Appel au FNDC pour une lecture plus audacieuse des enjeux [Par L. Petty Diallo]


Les Guinéens
sont tenus en haleine depuis près d’un an par l’affaire du troisième mandat méticuleusement,
soigneusement et presqu’obsessionnellement montée par le RPG- et le
gouvernement.

Hésitante,
indécise et tatillonne aux premières rumeurs méthodiquement distillées par le
pouvoir, l’opposition guinéenne semblait avoir pris la mesure de l’enjeu : sa
survie ou sa mort politique.

Depuis trois
mois, elle mobilise militants et sympathisants mais aussi tout guinéen opposé à
la modification de la constitution actuelle ou à la mise en place d’une
nouvelle, prélude à un troisième mandat.

Le solde des
mobilisations des mois passés s’élève à 26 morts et des dizaines de
blessées : un nombre qui alourdit le bilan macabre de plus de cent morts
depuis « l’élection d’Alpha Condé » à la présidence.

Dans son
combat contre toutes perspectives de violation de la constitution de mai 2010,
l’opposition et la société civile se sont regroupées en front national de
défense de la constitution (FNDC).

L’engouement
soulevé par cette nouvelle entente n’a pas permis de bien creuser quelques
failles : l’absence des organismes syndicaux et la manière de cooptation
des différentes entités politico-associatives qui constituent le FNDC semblent
le démontrer.

Quand on
voit des jeunes désœuvrés dénoncer le front, accuser les anciens premiers
ministres ou ministres de tous les maux, on comprend aisément qu’il s’agit de
petits opportunistes infiltrés.  Cela conforte l’idée d’absence de
sélection, de contrôle tout au moins, qui aurait justifié ou empêché
l’appartenance au FNDC. Mais les failles et les insuffisances ne se limitent pas
à cet aspect des choses.

L’annonce,
le 19 décembre 2019 d’une nouvelle constitution, la marche vers un troisième
mandat pour M. Alpha Condé, soulève bien de questions sur la solidité et les
limites du FNDC.

En effet, la
réaction du front au lendemain du discours du président guinéen, n’est pas,
pour bon nombre de Guinéens à la hauteur de l’enjeu et ne semble pas répondre
leurs attentes.

La seule
initiative envisagée par l’opposition et le FNDC repose encore sur les
manifestations qui, de surcroit, ne sont pas immédiates. Non seulement, il
faudrait attendre la fin de Pacques et de la Saint Sylvestre (le 31 décembre
2019) mais aucune autre action d’envergure n’est programmée.

Entre temps, la nouvelle constitution est là : elle a pointé son nez
dans un premier temps. Aujourd’hui, elle est dans la maison de tout Guinéen.
Elle risque de diviser les familles, de s’interposer entre les époux, les amis,
les frères et les sœurs, de monter dans les lits et les plafonds. Elle rôde
déjà autour des voisinages avant de les opposer. Espérons juste à couteau tiré
et non en bruit de canon.

Pourtant,
que n’avons-nous entendu : « Si Alpha Condé osait ; le jour
où Alpha Condé dira qu’il est candidat ; le jour où… » Et il est bien
arrivé ce jour. L’éléphant n’a pas accouché d’une souris du côté du pouvoir.

La souris
semble venir du FNDC car les Guinéens s’attendaient à autre chose que :
« vu que ; compte tenu de ceci et cela, en raison de l’approche des
fêtes… ; dès début janvier ; on n’est pas d’accord ; on ne
laissera pas faire ; il n’y aura pas telle ou telle chose tant que telle
ou telle exigence n’est pas satisfaite… ».

Toute une
litanie de menaces qui n’ébranleraient pas un chef de quartier à plus forte
raison un Président de la République. Même si ce n’était la nôtre.

Le temps
n’est plus au discours. Les blablateries ne feront pas partir le président
guinéen, ni les danses, les folklores, les Mamayas en l’honneur de nos leaders.
Pas plus que l’hymne du FNDC. Il faudrait bien autres choses et le FNDC
doit : 

– Montrer clairement
quelle est sa finalité.
Son objectif est bien connu. D’après ce qu’il
dit, c’est : « s’opposer à toute nouvelle constitution ;
empêcher le troisième mandat pour M. Alpha Condé ». Mais la constitution
nouvelle (qui n’apporte de nouveau que les 6 ans à la place des 5 et la fin du
statut de chef de file).

Une finalité n’est pas un objectif : le dernier fixe un but. Le second détermine l’issue, la manière, la méthode, la stratégie d’y parvenir. Si les marches et autres manifestations ont pour objectif ce qui est énoncé plus haut, les Guinéens ont besoin de connaitre qu’elle est la finalité fixée.

-Se poser
les bonnes questions :
tout bon résultat dépendant de la
manière de se questionner, le FNDC doit savoir s’il doit continuer à appeler à
marcher pour continuer de mourir ou s’il doit changer d’optique et de stratégie
politique.

On sait bien
que les marches se sont révélées, jusqu’à présent, improductives, dépensières,
meurtrières. Qu’elles ont apportés plus de morts que de solutions.

