais devant une crise multiforme qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

Dans le même temps, l’ordre global multilatéral que l’on se figurait encadré par un minimum de traités se délite sous nos yeux, faisant place à une lutte géopolitique féroce. Ce nouveau contexte de guerre d’influence économique « du tous contre tous » laisse dans l’ombre les pays du Sud, en leur rappelant s’il le fallait le rôle qui leur échoit : celui de spectateurs dociles d’un ordre du monde qui se construit par-devers eux. 

La pandémie du Covid-19 pourrait saper les bases des États et des administrations africaines dont les défaillances profondes ont trop longtemps été ignorées par la majorité des dirigeants du continent et leur entourage.

Il est impossible de les évoquer toutes, tant elles sont nombreuses : sous-investissement dans les secteurs de la santé publique et de la recherche fondamentale, insécurité alimentaire, gaspillage des finances publiques, priorisation d’infrastructures routières, énergétiques et aéroportuaires aux dépens du bien-être humain, etc.

Autant de sujets qui font pourtant l’objet d’une littérature spécialisée, désormais abondante, mais qui semblent avoir peu pénétré les cercles du pouvoir des différents États du continent. La preuve la plus évidente de ce fossé est fournie par la gestion actuelle de la crise.

De la nécessité de gouverner avec compassion

Reprenant sans souci contextuel le modèle de « containment » et des régimes d’exception adoptés par les pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il est n’est pas respecté, de violences policières.

Si de telles mesures satisfont les classes aisées, à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à « l’article 15 », c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles.

Soyons clairs. Il n’est nullement question d’opposer sécurité économique et sécurité sanitaire mais plutôt d’insister sur la nécessité pour les gouvernements africains de prendre en compte les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations. Cela, d’autant plus que le continent africain a une longueur d’avance sur le Nord en matière de gestion de crises sanitaires de grande ampleur, au regard du nombre de pandémies qui l’ont frappé ces dernières années.

La nature ayant horreur du vide, plusieurs initiatives fragiles provenant de la « société civile » se mettent progressivement en place. En aucun cas pourtant, le dynamisme d’individus ou d’acteurs privés ne peut pallier la désorganisation et l’impréparation chronique que seuls les États seraient en mesure d’endiguer à travers le continent.

Plutôt que de subir et tendre la main à nouveau en attendant meilleure fortune, il serait d’ores et déjà souhaitable de repenser notre vivre ensemble en partant de nos contextes spécifiques et des ressources diverses que nous avons.

Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveur des populations africaines et selon les priorités africaines. Bref, il s’agit de mettre en avant la valeur de chaque être humain, quel qu’il soit et quelles que soient ses appartenances, au-delà des logiques de profit, de domination et de monopolisation du pouvoir.

Au-delà de l’urgence 

Les dirigeants africains doivent, et peuvent, proposer à leurs peuples une nouvelle idée politique d’Afrique. C’est une question de survie et non d’arguties intellectuelles comme on a trop souvent tendance à le croire. De profondes réflexions sont nécessaires sur la gestion et le fonctionnement des administrations nationales, de la fonction de l’État et de la place des normes juridiques dans la distribution et l’équilibre des pouvoirs à l’aune de systèmes de pensées adaptés aux réalités du continent.

En effet, la seconde étape de nos indépendances politiques ne se réalisera que sur les terrains de l’inventivité politique et sociale, de la prise en charge par nous-mêmes de notre destinée commune. Des initiatives en ce sens existent déjà. Elles mériteraient simplement d’être écoutées, discutées et encouragées. 

Le panafricanisme aussi a besoin d’un nouveau souffle. Il doit retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements. Si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule « doxa » du libéralisme économique. Or, la pandémie du coronavirus montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs.

Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales. Dans cette perspective, il est important de repenser la santé comme un bien public essentiel, de revaloriser le statut du personnel de la santé, de relever les plateaux techniques des hôpitaux à un niveau qui permet à tous, y compris les gouvernants eux-mêmes, de se faire soigner en Afrique.

Cette lettre est un morceau de rappel, de rappel de l’évidence : le continent africain doit reprendre son destin en main. Or c’est dans les moments difficiles que des orientations nouvelles doivent être décidées et que des solutions pérennes doivent être mises en place.

Cette lettre est destinée aux dirigeants africains de tous bords, aux peuples africains et à ceux qui essaient de penser le continent. Nous les invitons à saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit.

Il s’agit pour l’Afrique de retrouver la liberté intellectuelle et la capacité de créer sans lesquelles aucune souveraineté n’est envisageable. De rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de sortir de l’imitation stérile, d’adapter la science, la technique et les programmes de recherche à nos contextes historiques et sociaux, de penser nos institutions en fonction de nos communes singularités et de ce que nous avons, de penser la gouvernance inclusive, le développement endogène, de créer de la valeur en Afrique afin de diminuer notre dépendance systémique.

