La perversion de la transition de décembre 2008 sous Dadis Camara


Politique

C’était hier 2008-2010.

Nous republions un extrait de l’article de Dominique Bangoura intitulé : Le coup d’État de décembre 2008 et la Transition controversée en Guinée, publié dans la revue Cairn en 2015. Ce rappel de l’histoire récente de la Guinée est important dans un contexte d’amnésie collective où les événements d’aujourd’hui ont tendance à enterrer ceux d’hier.


Extrait

À son arrivée au pouvoir, Moussa Dadis Camara (MDC) a pris des engagements et a promis à l’opinion nationale et internationale qu’il organiserait des élections et ne serait pas candidat. Le samedi 27 décembre 2008, devant une salle comble du Camp Alpha Yaya Diallo, MDC a rencontré tous les acteurs (partis politiques, société civile, syndicats etc.) et leur a expliqué ses intentions. À cette occasion, il a précisé : « Je ne me présenterai pas à une élection ».

MDC a pris les mêmes engagements devant le Groupe International de Contact pour la Guinée (GIC-G) créé à l’initiative de la Commission de l’Union africaine et dont la première réunion a eu lieu le 16 février 2009 à Conakry. Cependant, au fil des mois, le capitaine Moussa Dadis Camara a montré son incapacité à honorer ses engagements.

Les premiers signes de rupture

Les premiers éléments troublants proviennent des discours de Moussa Dadis Camara, notamment le Discours-programme du 14 janvier 2009 qui s’apparente à un programme d’un chef d’État élu, en début de mandat.

Le second indice qui sème le doute dans les esprits est le Discours de Boulbinet du 15 avril 2009. À cette date, MDC s’en prend sans raison justifiée aux partis politiques et menace d’« enlever la tenue » pour se porter candidat s’ils ne le ménagent pas. Ce discours-test a pour objet de mesurer jusqu’où il peut aller. Il fait l’effet d’une bombe tant les désapprobations fusent de toutes parts. À tel point que MDC se ravise et se réengage à ne pas se présenter à travers les déclarations de la délégation du CNDD reçue à Bruxelles à l’Union européenne le 29 avril. Dans ce prolongement, il réitère ses engagements auprès du GIC-G lors de la troisième session du Groupe tenue à Conakry les 5 et 6 mai 2009.

Les autres motifs d’inquiétude reposent sur la multiplication des mouvements de soutien à Moussa Dadis Camara. Les délégations se succèdent au camp Alpha Yaya pour aller le féliciter ou l’encourager. Chefs coutumiers et religieux, notables, parents, ressortissants de sa région natale et d’autres régions de la Guinée, hommes en uniforme, ils sont nombreux à venir faire la cour au chef de la junte. Il est difficile, dans ces conditions, de déceler la part de sincérité et de calcul, mais toujours est-il que ces comportements de séduction troublent et biaisent le jeu politique de la transition. Des formes d’allégeance politique se mettent rapidement en place avec les meetings organisés par le gouverneur de Conakry, manipulant une faction de jeunes et de femmes. En outre, un Bloc des Forces Patriotiques est créé, comprenant d’anciennes forces conservatrices et de nouveaux groupuscules se ralliant au pouvoir. Enfin, un facteur de crainte, et non le moindre, apparaît avec les volte-face intempestifs du chef de la junte, ses signaux contradictoires, ses colères à l’emporte-pièce en public. Le coup de grâce porté à la transition en Guinée est finalement donné en présence du GIC-G lors de sa sixième session les 3 et 4 septembre 2009 à Conakry. À cette date, revenant à la charge et faisant voler en éclats tout espoir d’apaisement, Moussa Dadis Camara rompt son serment. En aparté, il glisse aux diplomates présents : « Je vais me présenter parce que tout le peuple me le demande. Si je ne le fais pas, je risque de perdre la confiance du peuple ».

La concentration des pouvoirs entre les mains du capitaine

MDC accapare le pouvoir exécutif entre ses mains. Il gouverne par décrets et ordonnances. Le pouvoir judiciaire est délaissé. Les cours et tribunaux fonctionnent au ralenti par manque de moyens humains et matériels.