Cela
sous-entend qu’il ne sert plus à grand-chose d’aller manifester pour marcher
vers sa tombe. En clair, le FNDC doit appliquer le principe
politique : « à situation nouvelle, orientation et stratégie
nouvelles ».

-Se remettre
en cause : 
toutes les organisations qui composent le FNDC
devraient non seulement faire leur autocritique mais aussi accepter la
critique.

Se
débarrasser de certaines habitudes en cours au sein des partis
traditionnels 
: très souvent les louangeurs occupent le haut du pavé
en Guinée. Leur langue mielleuse, leur vocabulaire laudatif avec tous les
superlatifs inimaginables, leur médiocrité est bien accueillie et prime sur les
réflexions des cadres et intellectuels. Dès lors, la médiocratie instaurée en
système, tout bord politique confondu, plombe l’avenir du pays.

-Se donner
une lecture plus audacieuse des enjeux du pays
. Le premier
enjeu pèse sur le FNDC sur lui-même en tant que porte- flambeau des Guinéens
déçus du pouvoir en place et qui cherchent une alternative. Le tout est de
savoir s’il peut satisfaire cette perspective en évitant la reproduction du
passé.

-Dépasser
les enjeux liés aux simples relations entre partis politiques traditionnels de
certaines habitudes en cours :
dans cette perspective, les
présidents des partis politiques qui concourent à l’accession au pouvoir
devraient avoir un nouvel état d’esprit en dépassant les égos personnels :
être à l’affût tout en se disant, si ce n’est pas moi, ce ne sera pas toi.

-Se révéler
réellement comme une nouvelle structure qui tranche avec les anciennes :
les forces
vives ont combattu pour un idéal bien connu à l’époque. Le combat du FNDC ne
peut s’assimiler à celui-là.

Aujourd’hui, on est face à un pouvoir bien installé qui se fait prévaloir d’être démocratique alors qu’il est viscéralement dictatorial et ethnocentrique. Les armes ne peuvent pas être les mêmes. Tout comme les méthodes. Il faut plus de détermination, d’audace. Surtout de clarté dans la ligne suivie.

-Les
discours et les manifestations récurrentes doivent céder le pas à l’action
immédiate.
Les Guinéens ont entendu toutes sortes de menaces
comme soulignées plus haut. Ils se disent où sont-elles passées ? Des
jours se sont écoulés.

M. Alpha
Condé a lancé le pavé dans la mare. Il s’en est allé papoter tranquillement
avec ses pairs. D’aucuns aussi avides de troisième mandat qu’il ne l’est
tendaient l’oreille. Ils seront désormais plus attentifs et sûrement très
avenants au cas où le triple mandat passe. Surtout s’il était agrémenté à la
guinéenne de 2 fois 6 ans.

-Les partis
politiques membres du FNDC doivent arrêter toute participation à quelque
processus électoral que ce soit.
Il est absurde de vouloir la
fin d’un système et siéger avec lui dans les institutions nationales. Il est
tout autant contradictoire et inconséquent de réclamer des élections,
d’assister impuissant à l’arrêt du processus sans qu’il ne soit achevé et
vouloir y participer pour gagner.

Aucune
élection ne devrait (ne doit tout simplement) avoir lieu dans les conditions
actuelles. Mais ce ne sont pas les déclarations à l’emporte-pièce qui les
empêcheront. Il faut s’en donner les moyens. Tous les moyens.

Si certaines
de ces préconisations n’étaient pas prises en compte, il est fort à craindre
que la messe ne soit dite pour le FNDC, les partis politiques et associations
qui le composent.

Une telle
éventualité est d’autant plus probante que la réaction du FNDC à la déclaration
du président Alpha Condé n’est pas, au risque de me répéter, à la hauteur ni
des enjeux ni des attentes.

Le FNDC
risque fort bien de se dévoyer et de rejoindre la longue lignée des mouvements,
soit mort-nés, soit de feu de paille et sans lendemain qui ont déçu les
guinéens après les avoir tant fait rêver. Pour l’éviter, il doit se montrait plus
conséquent, plus ferme, plus réactif et de la bonne manière.

Il doit prendre la mesure afin de ne pas rater le coach en se
diluant dans des annonces et des marches sans lendemain. En se contentant de
discours et de prévenances face aux actions concrètes du pouvoir.

La FNDC
devrait savoir qu’au-delà du troisième mandat, c’est l’enjeu du pays et de
l’opposition guinéenne, dont il est partie prenante, qui se joue depuis jeudi
19 décembre 2019.

A l’opposition toute entière de faire peau neuve pour survivre et sauver le pays. C’est la seule manière de montrer aux Guinéens qu’ils n’ont pas perdu du temps en se battant à ses côtés.

Enfin, une
chose est sûre : M. Alpha Condé et son système ne perdent pas de temps et
ne s’embarrassent de rien : ni de leur survie ni du devenir du pays.

Mais le peuple de Guinée saura jouer sa partition avec ou sans les uns et les autres.


Par M. Lamarana Petty Diallo , Guinéen- Professeur Hors-Classe, lettres-histoire, Orléans- France

NB: Le titre initialement choisi par notre contributeur était Troisième mandat: La messe serait-elle dite ?