Surtout, il est primordial de ne pas oublier que le continent dispose de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. L’absence de volonté politique et les agissements de l’extérieur ne peuvent plus constituer des excuses pour nos turpitudes. Nous n’avons pas le choix : nous devons changer de cap. Il est plus que temps ! »


Les signataires

Wole Soyinka (Prix Nobel de Littérature 1986)
Makhily Gassama (Essayiste)
Cheikh Hamidou Kane (Écrivain)
Odile Tobner (Librairie des Peuples Noirs, Yaoundé)
Iva Cabral (Université lusophone de Mindelo)
Olivette Otele (Bristol University)
Boubacar Boris Diop (American University of Nigeria)
Siba N’Zatioula Grovogui (Cornell University)
Véronique Tajdo (Écrivain)
Francis Nyamnjoh (University of Cape Town)
Ibrahim Abdullah (Fourah Bay College)
Maria Paula Meneses (Université de Coimbra)
Amadou Elimane Kane (Institut Culturel Panafricain et de Recherche de Yene)
Inocência Mata (Université de Lisbonne)
Anthony Obeng (Institut Africain de Développement économique et de Planification)
Aisha Ibrahim (Fouray Bay College)
Makhtar Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Koulsy Lamko (Écrivain)
Mahamadou Lamine Sagna (American University of Nigeria)
Carlos Nuno Castel-Branco (Économiste, Mozambique)
Touriya Fili-Tullon (Université Lyon 2)
Kako Nubupko (Université de Lomé)
Rosania da Silva (University Foundation for the Development of Education)
Amar Mohand-Amer (CRASC, Oran)
Mame Penda Ba (Université Gaston Berger)
Medhi Alioua(Université Internationale de Rabat)
Rama Salla Dieng (University of Edimburg)
Yoporeka Somet (philosophe, égyptologue, Burkina Faso)
Gazibo Mamoudou (Université de Montréal)
Fatou Kiné Camara (Université Cheikh Anta Diop)
Jonathan b (Witwatersrand University)
Rosa Cruz e Silva (Université Agostinho Neto)
Ismail Rashid (Vassar College)
Abdellali Hajjat (Université Libre de Bruxelles)
Maria das Neves Baptista de Sousa (Université Lusíada de São Tomé e Príncipe)
Lazare Ki-Zerbo (Philosophe)
Lina Benabdallah (Wake Forest University)
Iolanda Evora (Université de Lisbonne)
Kokou Edem Christian Agbobli (Université du Québec à Montréal)
Opeyemi Rabiat Akande (Harvard University)
Lourenço do Rosário (Université Polytechnique du Mozambique)
Issa Ndiaye (Université de Bamako)
Yolande Bouka (Queen’s University)
Adama Samaké (Université Félix Houphouët Boigny)
Bruno Sena Martins (Université de Coimbra)
Charles Ukeje (University of Ile Ife)
Isaie Dougnon (Fordham University)
Cláudio Alves Furtado (Université fédérale de Bahia, Université du Cap-Vert)
Ebrima Ceesay (University of Birmingham)
Rita Chaves (Université de São Paolo)
Benaouda Lebdai (Université du Mans)
Guillaume Johnson (CNRS, Paris-Dauphine)
Ayano Mekonnen (University of Missouri)
Thierno Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mbemba Jabbi (University of Texas)
Abdoulaye Kane (University of Florida)
Muhammadu M.O. Kah (American University of Nigeria & University of the Gambia)
Alpha Amadou Barry Bano (Université de Sonfonia)
Sean Jacobs (The New School of International Affairs)
Yacouba Banhoro (Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo)
Dialo Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Rahmane Idrissa (African Studies Center, Leiden)
José Luís Cabaco (Universidade Técnica de Moçambique)
Mouhamadou Ngouda Mboup (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Hassan Remanoun (Université d’Oran)
Oumar Ba (Morehouse College)
Salif Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Narciso Matos (Université Polytechnique du Mozambique)
Mame Thierno Cissé (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Demba Moussa Dembélé (ARCADE, Sénégal)
Many Camara (Université d’Angers)
Ibrahima Wane (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Thomas Tieku (King’s University College, Western University)
Jibrin Ibrahim (Center for Democracy and Development)
El Hadji Samba Ndiaye (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Benabbou Senouci (Université d’Oran)
José Luís Cabaço (Université technique du Mozambique)
Firoze Manji (Daraja Press)
Mansour Kedidir (CRASC, Oran)
Abdoul Aziz Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mohamed Nachi (Université de Liège)
Alain Kaly (Universidade Federal Rural do Rio de Janeiro)
Last Dumi Moyo (American University of Nigeria)
Hafsi Bedhioufi (Université de la Manouba)
Abdoulaye Niang (Université Gaston Berger de Saint-Louis)
Lionel Zevounou (Université Paris Nanterre)
Amy Niang (University of the Witwatersrand)
Ndongo Samba Sylla (Économiste, Sénégal)


Ecoutez l’entretien accordé par Wolé Soyinka à RFI dans l’emission, “Autour de la question” de Caroline Lachowsy sur cette lettre adressée aux gouvernants africains








CPI: signalement de faits susceptibles de revêtir la qualification de crimes contre l’humanité en Guinée [Cabinet Bourdon & Associés]


En qualité de Conseils des membres du FNDC, Maîtres William BOURDON (Avocat associé fondateur, inscrit au Barreau de Paris depuis 1980) et Vincent BRENGARTH (Avocat collaborateur, inscrit au barreau de Paris depuis 2015) du Cabinet Bourdon & Associés, écrivent à Madame le Procureur de la Cour pénale internationale pour attirer son attention « sur la situation extrêmement préoccupante dans laquelle se trouve la République de Guinée à l’approche de l’élection présidentielle de 2020 en application de l’article 15 du Statut de Rome. »


En menant une répression violente contre l’opposition politique, le gouvernement du Président Alpha CONDE s’est en effet rendu coupable de violations graves et répétées de droits fondamentaux d’une partie de la population.