Le ministre de la Justice est un militaire, ce qui représente une violation du principe d’indépendance du droit. Les magistrats ont fait grève en juin 2009 pour dénoncer les dérives du régime ainsi que la création d’un Secrétariat d’État chargé des conflits, une structure parallèle qui applique non pas le droit mais les prescriptions dictées par la junte. En outre, Moussa Dadis Camara adopte une posture de procureur dans la lutte très médiatisée et sélective contre la corruption et les narcotrafiquants. Sur ce point, si la lutte est justifiée sur le fond, en revanche, la méthode utilisée est contestable. Tous les présumés coupables ne sont pas recherchés avec la même rigueur et toutes les garanties en matière de présomption d’innocence ne sont pas remplies. En septembre 2009, un collectif d’avocats dénonce les pratiques en cours et les mauvais traitements infligés aux détenus. Le pouvoir législatif n’existe pas. L’Assemblée nationale a été dissoute au moment de l’arrivée de la junte au pouvoir. Certes, il y a un projet de création d’un organe législatif provisoire appelé Conseil national de transition (CNT), mais bien des interrogations et doutes subsistent sur son mandat, sa composition, sa durée, son indépendance vis-à-vis du CNDD, qui dispose lui-aussi de compétences similaires.

L’absence de restauration du cadre constitutionnel

Une constitution, des lois organiques et un code électoral sont nécessaires pour organiser les élections. Or, fin septembre 2009, dix mois après le coup d’État et quatre mois avant l’élection présidentielle prévue pour fin janvier 2010, rien n’a encore été fait dans ce sens, alors que le chronogramme de Moussa Dadis Camara, présenté au Palais du Peuple à Conakry le 16 février 2009 devant le Groupe international de contact pour la Guinée (GICG), prévoyait quatre étapes, avec notamment la mise en place des « organes », du « cadre » et des « instruments de la Transition ».

La transition subit des blocages importants : mi-septembre 2009, il n’y a toujours pas de Premier ministre de transition, de gouvernement de transition, de Parlement de transition ou de Conseil national de transition (CNT). De plus, le pays n’est toujours pas doté de constitution. Il conviendrait de réviser la Constitution de 1990 qui posait les principes d’un État de droit démocratique et prévoyait la limitation du pouvoir (durée du mandat présidentiel à 5 ans ; nombre de mandats limité à deux, le premier étant renouvelable une seule fois ; un âge des candidats fixé à quarante ans minimum et soixante-dix ans maximum) en réaménageant quelques articles, dans un souci d’inclusion. La révision de la Constitution devrait se faire par un Conseil National de Transition (CNT) compétent, ayant vocation législative et siégeant en tant que Parlement de la transition. L’adoption de la Constitution devrait se faire soit par référendum soit par vote des membres du CNT à la majorité qualifiée (les deux tiers des députés selon l’article 91 de la Constitution). Toutefois, rien de tel n’est engagé.

Populisme et insécurité

L’action de Moussa Dadis Camara s’apparente à du populisme.

Il prend le peuple à témoin, l’interpelle pour telle ou telle nomination, révoque sur le champ collaborateurs, cadres et ministres en public. Il insulte son Premier ministre et les images passent en boucle à la télévision d’État. Cette pratique montre son aversion pour l’administration, pour l’exercice de la politique par les gouvernants. Cela s’explique par son absence d’expérience politique et son incompétence à gouverner. D’ailleurs, s’il a choisi de mettre l’accent sur la lutte contre la corruption et les narcotrafiquants, c’est parce que c’est un domaine qu’il connaît pour l’avoir côtoyé. Il tient également par ce biais à mettre ses protégés à l’abri. Cette façon de se mettre en scène est populaire, et cela plait au peuple qui croit qu’enfin les choses changent. Mais en réalité, les conditions de vie et de travail restent aussi difficiles qu’auparavant, et en quelques mois, c’est au tour de la junte de se prendre elle-même au jeu de la corruption.

Par ailleurs, le comportement des forces de défense et de sécurité dans les quartiers, en ville et à l’intérieur du pays est très préoccupant. Les exactions à l’encontre des populations civiles et des hommes d’affaires se sont intensifiées en 2009. L’insécurité est partout. Un rapport de l’ONG Human Rights Watch intitulé « Guinée : Le gouvernement doit discipliner ses soldats. Vols à main armée, extorsions et intimidations sous le nouveau gouvernement » fait état du récit de victimes et de témoins d’incidents commis par des soldats lourdement armés portant des bérets rouges et se déplaçant dans des véhicules tant civils que militaires.