Extrait de la lettre du Cabinet Bourdin & Associés adressée à la Madame la Procureur de la CPI


Madame le Procureur,

Nous avons l’honneur de vous écrire en qualité de Conseils des membres du FRONT NATIONAL DE DEFENSE DE LA CONSTITUTION («FNDC»), mouvement citoyen créée le 3 avril 2019 et réunissant les principaux partis d’opposition, des organisations de la société civile et des syndicats, qui compte parmi ses membres M. Adourahamane SANO, M. Sékou KOUNDOUNO, M. Ibrahima DIALLO, M. Abdoul Kabélé CAMARA.

Ce Front a notamment pour objectif de dénoncer toutes les formes de violation de la Constitution, des lois de la République et d’œuvrer à la réunion de conditions idoines pour l’organisation d’élections transparentes, libres et justes.

Par la présente, nous souhaitons attirer votre attention sur la situation extrêmement préoccupante dans laquelle se trouve la République de Guinée à l’approche de l’élection présidentielle de 2020 en application de l’article 15 du Statut de Rome.

En menant une répression violente contre l’opposition politique, le gouvernement du Président Alpha CONDE s’est en effet rendu coupable de violations graves et répétées de droits fondamentaux d’une partie de la population.

Ces persécutions, qui visent tout particulièrement le FRONT NATIONAL DE DEFENSE DE LA CONSTITUTION et ses partisans, sont fondées sur des considérations politiques et ethniques, qui semblent justifier la qualification de crimes contre l’humanité.

Alors que cette répression s’accentue depuis quelques mois, la communauté internationale s’inquiète de voir le pays sombrer à nouveau dans une spirale de violences, susceptible de mener à des crimes encore plus dramatiques, à l’image des faits commis par la junte militaire le 28 septembre 2009, dont vous êtes déjà saisie.

Dans ce contexte alarmant, nous vous prions de bien vouloir donner à la présente toutes les suites qui vous sembleront opportunes, et notamment de diligenter, si les conditions vous semblent réunies–ce qui nous semble être le cas–, un examen préliminaire sur les faits dénoncés.

Bien entendu, l’ensemble des membres du FRONT NATIONAL DE DEFENSE DE LA CONSTITUTION se tient à votre disposition, le cas échéant, pour vous apporter tous documents ou informations que vous jugeriez utiles à la manifestation de la vérité en plus des développements ci-après contenus.


Lisez l’intégralité du document de 51 pages






Guinée: HRW rappelle que les restrictions pour raisons de santé publique ne doivent être ni arbitraires ni discriminatoires


En Guinée, les autorités ont harcelé, intimidé et procédé à l’arrestation arbitraire de membres et partisans de l’opposition au cours des dernières semaines, dans une atmosphère d’insécurité liée aux restrictions imposées dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le 27 mars 2020, le président guinéen Alpha Condé a décrété l’état d’urgence dans le pays et annoncé une série de mesures pour freiner la propagation de Covid-19, notamment la fermeture des frontières, l’interdiction des grands rassemblements, la fermeture des établissements scolaires et la restriction des déplacements à l’extérieur de Conakry, la capitale. Trois jours plus tard, un couvre-feu a été imposé de 21 heures à 5 heures et, le 13 avril, le port des masques de protection a été rendu obligatoire et l’état d’urgence a été prolongé jusqu’au 15 mai.

« Face au coronavirus, la confiance des Guinéens dans leur gouvernement doit être renforcée pour que soit respectée la distanciation sociale et d’autres comportements-barrières », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Dans un pays doté d’un faible système de santé, des leçons devraient être tirées de l’expérience d’Ebola, en impliquant et en gagnant la confiance des communautés locales. »

Au 29 avril, 1 240 cas de Covid-19 et sept décès avaient été confirmés par les autorités sanitaires, la majorité à Conakry. Le nombre d’infections est en hausse constante depuis que le premier cas a été recensé le 13 mars, mais compte tenu des capacités limitées de dépistage, il est probablement plus élevé. La Guinée ne dispose que de quatre laboratoires d’analyse compétents pour dépister le coronavirus, dont trois à sont situés à Conakry.

Entre le 26 mars et le 26 avril, Human Rights Watch s’est entretenu avec 15 victimes, membres des familles des victimes et témoins, ainsi qu’avec 15 agents de santé, journalistes, avocats, membres de l’opposition politique et activistes. Nos conclusions ont été transmises par e-mail le 23 avril à Albert Damatang Camara, ministre de la sécurité et de la protection civile, qui n’a pas répondu aux questions spécifiques qui lui ont été adressées.

La Guinée ne s’est remise que récemment de l’épidémie d’Ebola, qui a touché plus de 3 800 personnes et fait plus de 2 500 morts avant que l’éradication de ce virus ne soit annoncée en juin 2016. Le système de santé guinéen n’est pas en mesure de faire face à un déluge de cas de Covid-19, une situation qui rend le suivi des directives de distanciation sociale d’autant plus importantes, a observé Human Rights Watch. Cependant, les forces de sécurité, qui se livrent à des abus sur la population civile, appliquent les mesures d’urgence en vigueur d’une manière qui fragilise la confiance de l’opinion publique dans les autorités.