Malgré les appels répétés des organisations de défense des droits de l’Homme, la Commission nationale d’enquête sur les massacres de 2006 et de 2007 (dont la loi portant création avait été votée en mai 2007) n’est toujours pas effective. Moussa Dadis Camara avait pourtant promis, pour l’étape n°4 de son Chronogramme, « la mise en place d’une Commission Vérité, Justice, Réconciliation, la poursuite de l’enquête sur les événements de juin 2006, janvier et février 2007 » (répression meurtrière de manifestations). Mais rien n’est entrepris dans ce sens.

En conclusion, le constat ne souffre d’aucune ambiguïté. Le régime de Moussa Dadis Camara viole le principe démocratique de séparation des pouvoirs ; il n’engage aucune action pour la restauration du cadre constitutionnel ; il ne respecte ni les droits de l’Homme ni les libertés publiques, en particulier celle des médias ; il entrave le fonctionnement des partis politiques, des organisations de la société civile et des syndicats. Il menace les dirigeants civils et politiques.

Le spectre de la candidature du capitaine Camara à l’élection présidentielle

Depuis l’indépendance en 1958, la Guinée n’a connu aucune élection libre, crédible et transparente du fait des régimes politiques successifs qui s’y sont violemment opposés. Par conséquent, le pays a besoin d’un profond renouveau politique et les Guinéens ont massivement montré qu’ils voulaient ce changement lors des grèves, manifestations et émeutes de 2006-2007. Or, le changement n’est pas possible sous Moussa Dadis Camara. Le véritable changement ne peut venir que par une alternance au pouvoir et l’avènement d’un régime démocratique. L’alternance signifie l’élection d’un nouveau dirigeant sur la base de son projet de société, de son programme de gouvernement, de son intégrité morale, de son sens des responsabilités, de ses compétences avérées pour mettre en œuvre un projet de refondation. Cependant, une alternance démocratique n’est possible que si les conditions d’un scrutin libre, ouvert et juste sont réunies.

Le scénario d’une alternance démocratique permettant le retour à un régime civil et légitime ne peut survenir que si deux défis sont relevés : la volonté politique du chef du CNDD d’aller dans ce sens et l’indépendance ainsi que le fonctionnement régulier de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Or, le constat est clair : le président du CNDD n’a pas la volonté politique d’organiser une élection présidentielle juste et honnête pour le début de l’année 2010. De plus, il y a un risque de manipulation de la CENI étant donné son statut et sa composition.

En réalité, ces deux obstacles à une alternance démocratique ne peuvent être surmontés que par une union sacrée des Forces vives. Pour la première fois en Guinée, les Forces vives, qui sont composées des partis politiques, des dirigeants syndicaux et des organisations de la société civile, se concertent et prennent des positions communes pour la gestion de la transition. C’est ainsi que d’un commun accord, elles décident de l’organisation d’un grand meeting pacifique le 28 septembre 2009, ayant pour objectif de montrer leur capacité de mobilisation face à la junte d’une part, et de protester contre l’éventuelle candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la prochaine présidentielle d’autre part.

Le choix de tenir un meeting pacifique au Stade du 28 septembre est à la fois symbolique et sécuritaire : la date rappelle celle du référendum historique ayant conduit le pays à l’indépendance en 1958 ; et surtout, les Forces vives veulent éviter une marche ou des mouvements de rue qui pourraient amener des débordements et des dérives de la part des forces armées et de sécurité, comme ce fut le cas en 2006-2007.

Dominique BANGOURA est diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg, est docteur d’État en science politique et habilitée à diriger des recherches (HDR). Après avoir été Secrétaire général de l’Institut africain d’études stratégiques (IAES) au Gabon puis avoir enseigné au Département de Science politique de la Sorbonne, elle dirige les recherches à l’Observatoire politique et stratégique de l’Afrique (OPSA) et enseigne dans les Universités de Yaoundé, Abidjan ainsi qu’à l’Université Panafricaine. Elle est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont le premier Les Armées africaines (1960-1990), est un résumé de sa thèse. En tant que spécialiste de l’Afrique, elle a publié plus de quatre-vingts articles scientifiques ainsi qu’une dizaine de rapports pour des organismes nationaux, régionaux et internationaux. Elle est experte en gouvernance, stratégie, sécurité, justice et RSS et a effectué des missions dans vingt-sept pays sur le continent africain.


Le titre de cette republication est un choix de notre rédaction. L’intégralité de l’article ici


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