Des membres de l’opposition et des représentants d’organisations non gouvernementales ont exprimé leurs craintes que le gouvernement instrumentalise la crise comme excuse pour réprimer la dissidence et bafouer les droits humains. Un leader du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), une coalition d’ONG et de partis d’opposition, a déclaré : « Nous avons fait des manifestations publiques le principal moyen d’exprimer nos frustrations. Les mesures d’urgence entravent notre liberté de réunion. Nous les acceptons à cause du Covid-19. Mais nous n’allons pas les accepter éternellement. »

Le droit international relatif aux droits humains exige que de telles restrictions pour raisons de santé publique ou d’urgence nationale ne soient ni arbitraires ni discriminatoires dans leur application, d’une durée limitée, respectueuses de la dignité humaine et soumises à réévaluation.

Le 18 avril, le FNDC a appelé à la tenue d’une « journée ville morte » le 21 avril à Conakry, afin de protester contre la décision du président Condé d’organiser une session en vue de nommer le président de l’Assemblée nationale et installer les 114 députés nouvellement élus, une décision qui contraindrait ces derniers à se réunir. La décision, a noté le FNDC, contrevient à l’interdiction par le gouvernement de vastes rassemblements pour freiner la propagation du coronavirus.

Au cours des derniers mois, avant et pendant le référendum constitutionnel et les élections législatives controversés du 22 mars, les forces de sécurité ont violemment réprimé les membres et partisans de l’opposition. Les partis d’opposition ont boycotté le vote, accusant le président Condé d’avoir l’intention d’instrumentaliser la révision constitutionnelle pour prolonger son mandat.

Le 14 avril, des gendarmes ont passé à tabac et arrêté, à son domicile de Tougue, en Guinée centrale, un membre du FNDC âgé de 38 ans qui était suspecté d’avoir incendié le poste de gendarmerie local le 28 février. « Il avait le paludisme et était sous perfusion au moment de son arrestation », a déclaré un membre de la famille. « Six gendarmes ont fait irruption chez lui, l’ont roué de coups de pied et giflé à plusieurs reprises. Lorsque je lui ai rendu visite le lendemain au poste de Labe, dans la région du Fouta-Djalon, j’ai demandé aux gendarmes de le faire hospitaliser. Ils ont refusé, préférant envoyer un médecin dans sa cellule. »

Le 16 avril, un policier est entré par effraction dans la maison d’une infirmière, dans le quartier Hamdallaye de Conakry et l’a passée à tabac, l’accusant de soutenir l’opposition. « Le policier qui l’a battue lui a dit : ‘‘Vous dérangez trop’’- parce qu’elle vit dans un bastion de l’opposition », a confié un témoin. « Ensuite, il l’a encore frappée à l’aide d’une matraque, sur tout le corps, y compris au visage. Son nez était enflé. Elle était souffrante pendant plusieurs jours ».

Le 17 avril, la police a procédé à l’arrestation arbitraire d’Oumar Sylla, un membre du FNDC, à son domicile de Conakry. Il a été détenu au siège du renseignement général et à la direction de la police judiciaire de Conakry jusqu’au 24 avril, date à laquelle il a été présenté au tribunal de première instance de la capitale, accusé de disséminer de fausses informations, avant d’être incarcéré à la prison centrale de Conakry. Les avocats de Sylla avaient refusé d’assister leur client jusqu’à ce que son casait été présenté au procureur pour protester contre ce qu’ils avaient qualifié de « procédures illégales » de la police.

Les habitants de Conakry ont fait état d’une atmosphère d’insécurité dans le cadre du couvre-feu.

Le 8 avril, une femme âgée de 30 ans a déclaré qu’un homme en uniforme qui l’accusait d’avoir enfreint le couvre-feu l’avait cambriolée et rouée de coups. « Vers 22 heures, j’étais couchée », a-t-elle expliqué. « Il n’y avait pas de lumière dans le quartier. J’ai entendu du bruit et j’ai ouvert ma porte. Je me suis trouvée devant un homme en uniforme avec une arme à feu. Il faisait trop sombre pour savoir s’il s’agissait d’un policier ou d’un gendarme. Il m’a dit que j’enfreignais le couvre-feu. J’ai répondu que non, car j’étais dans ma propre maison. Il a menacé de m’arrêter, puis m’a giflée et frappée à coups de poing. Il a volé mon téléphone et mon ordinateur portable avant de partir. Je n’ai pas réagi parce que j’avais peur qu’il me viole. »

Six personnes ont déclaré que leurs magasins du marché de Kagbélen, à Conakry, avaient été pillés les 1er et 2 avril, pendant le couvre-feu. L’un des propriétaires a déclaré : « Je suis arrivé dans mon magasin de vêtements le matin du 3 avril et j’ai découvert qu’il avait été cambriolé. La porte avait été détruite et tous mes biens, d’une valeur d’environ 60 millions de francs, [l’équivalent de 624 dollars], avaient été volés. »

Le 3 avril, les victimes et d’autres commerçants ont organisé une manifestation et érigé des barricades sur le marché de Kagbélen, accusant les forces de sécurité de piller leurs magasins. Selon un représentant syndical, les pillages ont cessé après qu’il a signalé les cambriolages au maire du canton de Dubreka, qui a compétence sur le marché de Kagbélen.

« Les abus perpétrés par les forces de sécurité exacerbent une méfiance déjà profonde envers les autorités, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le gouvernement devrait maîtriser ses forces de sécurité et veiller à ce qu’elles respectent les droits humains dans le cadre de la mise en œuvre des restrictions. »


HRW





[Révélations] Françafrique: Parfum de corruption en Guinée


Un projet français capable de séduire des pontes du CAC 40 pour exploiter une mine de bauxite en Guinée tourne au vinaigre : entre paradis fiscaux et corruption, dictature tropicale et néocolonialisme, récit d’un incroyable scandale, au cœur d’une Françafrique qui ne veut pas mourir.

  • En 2013, un jeune entrepreneur français, Romain Girbal, acquiert de manière douteuse un permis d’exploitation d’un gisement de bauxite en Guinée.   
  • En 2015, Girbal crée en France l’Alliance minière responsable (AMR), qui devait révolutionner le secteur minier par des pratiques éthiques et respectueuses de l’environnement. Le projet a séduit l’ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg, qui a ouvert à Girbal son carnet d’adresses, et lui a permis de faire entrer au capital de l’AMR Anne Lauvergeon ou encore Xavier Niel.
  • Mais très vite, l’entreprise française se montre incapable de lever les fonds nécessaires à l’exploitation de la mine. Elle va alors céder de manière déguisée son gisement à une entreprise à capitaux majoritairement chinois, la Société minière de Boké (SMB). La SMB est cornaquée par des proches du président guinéen, Alpha Condé. De plus, elle pollue allégrement l’environnement et appauvrit les populations locales.   
  • Les bénéfices de la cession du gisement de bauxite, qui se chiffrent en plusieurs dizaines de millions d’euros (certains parlent même d’un montant total de 171 millions d’euros), se perdent dans les paradis fiscaux. En exclusivité pour l’enquête du Média, Arnaud Montebourg fait part de sa colère et de ses soupçons : d’après lui, cet argent aurait pu enrichir le clan d’Alpha Condé. Un dictateur qui multiplie les violences à l’égard de sa population et se trouve dans le viseur de la Cour Pénale Internationale. 

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Dette africaine: cinq questions pour comprendre


Comment l’aborder ? En quoi peut-elle être un marqueur de la relation entre l’Afrique et les pays occidentaux ? La dette africaine interroge à plus d’un titre.


Une quarantaine de pays africains parmi les plus pauvres du monde vont bénéficier d’une suspension de leur dette pendant 12 mois, une mesure d’urgence décidée par le G20 pour aider des économies déjà vulnérables pétrifiées par le ralentissement mondial lié au coronavirus.

D’où vient la dette africaine ?

À leur indépendance, dans les années 1960, plusieurs pays africains ont hérité de dettes issues de la colonisation et se sont également endettés auprès de la communauté internationale pour bâtir leurs nouveaux États. « C’était très abordable, car les taux d’intérêt étaient proches de zéro. Mais le drame, c’est que les États africains se sont endettés à des taux d’intérêt variables », explique l’économiste togolais Kako Nubukpo. Or, à la fin des années 1970, après les chocs pétroliers, les taux montent en flèche. « Les pays africains se sont retrouvés à rembourser à des taux très élevés une dette qu’ils avaient contractée à des taux très faibles. Le côté insoutenable de la dette africaine est né à ce moment-là », décrypte M. Nubukpo. C’est à cette période que les politiques d’ajustement structurel voient le jour avec des prêts de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international en échange de réformes pour libéraliser l’économie. Un troisième vague d’endettement intervient dans les années 2000 avec l’arrivée de la Chine, qui devient rapidement le premier créancier du continent. « C’est un cycle où nous sommes sortis du colonialisme pour tout de suite entrer sous le joug de l’endettement », déplore pour l’AFP le philosophe camerounais Achille Mbembe.

Suspension, annulation : vraiment possible ?

Mercredi, plusieurs créanciers publics ont accepté la suspension pour douze mois de la dette des pays les plus pauvres, dont font partie 40 États africains. Un report, à défaut d’une annulation, qui ne devrait représenter qu’une petite partie de l’endettement total du continent estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers est dû à la seule Chine. « Contrairement à ce que l’on a connu dans les années 1980 où ce n’était que de l’endettement auprès d’États souverains, la dette africaine est aussi détenue désormais par des investisseurs privés, comme des fonds d’investissement », pointe M. Nubukpo. En effet, outre les prêts accordés, souvent à des taux très bas, par certains États ou organisations internationales, les pays africains ont émis de la dette sur les marchés financiers internationaux. « Le fait d’annoncer un moratoire sur la dette et a fortiori une annulation de la dette ne semble pas aussi simple qu’il y a 20 ou 30 ans », craint, à ce titre, Kako Nubukpo.

La dette africaine, mythe de Sisyphe ?

Plusieurs pays africains ont connu des allègements de dette ces dernières années, au titre de l’initiative de la Banque mondiale et du FMI en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais le cercle vertueux escompté ne s’est pas enclenché : le Congo-Brazzaville, par exemple, dont la dette a été divisée par trois en 2005, est à nouveau endetté à plus de 100 % de son PIB. « Il ne faut pas perdre de vue la question de la mal gouvernance et de la corruption qui gangrènent certains régimes sur le continent. On parle d’un cycle infernal de l’endettement pour le financement d’un développement qui n’est toujours pas là », explique Bakary Sambé, directeur du Timbuktu Institute basé à Dakar.

Un avis partagé par Kako Nubukpo, qui rappelle également que « beaucoup d’économies africaines exportent des matières premières sans les transformer et se privent donc des possibilités de création de valeurs, d’emplois, de revenus et d’impôts », poursuit-il. Achille Mbembe pointe, lui, « le système de la dette ». « On vous enlève une petite partie de la dette et en échange on vous rajoute un autre prêt. Cela crée un cercle infernal », critique-t-il. « La Chine a mis en place une économie de captation avec des dettes pratiquement irremboursables pour, en échange, mettre la main sur un ensemble de ressources naturelles rares », explique M. Mbembe.

Bâtir une nouvelle relation avec l’Occident ?

« Nous devons instaurer un moratoire immédiat sur le paiement de toutes les dettes bilatérales et multilatérales. […] Nous demandons aussi à tous les partenaires du développement de l’Afrique d’allouer leurs budgets », ont demandé des chefs d’État et de gouvernement africains mais aussi européens comme Emmanuel Macron ou Angela Merkel dans une tribune au Financial Times.

Dettes et aide au développement : la relation Occident-Afrique peut-elle durer ?

« Il faut annuler une bonne fois pour toutes le paiement des intérêts sur la dette dont les montants dépassent souvent de loin l’emprunt originel », plaide Achille Mbembe. Le philosophe préconise aussi des conditions draconiennes aux nouveaux emprunts, en les soumettant aux « délibérations démocratiques » directement des populations concernées. « Il est criminel que les générations d’aujourd’hui, au lieu de laisser un patrimoine aux générations futures, leur laissent des dettes irremboursables », conclut-il.


Cet article est republié à partir de lepoint.fr. Lire l’original ici





« Nous devons tout abandonner » Impact du barrage de Souapiti sur les communautés déplacées en Guinée [HRW]


Forcées à quitter les habitations et les terres de culture de leurs ancêtres, dont une grande partie est déjà inondée ou en passe de l’être, les communautés déplacées ont du mal à nourrir leurs familles, à rétablir leurs moyens de subsistance et à vivre dignement.


RÉSUMÉ

Le barrage de Souapiti, qui devrait à terme fournir 450 mégawatts après sa mise en service en septembre 2020, est le projet d’énergie hydraulique le plus avancé parmi plusieurs nouveaux projets planifiés par le gouvernement du président guinéen Alpha Condé. Le gouvernement guinéen estime que l’énergie hydraulique peut accroître considérablement l’accès à l’électricité, dans ce pays où seule une fraction de la population peut y accéder de façon fiable.

La production par le barrage de Souapiti, néanmoins, a un coût humain. Le réservoir du barrage va entraîner le déplacement d’environ 16 000 habitants de 101 villages et hameaux. Fin 2019, le gouvernement guinéen avait déplacé 51 villages et, selon ses déclarations, il prévoyait de réaliser les réinstallations restantes en un an. Forcées à quitter les habitations et les terres de culture de leurs ancêtres, dont une grande partie est déjà inondée ou en passe de l’être, les communautés déplacées ont du mal à nourrir leurs familles, à rétablir leurs moyens de subsistance et à vivre dignement.

Le projet de Souapiti met en lumière le soutien de la Chine à l’énergie hydraulique dans le monde ainsi que le rôle des investissements chinois dans des projets d’infrastructure de grande échelle en Afrique. La China International Water and Electric Corporation (CWE) — filiale en propriété exclusive de l’entreprise publique chinoise Three Gorges Corporation, deuxième constructeur de barrage au monde — construit le barrage et elle en sera la détentrice et l’opératrice conjointement avec le gouvernement guinéen.

Le barrage de Souapiti fait aussi partie du projet « Initiative Ceinture et route » (Belt and Road Initiative, BRI) de la Chine, qui consiste à investir plus d’un trillion de dollars US dans des infrastructures situées dans quelque 70 pays et qui a soutenu d’importants projets hydroélectriques en Afrique, en Asie et en Amérique latine. La banque publique chinoise d’export-import (China Eximbank) a prêté plus de 150 milliards de dollars US (plus d’un trillion de yuans) pour soutenir les projets BRI et finance le barrage de Souapiti par le biais d’un prêt de 1,175 milliard de dollars US. En réponse aux critiques que soulève l’impact environnemental et social des projets BRI, le président chinois Xi Jinping a promis en avril 2019 que les projets BRI soutiendrait « un développement ouvert, propre et écologique ». 

Ce rapport décrit les impacts du barrage de Souapiti sur l’accès des populations déplacées aux terres, à l’alimentation et aux moyens de subsistance. Il se fonde sur plus de 90 entretiens avec des personnes déjà déplacées, des communautés qui doivent l’être et des villages sur les terres desquelles ces personnes sont réinstallées, ainsi qu’avec des chefs d’entreprise et des responsables gouvernementaux engagés dans le processus de réinstallation. Il formule des recommandations quant à la façon d’améliorer les réinstallations à l’avenir, et décrit les voies de recours dont les communautés déjà déplacées ont besoin.

Le processus de réinstallation de Souapiti est le plus important que connaisse la Guinée depuis son indépendance. Les personnes déplacées sont déjà, pour la plupart, extrêmement pauvres : selon les estimations tirées d’une évaluation de 2017, le revenu quotidien moyen dans cette région est de 1,18 dollar US par personne. Le barrage, s’il avait été construit selon les plans initiaux, aurait causé le déplacement de 48 000 personnes, mais l’agence gouvernementale qui supervise les déplacements, dénommée « Projet d’aménagement hydroélectrique de Souapiti » (PAHS), a décidé de réduire sa hauteur et donc la taille de son réservoir afin de faire diminuer le nombre de personnes à réinstaller.

Les habitants déplacés à cause du barrage sont réinstallés dans des maisons en béton situées sur des terrains cédés par d’autres villages. À ce jour, ils n’ont pas obtenu les titres fonciers attachés à leurs nouvelles terres, ce qui engendre, pour l’avenir, un risque de conflit foncier entre les familles déplacées et les communautés hôtes. Les déplacements rompent des liens sociaux et culturels de longue date entre les familles vivant dans cette région. « Dans notre culture, les liens sociaux et familiaux sont essentiels », a expliqué un habitant déplacé. « Des familles élargies sont déchirées. À chaque fois que nous avons quelque chose à fêter ou que nous devons faire un deuil en famille, la distance se fait sentir. »


Les habitants déplacés à cause du barrage sont réinstallés dans des maisons en béton situées sur des terrains cédés par d’autres villages. À ce jour, ils n’ont pas obtenu les titres fonciers attachés à leurs nouvelles terres, ce qui engendre, pour l’avenir, un risque de conflit foncier entre les familles déplacées et les communautés hôtes.


Les moyens de subsistance des communautés sont en outre menacés par les inondations causées par le réservoir de Souapiti, qui touchent de vastes zones de terres agricoles. Le réservoir du barrage va en définitive inonder 253 kilomètres carrés de terres. Selon les estimations, cette surface inclut 42 kilomètres carrés de cultures et il y pousse plus de 550 000 arbres fruitiers. Un document de projet de 2017 avertissait sans ambages : « Les populations déplacées auront en général des terres moins favorables que celles qu’elles cultivent depuis plusieurs générations ».

Des dizaines d’habitants déplacés ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils éprouvaient déjà des difficultés à nourrir adéquatement leurs familles. « Les gens ont faim ; parfois, je ne mange pas pour pouvoir nourrir mes enfants », a confié une femme déplacée du village du district de Tahiré en 2019. Les habitants de plusieurs villages ont affirmé qu’avant leur déplacement, ils cultivaient leur propre nourriture, alors qu’à présent, ils devaient trouver assez d’argent pour l’acheter sur les marchés locaux. « Maintenant que nous n’avons plus nos champs, nous vendons peu à peu notre bétail afin de joindre les deux bouts », a livré un éleveur et agriculteur local. « Nous sommes fragiles comme des œufs à cause de la souffrance qui règne ici », a estimé un leader communautaire réinstallé en 2019. « Ce n’est que grâce à Dieu que nous survivons. »

Les représentants du PAHS ont reconnu que les déplacements constituaient une menace pour les moyens de subsistance des communautés. « Lorsque l’on déplace un village, on casse la chaine de vie qu’il faut tenter de rétablir », a expliqué le directeur environnement et développement durable du PAHS. Le PAHS a affirmé vouloir ramener les communautés vers un niveau de vie égal ou supérieur à celui dont elles bénéficiaient avant leur réinstallation. Bien qu’il n’offre pas de terrains agricoles de substitution aux populations déplacées, il a affirmé qu’il les aiderait à cultiver leurs terrains restants de façon plus intensive et à trouver de nouvelles sources de revenus comme la pêche ou l’élevage.

Les habitants déplacés, cependant, n’ont encore reçu aucune assistance de ce type. « Nous ne demandons rien d’extraordinaire. Préparer le terrain pour que nous puissions poursuivre nos activités, une zone de pâturage pour élever notre bétail. Tenir les promesses qui ont été faites », a affirmé le président du district de Tahiré, qui englobe plusieurs villages réinstallés en juin 2019.

Les normes internationales en matière de droits humains exigent que les populations réinstallées disposent d’un accès immédiat aux sources de subsistance, et que les sites de réinstallation prévoient un accès aux possibilités d’emploi. Les plans d’action préparés en 2015 et 2017 pour piloter la réinstallation recommandaient que le PAHS commence son travail sur les programmes de restauration des moyens de subsistance dès le début de la construction du barrage, en 2015. Cependant, fin 2019, le PAHS n’avait toujours pas commencé à mettre en œuvre les mesures de rétablissement de moyens de subsistance, et les populations déplacées ne recevaient aucune assistance pour les aider à restaurer leurs vies agricoles anciennes. Le PAHS a affirmé à Human Rights Watch qu’« [il] est en train de redoubler d’efforts pour investir sur la restauration des moyens de subsistance dans les prochains mois, et ce, pour les années à venir ».

Les normes internationales en matière de droits humains exigent que les populations réinstallées disposent d’un accès immédiat aux sources de subsistance, et que les sites de réinstallation prévoient un accès aux possibilités d’emploi.

Le PAHS a souligné qu’à court terme, le gouvernement a fourni une assistance alimentaire (deux livraisons de riz durant une période de six mois et des espèces pour couvrir les besoins essentiels de base) aux familles déplacées. « Cela aide les gens à se remettre sur pied », a ajouté un représentant du PAHS. Mais les habitants ont répliqué qu’étant donné le temps qu’il faudrait pour trouver de nouveaux moyens de subsistance, cela ne suffisait pas. « Nous avons consommé l’aide distribuée en un peu plus d’un mois à peine », a précisé le père d’une famille de cinq enfants qui a dû quitter Warakhanlandi pour être réinstallée en juin 2019. Les normes internationales recommandent que les communautés déplacées reçoivent une assistance jusqu’à ce qu’elles atteignent les niveaux de vie qui étaient les leurs avant leur réinstallation.

Le PAHS a également affirmé offrir aux habitants une indemnisation pour les arbres et les cultures qui poussaient sur les terrains inondés, mais il ne fournit aucun paiement compensant la valeur du terrain lui-même. Par conséquent, ni les terres en jachère des agriculteurs pratiquant la rotation des cultures ni les terrains de pâturage n’ont fait l’objet d’indemnisations.

Le manque de transparence du processus d’indemnisation et le manque d’informations adéquates sur le mode de calcul des indemnités attisent également le mécontentement lié aux sommes versées. Certains habitants ont dit n’avoir encore reçu aucune indemnité. D’autres ont affirmé avoir été indemnisés pour leurs cultures pérennes, telles que les arbres fruitiers, mais n’avoir rien reçu pour leurs cultures annuelles telles que le riz ou le manioc. « Le gouvernement nous a donné ce qu’il voulait. Nous avons accepté l’argent sans négocier parce que nous ne connaissions pas la valeur de nos ressources », a déploré un chef de village. Plusieurs femmes ont ajouté que la majorité des indemnisations a été payée aux pères de famille ou aux personnes endossant la fonction de leader communautaire, les femmes n’ayant donc qu’un rôle limité concernant l’utilisation de l’argent.

Le manque de transparence du processus d’indemnisation et le manque d’informations adéquates sur le mode de calcul des indemnités attisent également le mécontentement lié aux sommes versées. Certains habitants ont dit n’avoir encore reçu aucune indemnité.

Dans tous les villages visités par Human Rights Watch, les habitants ont raconté qu’ils s’étaient plaints auprès des représentants du PAHS ou de l’administration locale concernant le processus de réinstallation, mais qu’ils n’avaient reçu aucune réponse, ou que les réponses qui leur avaient été faites étaient sans rapport avec leurs préoccupations. « Quelqu’un vous dit de transmettre [votre réclamation] à un tel. Ils vous demandent d’attendre. Il y a son supérieur, aussi. À qui sommes-nous supposés nous adresser ? », s’est interrogé un leader communautaire du district de Konkouré. Le PAHS a confié à Human Rights Watch qu’il avait « pris du retard » dans la mise en place d’une politique officielle relative aux réclamations, et qu’il ne l’avait fait qu’en septembre 2019, alors que 50 villages avaient déjà été déplacés. Le PAHS n’a pas fourni d’explications concernant ce retard. En décembre 2019, 110 réclamations avaient déjà été soumises au nouveau mécanisme de plainte.

Le PAHS a précisé que pour les réinstallations à venir, des accords sont en cours de négociation avec les communautés, afin de stipuler les responsabilités du PAHS durant le processus. Cette démarche pourrait en principe aider à clarifier les droits des personnes déplacés, mais dans l’accord transmis par le PAHS à titre d’exemple, les obligations de ce dernier sont résumées en un seul paragraphe, et les questions clés telles que la pénurie de terres cultivables et l’appui à la restauration des moyens de subsistance ne sont pas abordées de façon détaillée. Le PAHS devrait aussi garantir qu’avant de signer les accords, les habitants auront pu consulter des conseillers juridiques indépendants, choisis par leurs soins.

Par ailleurs, pour résoudre les problèmes de fond que rencontrent les villages déjà réinstallés, le PAHS devrait négocier des accords avec les ménages déjà déplacés, décrivant comment le PAHS traitera les questions d’accès aux terres et aux moyens de subsistance, ainsi que toute autre question liée à la qualité des logements et des infrastructures sur les sites de réinstallation. Le PAHS devrait également examiner les indemnités versées jusque-là et expliquer clairement comment elles ont été calculées. Tout paiement insuffisant devrait être immédiatement complété.

Le processus de réinstallation défectueux lié à la construction du barrage de Souapiti prouve également la nécessité, pour les sociétés chinoises, les banques chinoises et leurs ministères tutelle, de garantir que les projets BRI et les autres investissements chinois à l’étranger respectent les droits humains. CWE, dans un message électronique adressé à Human Rights Watch, a affirmé que le processus de réinstallation est à la charge du gouvernement de la Guinée mais a ajouté qu’en tant qu’actionnaire dans le projet de Souapiti, la compagnie, « participe à la réinstallation et joue un rôle de superviseur. » CWE, ainsi que China Eximbank, devraient utiliser leur influence afin d’assurer que les représentants du PAHS apportent des réponses aux problèmes soulevés dans le présent rapport.

Enfin, d’autres projets hydrauliques se pointant à l’horizon, le processus de réinstallation lié au barrage de Souapiti devrait alerter le gouvernement guinéen sur la nécessité de se doter d’une réglementation et d’une procédure de supervision plus solides. Le gouvernement devrait, après consultation avec la société civile et les communautés impactées, rédiger et adopter des réglementations qui définissent clairement les droits de quiconque perd l’accès à son terrain ou est réinstallé en raison de projets de développement de grande ampleur.

« Nous quittons notre maison pour le développement de la Guinée », a résumé un leader communautaire du centre de Konkouré pour Human Rights Watch. « Nous voulons que le gouvernement nous aide, sinon, nous allons souffrir. »


L’intégralité du rapport


hrw.org